On dit que le battement d'un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, qu'un engrenag
On dit que le battement d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, qu’un engrenage subtil d’infimes causes entraîne d’incroyables conséquences. J’ai parfois l’impression qu’il m’a fallu traverser un univers de noir, de gris et de triste, pour pouvoir enfin vous serrer contre moi, et que si je n’étais pas tombée enceinte à 17 ans, je ne serais pas en train d’écrire ces mots, le dos appuyé sur votre bassinette. Je me souviens avoir lu voilà de cela quelques années, un article sur l’instinct maternel. L’auteur tentait d’y démontrer que l’instinct maternel n’existe pas, puisqu’une femme qui ne veut pas d’enfant sera incapable d’aimer le sien, tandis qu’une femme qui veut un enfant à tout prix aimera n’importe quel enfant comme si c’était le sien. Je me souviens m’être interrogée, et en avoir conclu que ce que l’auteur tentait de dire, c’était que l’instinct maternel n’était pas en fait un lien exclusif entre une femme et son enfant biologique. Si je n’étais pas tombée enceinte à 17 ans, Mika n’aurait pas comblé une famille, qui attendait depuis 15 ans, de bonheur. 15 ans. C’est la différence d’âge qu’il y a entre vous et votre frère ainé. J’aurai donc moi aussi attendu durant 15 longues années avant de vous serrer contre moi. Le battement d’aile du papillon, ça devait être la naissance de votre frère, qui m’a conduite dans une dépression profonde dont je ne pensais jamais me sortir. Des années à me répéter que j’avais fait le bon choix, que je n’étais pas une mère horrible et qu’il est heureux. Des années, c’est long. C’est long et c’est lourd de conséquences, la lourdeur.
Vous savez, moi, j’ai toujours voulu une grosse famille, avec une table désordonnée et pleine d’enfants qui sourient et qui crient. J’ai toujours eu ça en moi, cet appel incessant, ce vide à combler que rien ni personne n’arrivait à remplir. Quelque temps après la naissance de votre grand frère, je suis tombée amoureuse du mauvais garçon et puis je vous passe les détails, je me suis retrouvée dans le bureau du médecin, à me faire gronder comme une fillette de 4 ans parce que j’aurais dû prendre mes précautions, et que le dommage que l’ITS avait fait, avait des chances de me rendre stérile. J’ai eu beau prier, crier, souhaiter, supplier, c’était déjà trop tard. Lorsque votre papa et moi avons entrepris le long chemin qui nous a menés jusqu’à vous, il nous fallait inéluctablement passer par la fécondation In Vitro. L’endométriose s’en est mêlé, puis la trompe qui a survécu à l’opération que j’ai dû subir il y a de cela 6 ans pour soulager mon mal s’est retrouvée entremêlée comme prise dans une toile d’araignée géante qui me pourrit les entrailles. Lorsque le médecin nous a dit qu’il nous faudrait probablement plus d’un essai, et nous a demandé si nous avions considéré l’adoption, je suis sortie du bureau en larmes. Jamais, je n’avais même une seconde imaginé adopter. Je voulais sentir en moi un être grandir, lui parler, l’apprivoiser, l’aimer durant 9 mois. Je voulais pousser avec toute la force que j’ai pour le sortir de moi et l’accueillir à bras ouvert. Je voulais qu’il ressemble à mon amoureux, je voulais que mon sang coule dans ses veines. Je me répétais que je n’étais femme qu’en surface et qu’à l’intérieur, j’étais creuse, vide et incapable. Puis, je ne savais pas du tout comment j’allais faire pour expliquer à Mika pourquoi je n’avais pas été en mesure de le garder près de moi, alors que j’avais choisi un enfant que je n’avais pas mis au monde pour accompagner mes journées. J’avais l’impression dans mon cœur qu’il verrait ça comme un acte de trahison, en plus de l’abandon.
Les mois qui ont suivi ont été difficiles pour nous. ‘Essayer’ de faire un bébé, ça sonne toujours bien, sauf lorsque l’on sait que nos efforts seront vains. On a tout essayé. Les jambes en l’air, l’acuponcture, les suppléments, le régime. Rien. Toujours vide.
Puis, le papillon a battu des ailes à nouveau.
