“T’en veux-tu?”

Au commencement du monde, il n’y avait absolument rien. Puis, il y a eu un big bang, une énorme explosion qui serait survenue il y a environ quinze milliards d’années et qui serait responsable de l’expansion de l’univers et de sa structure actuelle. Beaucoup de scientifiques s’entendent là-dessus; ça doit être vrai (!).

Au commencement de mon monde, y’a aussi eu un big bang. En fait plusieurs. Évidemment, quand le docteur m’a mis L’héritier dans les bras, y’en a eu un gros. Mais lorsqu’on a appris qu’il allait venir au monde par césarienne, y’en a eu un autre. Avant ça, le moment où l’on a su qu’on allait avoir un garçon, y’a également eu un big bang. Même chose la première fois où l’on a entendu le petit cœur battre. Le jour où L’amoureuse a passé son test de grossesse positif, y’a eu un énorme big bang. Et évidemment, quand on a conçu L’héritier, y’a eu… bon, faites pas semblant, vous avez compris.

Mais le plus gros big bang qui s’est fait sentir dans toute cette aventure, même si aucun scientifique ne peut prouver son existence, c’est définitivement le moment où L’amoureuse m’a demandé : « Toi là… t’en veux-tu des enfants? » Le terrible toi-là-t’en-veux-tu-des-enfants rempli du fameux sous-entendu moi-j’en-veux-j’espère-que-toi-aussi-mais-j’veux-surtout-pas-te-l’imposer. Celui qui fait disparaitre tout le sang qu’on a dans la tête d’un coup. Celui qui nous rend tout mous. On oublie qui on est, on panique. Surtout nous, les gars.

Mais ce fameux toi-là-t’en-veux-tu-des-enfants a été un moment charnière dans la vie de plusieurs hommes, dont moi. Parce qu’encore aujourd’hui, beaucoup de garçons ne se posent pas cette question-là. Et dans ma tête, la réponse était « non »; dans mon cœur, la réponse était « j’vais y penser »; dans ma bouche, la réponse a été « … euh… ». Merde : un délai. Court. Mais un délai quand même. Cet instant où les gars essaient discrètement de remettre leurs idées en place. On se pense ben subtils, les gars, mais on l’est pas pentoute. C’est précisément au moment où j’ai cru que ça passerait inaperçu que j’ai eu droit à la levée du sourcil dubitatif féminin qui nous annonce en grande pompe que nous avons été démasqués. Vous savez, les gars, la levée de sourcil qui provoque une chaleur intense. Celle qui nous donne l’impression d’être tout nu dans un endroit public. Les filles sont excellentes dans cette discipline. Comme j’étais maintenant à découvert devant L’amoureuse, j’ai dû me protéger et répondre rapidement ce qu’elle voulait entendre. Gagner du temps, c’était l’objectif. J’ai improvisé que je n’y avais pas encore sérieusement pensé, mais que j’avais l’impression que l’appel de la paternité me frapperait très bientôt. Que quelque chose me disait que j’aurais certainement des enfants un jour. Habile manœuvre puisque ça semble l’avoir rassurée. Quelques mois plus tard, on avait un petit pain dans le fourneau.

Ici, comprenons-nous bien : j’ai pas eu des flots pour faire plaisir à L’amoureuse. J’ai réfléchi sérieusement à cette question sérieuse : est-ce que je veux des enfants? En d’autres mots, est-ce que j’ai le goût de créer ma propre microsociété? De partager avec quelqu’un mes expériences? De tenir la main d’un plus petit et l’aider à faire les bons choix plus tard? De m’assurer que tous les apprentissages que j’ai eus dans ma vie ne serviront pas juste à moi, mais à d’autres générations aussi? Plus égoïstement, est-ce que j’investis pour que quelqu’un me tienne la main quand je serai vieux? Oui, c’est sûr, il y a eu « Est-ce que j’ai vraiment le goût de changer des couches en plein milieu de mon souper, de gérer une crise de larme pendant que je conduis, de modifier mon beat de vie, de réduire mes sorties? » Eh bien contre toute attente, le goût du partage a été plus fort que le goût du glamour. J’ai alors compris que le toi-là-t’en-veux-tu-des-enfants avait transformé mon couple en famille. Déjà.

Les gars, quand votre amoureuse vous posera la question, ne répondez pas sans réfléchir. C’est ce qui vous fera basculer du bon ou du mauvais côté. Je ne vous dis pas ici quelle réplique lui offrir, mais dans mon cas, si ma réponse n’avait pas été celle que j’ai donnée, les deux petits feux d’artifice que j’ai dans ma vie ne se seraient jamais allumés et je le regretterais amèrement. Le toi-là-t’en-veux-tu-des-enfants est une question que les gars ne se posent pas tous; on voit souvent la paternité comme un lot de problèmes, comme la fin de la belle vie, mais c’est aussi un lot de moments de grâce, le début d’une nouvelle vie. Mais ce n’est pas pour tous. Personne ne devrait avoir d’enfant s’il n’en veut pas vraiment. C’est trop demandant, trop important.

Je m’adresse autant à ceux qui disent oui trop rapidement qu’à ceux qui hésitent trop longtemps : n’attendez pas qu’encore une fois ce soit la fille qui propose le plan de match. Pensez-y avant. Comme ça, vous aurez déjà une réponse plus intéressante à donner que « … euh… ». Ensemble, les gars, évitons les levées de sourcils!



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