« Mais t’as pas l’air malade?! »

Depuis treize mois, je vis mon quotidien entre les quatre murs de ma charmante maison, mais depuis trente ans, je vis mon quotidien entre les quatre murs de ma tête douloureuse…

J’ai toujours eu mal à la tête. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu cette douleur lancinante entre les tempes, tellement que j’ai longtemps cru que c’était normal. Un mal quotidien, parfois léger, mais plus souvent qu’autrement si intense que le contenu de mon estomac se retrouvait dans la cuvette des toilettes… J’ai vécu ainsi les vingt-trois premières années de ma vie et puis j’ai trouvé un remède… Être enceinte! Neuf mois sans aucun mal de tête, deux fois! Et puis les deux fois, inévitablement, j’ai accouché! Oh misère! Le mal se multipliait à mesure que la famille s’agrandissait. Après bébé numéro deux, la douleur a atteint son apogée. Mais, je gérais, je suis faite forte; pourquoi étaler cette maudite souffrance de toute façon?

Un jour, assise dans le bureau de mon médecin, elle se tenait devant moi le regard grave et un air sévère que je ne lui connaissais pas. J’ai le même médecin depuis plus de vingt ans, elle connaît mes migraines depuis que je suis toute petite. Elle connaît aussi mon caractère, ma carapace, mais surtout ma fierté. Quand elle s’est mise à parler, les larmes sur mes joues suivaient le rythme : « Tu dois t’arrêter, tu dois te reposer, tu dois t’écouter. À partir de maintenant, tu seras à la maison jusqu’à ce qu’on te soulage, même si tu ne veux pas, ce sera ça. »

C’est comme si on me disait que j’avais perdu la bataille. Les maux de tête m’avaient eue. J’ai vécu tout ça comme un immense échec. Des semaines de noirceur et d’inquiétudes, des dizaines de tests, tout autant de médecins. Personne n’arrivait à trouver. J’ai essayé tous les médicaments, toutes les façons de me les administrer et j’ai enduré leurs foutus effets secondaires. Je me suis auto-injecté des médicaments, moi qui avait une peur bleue des aiguilles. J’ai tout fait. Je souffrais de migraines chroniques, comme 1 % de la population québécoise, et personne n’arrivait à me soulager.

Jusqu’à ce qu’on parle du Botox. La solution qui serait peut-être miraculeuse. On allait m’injecter cet agent de comblement dans la tête, le visage, le cou et les épaules de façon à calmer le mal. Un long processus vraiment douloureux combiné à 850 km aller-retour toutes les douze semaines. Sans aucune garantie de succès.

J’ai reçu mon troisième traitement cette semaine, le dernier espoir, le dernier essai, celui qui me dira si enfin, je retrouverai un jour un peu de paix. Dans quelques semaines, je crierai victoire ou je pleurerai un autre échec. Si ça fonctionne, je peux espérer un soulagement d’environ 50 %, peut-être plus, peut-être moins. Mais toute ma vie, toutes les douze semaines, une petite aiguille fera une quarantaine de trous dans ma tête.

Mais pour la première fois en trente ans, je me donne le droit d’avoir mal. J’essaie chaque jour de vivre avec, mais de façon saine. Les personnes qui m’ont déjà vue en crise de migraine, je les compte sur les doigts d’une main. Je peux aussi compter sur les doigts de cette même main le nombre de fois où l’homme qui partage ma vie chaque jour depuis plus douze ans m’a vue perdre le contrôle face à la maudite douleur. JE ME CONTRÔLE, toujours. Quand je suis allongée, à moitié nue sur la céramique de la salle de bain, dans le noir complet à me vomir les tripes tellement j’ai mal, je ne veux que personne ne voie ça, personne.

Alors quand je te croise à l’épicerie et que tu me regardes l’air songeur en me disant : « Ouais, mais t’as pas l’air malade?!», tu sais quoi? Je t’emmerde. Et toi, qui me vois dans la rue ou n’importe où ailleurs et qui me juges, tu sais quoi? Je t’emmerde aussi. Non je n’ai pas l’air malade, et j’espère ne jamais, au grand jamais, avoir l’air malade. Je me suis déjà souhaité un cancer ou une jambe en moins pour qu’on arrête de porter ce regard sur moi. Mais aujourd’hui, c’est terminé! Et je sais que toutes les personnes qui, comme moi, souffrent en silence, sans marques sur leur corps, t’emmerdent aussi!

Quand on insère dans ma tête la douloureuse aiguille qui me soulagera peut-être. Quand j’avale ces foutus médicaments qui brouillent ma mémoire et mes facultés. Quand je me réveille en plein jour et que le soleil qui brille me fait mal au lieu de me faire du bien. Il n’y a que moi qui sais combien c’est difficile. Mais si un jour, un mal invisible s’attaque à toi, je sais que tu me comprendras enfin. Et tu sais quoi? La vie m’a appris que tu auras besoin de mon empathie malgré toutes les fois où, toi, tu as eu le jugement facile.

 

Karine Arseneault



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