Guide de survie pour la mère que je suis

Les enfants. Mes enfants que j’aime tant. Je les louangerai une autre fois. Ce qui m’occupe ici ce sont toutes les fois où dans ma tête, je les aurais mis au chemin. Vendus sur Kijiji. Pire : toutes ces fois où je les aurais donnés ou échangés contre un voyage dans le Sud. Super maman me direz-vous. Ça n’a aucune importance. L’effet est là. Ça m’apaise, me libère et vous aurez compris : je ne l’ai pas fait. Ils sont toujours vivants. Et moi aussi.

Toutes ces crises au supermarché, ces refus tenaces de collaborer, les pleurs à ne plus finir, les engueulades avec le frère ou la sœur, la moue qu’ils font quand on leur présente le souper qui bien sûr ne leur plaît pas et les terribles argumentaires avec nos ados où on se croirait en plein plaidoyer. Toutes ces fois où elle a largement dépassé l’heure de rentrée — et qu’on s’imagine déjà qu’elle a été enlevée — attachée dans une sombre cave — seule; criant notre nom — qu’on passera à Denis Lévesque en réclamant notre bébé… Toutes ces fois où il nous répond par des grognements, ayant oublié le langage humain; tous ces mensonges éhontés et surtout mon dieu, surtout leur sourire arrogant et triomphant.

J’en peux plus.

Faudrait pas non plus oublier cette fantastique invention, mais ô combien terrible pour des parents. La voiture. Milieu fermé et diaboliquement hermétique. Quatre portes. Deux enfants à bord qui se chamaillent, crient et pleurent. Lequel je laisse sur le bord du chemin? Dilemme confrontant parfois. Je me suis même surprise à chantonner ma petite vache qui a mal aux pattes en les pointant du doigt. Mais non; ils ne m’ont pas vue…

Tout y est passé dans ma tête. Pour chacun d’entre eux. Dix-sept ans que ça dure par intervalles. Du bac de récupération jusqu’à une pancarte au cou dans une vente de garage. Mais ça me fait un bien fou. Les images se bousculent, je ferme les yeux et je respire un grand coup. Et après tout cela, je serai la première à accourir à mon bac imaginaire en m’excusant d’avoir pu penser toutes ces obscénités, ces choses dont on ne parle pas, car il ne faut pas lorsqu’on est une bonne mère.

Maudite culpabilité.

J’entends déjà crier au scandale. Ça m’importe peu. D’avoir mes fantaisies, de me permettre de les vivre par en dedans, de les écrire fait de moi une meilleure mère. Je ne leur donne pas vie. Je ne les actualise pas si cela peut vous rassurer sur ma santé mentale. Afin d’être une mère assumée et aimante, afin de désirer être un phare dans leur vie, une lumière si petite soit-elle, je dois composer avec ma zone d’ombre. Et avec la leur.

Est-ce que je suis en train de me justifier, là?

Pas toujours facile d’être mère. Pas toujours facile d’être père. Pas toujours facile la vie de parents. Pas toujours facile la vie d’enfants.

Mais bon dieu que je les aime.


Isabelle Bessette

 



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