Le fils de mon père

J’ai beau essayer de trouver dans mes souvenirs le moment où on m’aurait expliqué, lorsque j’étais enfant, je ne trouve pas. Je crois bien que ce moment n’a jamais eu lieu, qu’au lieu de m’expliquer, on m’a laissé comprendre. Je fais peut-être erreur, mais si tel est le cas, je n’ai quand même mémoire que d’avoir compris par moi-même que « Mononc » Luc et « Mononc » Raymond était un couple. Un couple comme papa et maman. Je vous arrête tout de suite, la raison pour laquelle j’ai compris n’est pas parce que « j’ai vu ». D’ailleurs, je n’ai pas mémoire d’avoir assisté à quelques effusions amoureuses que ce soit. Mais j’ai compris. L’amour, ce n’est pas juste de mettre ta langue dans la bouche de quelqu’un et de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. Ce n’est pas non plus juste de balader ta main sur la fesse ou la cuisse de ton partenaire. L’amour c’est dans les mots, mais surtout c’est dans les gestes. J’ai compris à la manière qu’ils avaient de dire « me passerais tu le jus d’orange », à la façon qu’ils attendaient d’avoir boutonné leur manteau tous les deux avant d’ouvrir la porte d’entrée toute grande sur un janvier venteux. C’est dans les sourires, c’est dans les clins d’œil, c’est dans le pas qui ralentit pour attendre l’autre sans que le sourcil ne se lève d’exaspération.

Souvent, je songe à mes grands-parents, au fait qu’un de leurs fils aime les hommes. Je n’étais pas là pour assister au « coming out » de mon oncle bien évidemment, mais je n’ai jamais perçu quoi que ce soit dans l’affection, l’amour et le respect qu’ils portaient à leur fils (et à son époux) qui aurait pu me faire croire qu’ils le rejetaient. Pour moi, c’était normal, qu’un homme aime un homme, parce que dans cet énoncé-là, il y a le mot « aime » et qu’aimer, c’est normal.

Des années plus tard, assise dans la voiture stationnée de ma mère, alors qu’elle était à la banque, mon frère depuis la banquette arrière m’a annoncé qu’il était homosexuel. Pas une grande surprise pour être honnête. Quand tu grandis avec quelqu’un, tu en arrives à le connaitre aussi bien que toi-même. Ses goûts, ses préférences, y’a des choses qui se savent sans qu’elles ne soient expliquées. Pas un choc, mais je me souviens très bien que dans mon cœur, j’ai eu de la peine. Je n’en avais que faire du sexe de la personne qu’il allait aimer. C’est du jugement des autres dont j’ai eu peur immédiatement. Je me souviens que ça m’avait fait mal en dedans et que je lui avais dit que moi au fond, j’avais simplement peur que ça soit difficile pour lui en générale dans la vie, à cause de son orientation sexuelle et ça, ça me rendait triste pour lui. J’avais peur que des portes se ferment, j’avais peur que ça chuchote, que ça soit méchant tout bas et tout haut. C’est niaiseux au fond, par amour pour lui, j’ai installé des craintes en moi.

Puis il l’a annoncé à mon père. Bon, il l’a annoncé à ma mère aussi, mais disons que pour un fils, je m’imagine que de l’annoncer à son père, premier modèle masculin, ça doit être une tâche plus difficile. Quand mon frère raconte l’histoire de son « coming out » à notre père, j’en reste toujours un peu émue et bouleversée. Pas parce que mon père a bien réagi, pas parce que ses mots ont été doux, calmes et rassurants, lorsqu’il lui a dit: « C’est correct, tout ce qui compte pour moi c’est que tu sois heureux mon gars », mais bien parce que mon frère faisait maintenant partie du faible pourcentage d’homosexuels ayant eu la chance d’avoir un parent qui les accepte.

Comme son oncle avant lui, mon frère a eu la chance d’évoluer dans une famille aimante, qui a accepté (à bras ouverts devrais-je dire) qui il est. Comme  je suis maintenant la maman de deux garçons, je me demande toujours comment je réagirais si l’un d’eux m’annonçait son homosexualité. On a beau être ouvert d’esprit, il semble que lorsque quelque chose nous arrive à nous, tout change et pas toujours pour le mieux. Je me dis que je suis comme mon père au fond, tout ce que je veux c’est qu’ils soient heureux. Je veux les aimer, les comprendre, les regarder et les encourager avec tant de vivacité et tant de conviction que si un jour ils ont quelque chose à m’annoncer, qu’ils puissent le faire sans pudeur. Sans attendre. Sans avoir peur. Si un jour mes enfants m’annoncent qu’ils aiment quelqu’un du même sexe, je vais les accueillir, les respecter, mais surtout, je vais saluer et applaudir le courage qu’ils ont eu de venir me trouver.

Mon frère, qui occupe un emploi au sein de la communauté LGBT et qui performe toujours au Cabaret Mado entre deux dossiers de Fierté Montréal, a la chance de pouvoir performer dans toutes les sphères de sa vie, parce qu’il n’a pas eu à se cacher, à avoir honte, à mentir. L’amour inconditionnel c’est ça. C’est une mère qui affiche fièrement sur le manteau de la cheminée la photo de sa fille au bras de sa femme. C’est un employeur qui ne questionne pas l’orientation sexuelle de ses employés et qui les pousse plutôt à donner le meilleur d’eux-mêmes, en les épaulant coûte que coûte. C’est une grand-mère qui est fière de la promotion du copain de son petit fils. L’amour inconditionnel, celui qu’on étale partout et dont on se vante lorsque nos enfants sont si petits qu’ils tiennent dans le creux de nos bras, celui qui nous fait promettre à nos enfants « je t’aimerai toujours quoi qu’il arrive » alors qu’ils ouvrent à peine les yeux pour la première fois, cet amour-là, c’est mon père qui accompagne son fils à un gala et qui lui dit fièrement, des étincelles dans les yeux : « Elle est belle ta robe, mon gars!



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