La nouvelle école
C’est la rentrée! Déjà en troisième année, cette fois dans une nouvelle école…
Ça n’a pas été facile ces derniers mois. Il y a eu le déménagement et ses deuils à faire… puis les inquiétudes face au fait d’intégrer une nouvelle école. L’été a été rempli de beaucoup d’anticipation, de peurs, de scénarios imaginaires inquiétants, de nuits agitées.
Mais il a aussi été rempli d’histoires où on essayait de visualiser la possible nouvelle amie, l’enseignante trop cool, les jeux, les rires… essayer de chasser les peurs et de s’encourager, de se rassurer en se disant que tu te fais des amis facilement d’habitude, les profs t’aiment toujours, tu as toujours eu de bonnes notes, tu es débrouillarde. On a tellement essayé de se convaincre que ça irait.
Il y a deux semaines, tu as enfin pris ton courage à deux mains et tu es allée faire connaissance avec les enfants qui partagent notre ruelle. Si tu savais comme ça m’a soulagée de savoir que tu ne serais pas totalement seule le jour de la rentrée. Je fais ma forte, je te montre un visage positif et j’essaie du mieux que je peux de te faire regarder l’avenir et les épreuves positivement. Mais au fond de mon cœur, j’étais inquiète moi aussi… Je n’en ai jamais parlé, mais je dormais mal moi aussi, tu sais?
Malgré moi, parfois je t’imaginais rejoindre cet amas d’enfants hésitante et timide, assise toute seule, le cœur gros, au milieu des jeux des autres à la récréation. Les mamans ont toujours un peu peur que l’enfant qui mange seul soit le sien. On a toutes peur que même si on a acheté la plus belle boîte à lunch au monde, notre petit amour soit celui qui s’y enfonce le visage à l’heure du dîner pendant que les autres rigolent avec leurs amis.
C’est nouveau pour toi de devoir affronter autant d’inconnus à la fois. Même en maternelle, nous avons planifié les choses pour que tu y retrouves tes amies de la garderie, pour que tu connaisses déjà le quartier, que tu te sentes en sécurité et entourée. Je comprends tellement que toute cette nouveauté soit effrayante pour toi du haut de tes huit ans. Pour te dire vrai, j’ai peur aussi…
Voilà la journée de la rentrée. Je t’ai préparé un lunch spécial, je l’ai rempli de tellement de choses que tu aimes! Tu en rapporteras sûrement plus que la moitié tellement il y a de collations. C’est sûrement un peu ma façon d’essayer de compenser le stress et l’inquiétude, comme si les amandes enrobées de yogourt et les quelques fraises aromatisant ta bouteille d’eau pouvaient t’apporter le réconfort que je ne pourrai pas t’apporter pendant cette journée.
C’est l’heure. Nous quittons la maison et faisons, main dans la main, ce petit trajet que tu feras si souvent. Tu es heureuse et enthousiaste. Moi, j’ai secrètement le ventre noué. Arrivée devant l’école, tu retrouves avec joie ta nouvelle amie, rencontrée il y a quelques jours. C’est tellement rassurant de connaître quelqu’un avant d’entrer dans la cour. Je sais que derrière ton sourire, tu as un peu peur. Je me rends compte que tu as le même talent plate que moi : tu caches vraiment bien ta peur derrière ta façade enthousiaste. Je me demande si c’est une bonne ou une mauvaise chose que tu me ressembles déjà là-dessus…
Je sais que tu as peur, mais que tu fais tout en ton pouvoir pour ne pas laisser ta peur prendre toute la place. Je l’ai compris ce matin quand on se pratiquait à lacer tes nouveaux souliers pendant que tu répétais encore et encore que tu ne voulais pas faire rire de toi… On a encore de la difficulté avec ça et tu es déjà trop grande pour te sentir normale là-dedans. On pratiquait encore et encore pendant que mon café refroidissait sur le comptoir. Je sais bien qu’au fond, les lacets, tu t’en moques un peu ; c’était une façon de canaliser la peur d’affronter cette journée.
Comme j’aurais voulu repousser encore d’un jour, prendre le temps de maîtriser cette délicate opération qui n’est pas encore devenue automatique pour toi. J’aurais voulu me coller, écouter un film plate ensemble dans mon lit, boire mon café au soleil pendant que tu joues dans la ruelle. Mais non. Mon café refroidit pendant qu’on fait toutes les deux semblant que la maîtrise de la combinaison du lapin qui « fait le tour de l’arbre et entre dans le trou » est la vraie source de nos sentiments.
On arrive à l’école. Moi qui étais tellement inquiète, je te regarde quitter avec ta classe, pleine d’assurance. Tu ne t’es même pas retournée pour me lancer un petit regard d’inquiétude. Tu es partie comme si tu étais déjà dans ton élément, même si tu venais d’apprendre que cette nouvelle amie n’est finalement pas dans la même classe que toi. Je me souviens de la petite main de ta sœur dans la mienne au même âge, serrant un peu trop fort, du regard de panique quand nous avions compris que c’était l’heure de se quitter. Elle qui était d’habitude tellement autonome et indépendante, tellement plus que toi… Je m’attendais au même genre de moment avec toi… mais non. Tu es vraiment différente, surprenante parfois.
Les enfants grandissent tellement vite… tu es déjà si grande…
Souvent, j’ai l’impression que tu grandis plus vite que moi.
Marie-Eve Massé