Dialoguer ?
— Maître, pourquoi ne voulez-vous pas protéger vos valeurs et vos enfants ? N’avez-vous aucun principe moral…
J’étais surpris de cette question de michel. Il était mon disciple préféré. Curieux, avec une soif inassouvie de connaissance. Sur tous les sujets. De loin le plus ouvert. J’entame alors le dialogue avec lui.
— Aide-moi à comprendre. Fais-tu référence à mes interventions sur les réseaux sociaux ?
— Oui, en voulez-vous des exemples ?
Cette impertinence me faisait toujours sourire. Je m’attends à ce que les esprits critiques s’y adonnent. Je prends alors le temps de faire une longue pause. Ça calme souvent les gens qui me paraissent trop émotifs pour discuter.
— … puis, Maître ?
— Dis-moi d’abord, michel, est-ce que tu me respectes ?
— …
— Alors pourquoi tu me poses une question multiple ? Rappelle-toi tes premières leçons ; il est impossible de répondre correctement à une question qui en contient deux. Alors, imagine celle-ci, qui en contient trois ! Permets-moi de te répondre différemment.
— Comme tous, j’exprime mes idées en tentant d’être cohérent. Évidemment, ma vision des choses évolue. Le maître, tout comme l’élève, n’a jamais terminé d’apprendre. Il est normal que mes principes moraux soient différents dans le temps. Je comprends bien mieux les liens entre la religion, les valeurs et les principes. Pour ces derniers, je tente de respecter l’essence de ce qui est nécessaire pour la vie en société. Sur la base du respect de l’autre et du partage de l’espace commun.
— Mais pourquoi nous n’avons pas tous les mêmes principes ? Ce serait bien plus facile…
— C’est vrai ! Il est plus simple de voir les choses de la même manière. Mais c’est malheureusement impossible. L’homme cherche trop à avoir raison et pas suffisamment à comprendre… Il doit alors faire l’effort de se concerter pour mettre des balises. En cherchant à ce qu’elles conviennent au plus grand nombre. C’est un peu ce qu’on retrouve dans les grands énoncés des droits fondamentaux. Le droit à la vie, à la liberté de penser, à l’éducation, au bonheur…
— Je comprends, Maître. Désolé d’avoir douté de vous sur ce point. Je connais vos valeurs. Elles sont toujours dans le plus grand respect de l’homme. Quel qu’il soit, quel que soit l’endroit d’où il provient. Et même, malgré ce qu’il croit être sa pensée.
— Tu me parles de protéger mes enfants ? La réponse est évidente. Mais je dois les protéger de quoi, de qui ? De ceux qui veulent toujours plus d’armes ? De conflits ? Il est de mon devoir d’assurer leur sécurité. Mais je constate que la fermeture à l’autre, l’étranger, ne peut la garantir. Au contraire. Aucun mur ne peut réussir ce qu’un pont peut faire. Crois-tu que tu pourrais comprendre les choses si tu étais isolé de celles-ci par une cloison ? J’enseigne à mes enfants à accepter l’autre. Dans toutes ses différences.
— Et la protection de nos valeurs communes ?
— C’est le plus grand piège de ta question. Le plus souvent, quand tu demandes à ces personnes — celles qui émettent l’ultimatum — quelles sont ces valeurs, ça reste vague. Le risque est trop grand. Si elles sont clairement exposées, elles ne peuvent toutes être partagées. Le groupe implosera de lui-même. Moi, je reconnais facilement que les leurs sont fondées sur l’exclusion. Sur le « nous contre eux ». Je suis alors effrayé. As-tu les yeux bleus ?
— …
— Nous savons tous les deux la réponse. Dans le discours haineux de ceux qui prônent l’exclusion, personne n’en connaît l’aboutissement. Des régimes totalitaires, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont donné des réponses claires. Le mouvement est trop dangereux pour accepter le moindre pas.
michel