4745 jours

Hier, il me demandait : « Maman, ça fait combien de jours que je vis depuis ma naissance? » 4745 jours. 4745 grains de sable qui s’écoulent de mes mains, peu à peu…

Lorsque tu es enceinte, tout le monde te dit d’en profiter parce que ça passe vite. Et c’est lorsque tu sors de l’hôpital que le sablier est en marche et il s’écoule à toute vitesse! Connaissais-tu le Mieux Vivre par cœur? Avais-tu déjà inscrit ton enfant sur la liste des milieux de garde? Que ton (ta) partenaire de vie et toi croyiez être ready ou non, le boss, ce n’est plus toi. Le boss, c’est le temps… et tu ne peux rien contre lui…

Les premiers mois s’écoulaient très, trop lentement. Me coucher, pendant ses trop courtes siestes (coudonc, un bébé, ça ne dort pas?), l’installer à mes côtés, l’après-midi, pour qu’il entende ma respiration forte et forcée pour qu’il ferme enfin ses yeux et me donne du répit… Rêver de retourner travailler, après mon année de congé de maternité parce que faire le tour de la cuisine avec lui sur mon dos à jouer au cheval, un moment donné, ça fera!

Puis, c’est l’entrée au CPE, à gérer les matins pressés, les retours à la maison en lui parlant, pour le stimuler, toujours. Et choisir que ce sera le seul rejeton, qu’il n’y en aura qu’un seul. Parce que toute l’énergie que nous avons, son papa et moi, sera déployée pour notre unique et seul enfant. Que le raz-de-marée du temps nous emporte, nous compresse, nous comprime. Si nous voulons rester un tant soit peu vivants, la lignée s’arrêtera ici. Le temps fuit, court…

Un matin de la fin août, il entre à la maternelle, pleurant toutes les larmes de son corps, s’accrochant à moi lorsque je le dépose au service de garde… Et là, la tempête des grains de sable a tout emporté. Les journées d’école, les fêtes d’amis, les rendez-vous, les bobos, les peines et les joies, les projets de brochettes de fruits en classe nous mèneront directement dans les griffes du sablier à vitesse grand V. Il perd une dent, puis plusieurs. Les poussées de croissance qui se succèdent (et la facture d’épicerie qui gonfle, ça mange donc ben ces bibittes-là!?) et mes soupirs de soulagement : « OUF une autre de terminée ».

Non, ce n’est pas un enfant malade, c’est un enfant, point. J’ai toujours été celle qui a beaucoup joué avec lui. Oui, j’ai fait des forts de neige, j’ai patiné et glissé avec lui. Oui, je l’ai amené au parc, aux glissades d’eau, aux spectacles pour enfants, en camping. Oui, j’ai joué aux Lego, aux petites voitures. Oui, nous avons taponné de la pâte à modeler, nous avons cuisiné. J’ai tout fait cela avec mon trésor. Oui, nous avons bâti des souvenirs précieux, si mémorables. Des moments de qualité, j’en ai vécu plein et c’est ce qui me fait le plus mal. Où sont-ils passés?   

Aujourd’hui, il a treize ans… Le temps, ce voleur, est en train de gagner. Parfois, le soir, seule dans mon lit, je pleure. Je pleure sur ce qui ne reviendra jamais. Je pleure, car je sais qu’il partira de la maison, un jour prochain, tout bientôt. Cet hiver, en jasant avec lui de tout et de rien, il me disait : « Maman, quand je vais partir en appart, vas-tu m’aider à payer mon épicerie et m’amener au Costco? » Les oreilles me frisaient! Mon bébé, mon seul et unique enfant se voyait déjà partir de la maison?

L’ado, qui est plus grand que moi, part maintenant des après-midis complets faire du vélo avec ses amis. Je lui propose encore des activités et il roule des yeux en me disant « FRANCHEMENT, je n’suis plus un bébé là! ». Pouet pouet pouet! Arrange-toi, la mère aux prunes!

Le temps, ce voleur… 4745 grains de sable sont partis et ne reviendront pas… Le temps file, pour tout le monde. Il ne me prendra jamais l’amour inconditionnel que j’ai pour lui…

Solène Dussault



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