Ma fille est partie

Ma fille est partie de la maison. De ma maison. À 14 ans. J’ai arrêté de respirer à ce moment-là.

 

Nous avions une belle relation. Ma fille est intelligente, sociable, belle et bourrée de talents. L’adolescence nous avait frappées de plein fouet deux ans auparavant. Ça allait. Nous étions capables de trouver des zones de confort dans toutes ces turbulences émanant d’elle ou de moi. Pas facile, la relation mère-fille par moments. Mais ça, c’est un autre sujet.

Et puis est arrivé ce qui arriva. J’avais quitté son père quelques mois auparavant, après 14 ans de vie commune. Je crois qu’elle m’en a voulu. Qu’elle m’en veut probablement encore. On n’en a jamais parlé ouvertement. Il y a des sujets sensibles, plus difficiles à aborder sans que les larmes n’arrivent. On a préféré ne pas pleurer ensemble.

Elle était déjà au secondaire depuis un an. Elle s’est faite de nouveaux amis, était à la recherche de plaisirs et a commencé à consommer. Dégringolade des notes scolaires, humeur en dent de scie et bris de communication. Je lui faisais part de mes inquiétudes et de mes préoccupations adéquatement (ou pas, je dois l’avouer). Je ne tolérais pas qu’elle fume la cigarette ou du cannabis dans sa chambre. Je l’ai avertie à quelques reprises la menaçant d’enlever la poignée de porte de sa chambre si je retrouvais à nouveau des mégots dans ses tiroirs.

J’ai enlevé la poignée de porte. Au retour de la fin de semaine chez son père, elle n’y a vu que du feu et surtout, une intrusion, mon intrusion, dans sa grotte secrète qu’était devenue sa chambre. Elle a pris un sac de poubelles, y a mis quelques vêtements et elle est partie. Elle n’est jamais revenue chez moi.

Comment a-t-elle vécu tout cela? Je ne sais pas. Ce n’est de toute façon pas important ici. Moi, j’ai pleuré ma vie, ma fille, la mère que j’étais. J’ai tout remis en question; de ma vie d’avant jusqu’à aujourd’hui. J’ai cherché des réponses; j’en ai peu trouvées. Tout y est passé : les remords, la culpabilité, la rationalisation, la colère, la tristesse, le déni. Toutes ces émotions pêle-mêle qui font partie du processus du deuil. Je n’ai pas fait le deuil de ma fille. Je ne le ferai jamais. Je fais toutefois le deuil de notre relation d’avant. Je la voulais petite, ma fille. Je me suis toujours investie auprès d’elle, je l’ai encadrée, probablement trop surprotégée. Trop de cadres, trop de contraintes et la déception et les inquiétudes qu’elle voyait dans mes yeux. C’en était probablement assez pour elle.

Les semaines et les mois ont passé. Elle habite à temps plein chez son père. Elle est revenue vers moi doucement par des textos et quelques brèves rencontres. Tout est encore fragile; elle et moi le savons. Mais nous nous aimons. Elle va bien aujourd’hui. Elle est heureuse chez son père, a fait quelques changements d’amis et les notes scolaires sont au beau fixe.

 

Au moment d’écrire ces lignes; mes yeux se mouillent. J’ai une peine infinie. Toutefois; je respecte qu’elle ait fait ses choix, qu’elle ait eu besoin de se dissocier et de prendre une distance avec sa mère. Sa mère qui est moi. Je me console en me disant que ce n’est que pour mieux revenir.



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