La sœur d’une amie était enceinte, de jumeaux. La sœur d’une amie avait des problèmes de drogues dures et était sans domicile fixe. La sœur d’une amie allait confier ses enfants en adoption. La sœur d’une amie allait accoucher deux mois plus tard. En confiant ce drame à votre père, parce que tout ce qui touche de près ou de loin l’adoption me bouleverse énormément, je me suis entendue lui dire: « veux-tu qu’on les adopte? ». Je me souviens du regard qu’il a posé sur moi. Amoureux, attendri, comme s’il était soulagé que je le propose avant lui. Il a dit oui d’un seul souffle. Positif, excité. Puis tout a été très vite. Lorsqu’on lui a offert de vous accueillir, de vous adopter, de vous aimer, elle aussi elle a dit oui tout de suite. J’avais tellement peur ! Peur de ne pas être capable de ressentir la même chose que ce que j’avais ressenti pour Mika, peur de ne pas être prête, peur de perdre à jamais l’amour que mon fils aîné aurait pu avoir pour moi. Peur de le décevoir. Peur de tout. Peur dans mon cœur et dans mon âme, dans chaque recoin de tout mon être, peur.
Et puis, comme une tornade au Texas, vous êtes arrivés deux mois plus tôt que prévu, avec tambours et trompettes et puis toute la peur, l’appréhension, l’anxiété a fait place à un amour si grand et si inconditionnel que j’ai pleuré pendant toute votre première semaine de vie. Lorsqu’après 6 jours en incubateur, le personnel infirmier m’a demandé de m’assoir dans un des gros fauteuils d’allaitement et qu’ils m’ont dit qu’ils allaient vous déposer contre ma poitrine, mon cœur s’est mis à battre très fort et la tête s’est mise à me tourner. Je répétais dans ma tête ‘faites qu’ils m’aiment, faites qu’ils m’aiment’.
Comme un beau grand rêve doux, on vous a déposé ensemble sur ma poitrine dénudée et vos yeux se sont agrippés aux miens. J’ai caressé votre tête le plus doucement possible, du bout des doigts, pour ne pas vous faire de mal. J’ai touché vos mains et caressé votre dos durant deux heures. Vous m’avez apporté plus de bonheur durant ces deux heures que n’importe qui avant vous. Toute ma vie. Toute ma vie, je vous ai porté dans mon cœur. Une longue grossesse, une grossesse difficile, mais qui m’a menée jusqu’à vous. J’ai compté et recompté vos doigts et vos orteils, émerveillée. Toutes les infirmières pleuraient, nous disaient félicitations. Votre père a pris place dans le grand fauteuil à mes côtés et il vous a promis la lune. Il vous aimait déjà, lui aussi. Il disait ‘mes garçons’ avant même votre naissance et a appris le refrain du petit bonheur de Félix Leclerc, en français, juste pour pouvoir vous le chanter. Ce jour-là, j’ai décidé que je ne pouvais pas laisser ma peur de décevoir Mika me guider. J’ai
trois enfants. Trois beaux grands garçons et puis vous êtes des frères. J’ai compris ce jour-là, que mes vœux avaient été exaucés à travers votre adoption, et que j’étais la seule qui ne le voyait pas. Vous allez ressembler à votre père, parce qu’il vous aime, parce qu’il prend soin de vous et parce que vous avez déjà son caractère de cochon. Je vous ai porté. Je vous ai porté de par mon désir de vous toucher, de vous voir, de sentir votre odeur. Je vous ai porté longtemps, mes garçons. Je vous ai porté dans la manière que j’ai de toujours vouloir être près des enfants, peu importe où on va. Je vous ai porté chaque fois que j’ai regardé les vêtements pour enfants, dans les grands magasins. Je vous ai porté en achetant une maison avec cinq chambres, bien avant votre venue. Je vous ai porté et mes proches le savaient, que je vous portais dans mon cœur et dans ma tête, et c’est pour ça que votre tante m’a parlé de vous, parce qu’elle savait que nous étions faits pour être ensemble.
Le soir, lorsque je vous lis votre histoire, je pense à tout le chemin que nous avons dû faire pour nous trouver et je me surprends à sourire, en vous voyant tomber endormis blottis l’un contre l’autre dans mes bras. Je n’aurais jamais pu être plus heureuse qu’avec vous, jamais, et je ne peux imaginer mon existence sans vos yeux accrochés aux miens et vos mains dans les miennes. Je vous aime d’un amour profond, pur et sans secret. Je vous aime de la même façon que j’aime votre frère, avec les mêmes mots et sur le même ton. Je vous aime comme une mère aime ses enfants et toute ma vie, je vous dirai merci lorsque vous vous endormez contre moi. Merci, de nous avoir fait confiance. Merci, de vous être accroché. Merci, de nous avoir choisit.