Journée de m*rde – Mère de m*rde

Journée de travail et de garderie terminée, on vient d’arriver à la maison. J’aimerais qu’il soit 20 h. J’aimerais avoir une bouteille de blanc dans le frigo. J’aimerais ne pas avoir trois paniers de linge rose et mou à plier. J’aimerais que tu sois déjà au lit. J’aimerais t’empailler, te transformer en statue, te téléporter chez ton père invisible. Ce soir, tout m’irrite. Toi aussi.

En entrant dans l’auto, après la garderie, tu as jugé bon de cracher par terre parce que quelque chose piquait ta langue. Tu as ouvert ton gobelet de jus de raisins juste au moment où j’ai arrêté l’auto à un stop. Bien sûr, il s’est renversé sur toi. Tu as pleuré en disant que c’était froid et que tu étais mouillée. En sortant de l’auto, tu as glissé sur une plaque de glace. En t’aidant à te relever, j’ai glissé moi aussi. À ce moment, j’ai un peu haï ma vie. Ma journée de marde se transformait en soirée de marde.

Sur les cent mètres qui séparent le stationnement de notre porte d’entrée, tout s’est bien passé. À la fin du trajet, tu as pris un petit glaçon qui se trouvait sous la voiture de la voisine et tu l’as mis dans ta bouche. Je t’ai regardée, mais je n’ai rien dit. À table pour le souper, tu as mis près d’une heure pour manger la moitié d’un fajitas. L’heure du bain venue, tu ne voulais pas y aller. Une fois dedans, tu as fait de l’eau partout et tu as vidé la bouteille de shampoing dans l’eau du bain. Maman, ça pique mes fessssses. Je t’ai rincée. La respiration courte et les mâchoires serrées, mon niveau d’amour inconditionnel a diminué.

Quand j’ai sorti les draps de la sécheuse pour faire ton lit, tu as eu l’imprudente idée de vouloir m’aider. Non, maman, c’est moiiii, toute seule. Je t’ai regardée placer le coin du drap en bas à droite. J’ai vu le coin du drap en bas à droite se défaire quand tu as entrepris de placer le coin du haut à droite. Je t’ai vu revenir placer le coin en bas à droite et vu le coin en haut à droite se défaire. J’ai perdu un millimètre de molaires à force de serrer les dents. À bout », je t’ai dit de te tasser et j’ai fait le lit. Tu as pleuré. Je me suis sentie coupable en plus d’être exaspérée.

Les dents brossées, le pyjama enfilé, je t’ai prise sur moi et j’ai commencé à te bercer. Il était une fois… « Non maman, c’est pas ça l’histoire. C’eeeest tout à coup… le lapin… il se sauve et là, Elisabeth, elle, elle prend l’avion avec Mamie pour aller à Cuba et un mystère méchant arrive sur la pointe des pieds ». « C’pas une histoire, ça, Mia. Je comprends pas ce que tu veux dire ». « Oui, c’est l’histoire de lapinouuuu. » Tu pleures. Je suis une mauvaise mère. Je respire. On finit ton histoire incompréhensible, à deux. J’ai le nez qui saigne et les yeux injectés de sang. Je t’embrasse. Je sors. « Maman, je t’aime », que je t’entends dire dans le noir de ta chambre. Je remplace le « Étouffe-toi » qui me brûle les lèvres par « Moi aussi, mon amour ». Je respire.

20 h 45. Je m’assois sur le divan. Je fais du Facebook. Je regarde des vidéos de bébés chats. J’inspire pour cinq : un, deux, trois, quatre, cinq. Je retiens pour cinq : un, deux, trois, quatre, cinq. J’expire pour cinq : un, deux, trois, quatre, cinq. Bis. Bis. Re-bis. Ça va mieux. Je me relève et je vais dans ta chambre. Tu dors. Tu es si belle et si paisible avec des mèches blondes sur ton front, ta petite main sous ta joue et ton pot de Vicks pour enfants dans l’autre main. Je te borde, je t’embrasse. Tout bas, je m’excuse d’avoir été une maman de marde ce soir. Ce n’était pas toi, c’était moi. Puis je sors… sur la pointe des pieds. J’ouvre le frigo, je ramasse quelque chose à grignoter et je vais dans ma chambre. Assise dans mon lit, je regarde des photos de toi bébé en mangeant le dernier Ficello que tu voulais manger pour le déjeuner. Je souris. Des fois, ça fait du bien de respirer.

Liza Harkiolakis



Commentaires