Cordonnier mal chaussé…
Je suis éducatrice à l’enfance depuis plus de dix ans. De l’expérience, j’en ai cumulé pas mal. De surcroît, j’enseigne en Techniques d’éducation à l’enfance depuis quelques années. J’enseigne aux futures éducatrices à devenir les meilleures… la crème de la crème ! Je leur transmets ma passion, des théories fascinantes et des anecdotes croustillantes. Les enfants, ça me connaît ! Pis en plus, il parait que j’en ai trois à moi ! Oui oui, trois.
Quand j’ai accouché, je me sentais confiante et compétente. Je savais quoi faire et comment le faire. L’arrivée du deuxième a un peu compliqué les choses. Ça nous a demandé un certain temps d’adaptation, mais je gérais encore très bien. Puis ma petite dernière a remis en doute mes certitudes sur mes compétences parentales et éducatives.
À un an, elle ne marchait pas ni ne parlait. « Pffff, rien d’inquiétant », que je me disais. Mais son pédiatre ne cachait pas son air inquiet… « Elle refuse de se mettre debout… Elle refuse de déposer ses pieds par terre… Elle perd encore souvent l’équilibre… Je n’aime pas ça. », qu’il disait. Moi, je le trouvais trop alarmiste. Mais je ne faisais quand même pas du déni… hein !? Parce que c’est ça, ma job : je stimule les enfants pour assurer leur bon développement dans toutes les sphères. Je n’avais quand même pas échoué pour mon propre enfant ? Et une bonne partie de mon travail consiste à démontrer aux parents concernés les retards de développement de leurs enfants, afin qu’ils aillent consulter le plus tôt possible. Je n’allais quand même pas me mettre moi-même la tête dans le sable, hein ? Si.
J’ai choisi de fermer les yeux et d’attendre. J’ai fait du déni. Moi ça, j’ai fait l’autruche… Puis, six mois plus tard, j’ai dû regarder la réalité en face. Ma fille, mon dernier bébé, était « en retard ». Une fois la claque en pleine face passée, j’ai fait ce qu’il fallait. On s’est serré la ceinture, on a coupé dans toutes les dépenses qu’on pouvait réduire, et on est allés « au privé ». Parce que le système public étant ce qu’il est, je déclare qu’il est hors de question que ma fille entre à l’école avec des retards parce qu’il n’y a jamais eu de place pour les suivis dont elle avait besoin.
On a commencé en ergothérapie. Puis en physiothérapie. On a rencontré des gens humains, compréhensifs et d’une douceur inouïe. Quelques semaines après seulement, mon bébé marchait. Ça a l’air facile, dit de même, mais comme ça a été ardu ! On a fait des exercices, tous les jours, trois à quatre fois par jour. On l’a soutenue, encouragée, poussée toujours plus loin. Elle avait un retard moteur diagnostiqué. Environ trois stades de retard. Un an plus tard, elle est à moins d’un stade de retard et on continue de travailler très fort. Ici, monter un escalier prend dix minutes, mais on y arrive !
On poursuit maintenant les tests et les diagnostics en audiologie et en orthophonie. Dans le système public, en cas de retard de langage, on offre des cours de stimulation du langage aux parents. On leur apprend comment faire un bon modèle verbal et comment bien intervenir pour aider leurs enfants. Ils font aussi des ateliers parents-enfants pour stimuler les enfants de façon amusante… Mais moi, c’est ça, ma job : faire constamment en sorte que les enfants soient stimulés et qu’ils apprennent par le jeu. Alors encore une fois, je dois me diriger vers le système privé si je veux réellement aider ma fille. Elle aura un suivi plus spécifique et mieux adapté à son état.
Je ne suis pas en train de me plaindre. Je suis parfaitement consciente que des milliers de parents font face à des diagnostics mille fois pires que ceux de ma fille. Des enfants souffrent de syndromes et de maladies inconcevables qui nous fendent tous le cœur en mille miettes. Je sais que ma fille est en santé. Je sais qu’elle est heureuse. Je sais que tout va bien aller. Mais je sais aussi que rien ne sera facile dorénavant.
Un enfant qui a des besoins particuliers, ça rime avec des suivis onéreux et des rendez-vous qui se multiplient plus vite que des petits lapins en chaleur. Ça veut aussi dire que chaque petit progrès mérite un gâteau et une fête, parce qu’on le mérite tous au bout du chemin. Chaque marche de l’escalier montée mérite la danse de la réussite. Pis maudit qu’on est fiers !
Parce que je refuse de chialer sur les combats au quotidien avec les spécialistes, les médecins, la garderie, les amis et la famille qui ne comprennent pas toujours notre réalité. Moi je veux me concentrer sur chaque fierté, sur chaque petite victoire et sur tous les petits bonheurs qu’on réussit à attraper au vol. Parce que ma fille est en santé. Parce que ma fille est heureuse. Et parce que c’est tout ce qui compte.
Joanie Fournier