Le mouton noir le plus éduqué
Je viens d’une famille modeste. Des parents travaillants et soucie
Je viens d’une famille modeste. Des parents travaillants et soucieux de nous offrir un avenir meilleur. Mes parents ne sont pas restés longtemps sur les bancs d’école. Leur génération n’a pas trop valorisé la poursuite de longues études. Et qu’on se le dise, la pression d’aller sur le marché du travail était forte. Malgré cela, ils m’ont appris l’importance de l’éducation et que l’obtention d’un diplôme pourrait me simplifier la vie. Ils m’ont encouragée comme ils ont pu dans mon cheminement scolaire.
Le temps a passé et j’ai quitté mon petit village pour m’investir dans la grande ville. Je découvrais à quel point le monde pouvait être riche. Oh combien toutes ces nouvelles informations étaient stimulantes pour moi! Poursuivre des études était non seulement une façon de m’assurer un avenir professionnel, mais surtout, j’avais l’impression de devenir quelqu’un. Le savoir est devenu une bouée de sauvetage.
Je suis une personne ordinaire. Je n’ai pas de talent particulier et je ne me démarque pas spécialement. Mais à l’université, je devenais quelqu’un. Pas au sens glamour de la chose, mais plutôt face à moi-même. J’ai rapidement découvert que l’école et la bibliothèque pouvaient m’ouvrir un monde auquel je pouvais m’identifier. Côtoyer des gens qui aiment réfléchir et échanger est vraiment stimulant. J’apprenais une nouvelle façon de percevoir la société et les humains. À mes yeux, je demeurais la même personne, mais avec des connaissances en plus! Sans m’en rendre compte, un nouveau vocabulaire s’est installé. Sournoisement, un écart s’est creusé avec mes proches. On tentait tranquillement de me faire comprendre que la nouvelle version de moi-même commençait à déranger. Ce qu’on m’avait encouragée à faire devenait maintenant une source de rejet.
J’avais vraiment sous-estimé les impacts de mon cheminement académique sur mes relations familiales. C’était comme si, soudainement, j’étais devenue une personne avec qui ils n’avaient plus rien en commun. Les sujets d’actualités ne les intéressaient pas et les conversations d’opinion étaient tout aussi limitées compte tenu des idées arrêtées.
Tranquillement, on commençait à me glisser des phrases du genre : ah, on sait ben toi avec de grands mots compliqués…. Ah, écoute donc parler l’autre qui est allée à l’université… Bon, toi avec tes grandes théories…On avait décidé que j’étais une personne hautaine, qui se prenait pour une autre. On m’accusait de faire chier avec mes diplômes. Diplômes qui, étrangement, m’amenaient à travailler auprès des plus démunis. Eh ben! C’était tellement incohérent pour moi! Je souhaitais simplement jaser de mes journées avec les membres de ma famille. Et peut-être les faire bénéficier de mes connaissances, au même titre qu’on demanderait conseil à son beau-frère mécanicien.
Après plusieurs années à m’entêter et à essayer différentes approches, j’ai dû faire un choix. Cette situation prenait trop de place. Sans vivre de conflit ouvert, je sentais qu’un malaise planait et j’évitais les contacts. Avoir une bonne relation avec les membres de ma famille fait partie de mes valeurs les plus chères, mais je devais me fixer une limite personnelle.
La fille nerd qui aime les bibliothèques et qui s’implique dans des causes féministes devait se faire plus discrète. Sans nier qui je suis. Pour y arriver, j’ai surfé jusqu’à ce que je trouve l’équilibre entre mon identité et mes relations familiales. Cela n’a pas été sans défis. La preuve, mon nom ne se retrouve pas au bas de ce texte. Simplement parce que cela n’apporterait rien de mieux à ce que nous vivons.
L’effort de réflexion a été pour nous la façon de nous concentrer sur l’amour que nous avons les uns envers les autres. Garder nos liens simples, prendre soin les uns des autres et passer du temps de qualité ensemble.
Eva Staire