Merci de refuser mes excuses

Je reçois un appel du service de garde. Puis de l’enseignante. Puis de la technicienne en éducation spécialisée. Un même message : mon fils a eu une mauvaise journée. Encore. Il a insulté sa voisine de pupitre, a crié après la prof, s’est sauvé dans l’école, a frappé dans la porte à grands coups de pied. Et quand les intervenants interviennent, il baboune, refuse de collaborer. À la question : « Qu’est-ce qui te fait agir comme ça ? », il répond par l’évasive « Je ne sais pas ». Ou par la réplique « autruche-tête-dans-le-sable » : « Je ne veux pas en parler ». On ne va pas loin, avec des réponses qui n’en sont pas…

Lui qui est si gentil d’habitude… tellement affectueux, bon leader, joueur, hop-la-vie ! Mais dès qu’il doit affronter un changement, un départ, l’absence d’un parent, ça dérape. En tant que famille en garde partagée, les changements, les départs et l’absence d’un parent sont… comment dire… constants ? Bref, pas l’idéal. Autrement dit, mon petit bonhomme vit quotidiennement des émotions fortes, qu’il gère de son mieux avec notre soutien. Il apprend, il avance de trois pas, puis recule de deux. Mais il avance.

Alors aujourd’hui, comme la semaine précédente et l’autre d’avant, notre bonhomme a fait du trouble à l’école. Et le personnel de l’école a fait ce qu’il avait à faire : intervenir, mettre des conséquences naturelles, encadrer, lui permettre de s’exprimer, ajuster les interventions, faire du renforcement positif, communiquer avec les parents, travailler en équipe avec le reste du personnel.

Des fois, je me dis qu’ils doivent être écœurés. Qu’ils ont autre chose à faire que de gérer mon petit homme et ses montagnes russes émotives. Il y a quand même 499 autres élèves dans l’école, chacun avec son bagage d’émotions… Je me dis qu’ils doivent se dire que vraiment, les parents l’ont échappé, qu’ils ont failli à leur job de parents. Mais non. À aucun moment, ils ne m’ont fait sentir mauvaise mère ou inadéquate.

« Je suis vraiment désolée qu’il agisse ainsi… ce genre de paroles ne passent pas à la maison, je sais qu’elles ne sont pas acceptables à l’école non plus, mais quand même, il les dit et il vous fait de la peine. Pourtant, il vous aime ! Il adore l’école, sa prof, les amis de sa classe… Je m’excuse tellement… » Ce que je ne dis pas, c’est que j’ai peur que mon garçon devienne un petit bum, qu’il prenne l’habitude de mal agir.

Vous me répondez, chaque fois : « Madame, vous n’avez pas à être désolée. Ce sont ses choix et ses réactions. On sait que vous l’encadrez et que vous faites tout ce que vous pouvez. On le fait aussi à l’école, et c’est ce qui compte : on travaille dans le même sens, de façon constante. Continuez de nous tenir au courant des changements qu’il vit, ça nous aide à l’aider. » Et ils offrent de l’inscrire dans les ateliers d’habiletés sociales offerts à l’école.

On peut bien chialer à l’occasion contre les écoles à cause du manque de ressources, à cause de cette enseignante qui n’est pas à sa place en enseignement ou parce que le matériel coûte cher. Mais on doit avouer que les intervenants des milieux scolaires font des miracles, parfois avec très peu de moyens, parfois avec des cas individuels pas faciles à suivre. Ils sont un prolongement de ce que les parents font de leur mieux à la maison au quotidien, et c’est ensemble qu’on construit nos enfants, leur caractère, leurs comportements et leurs connaissances.

Je vais quand même continuer à m’excuser pour les comportements dérangeants de mes enfants quand ils dérapent, tout simplement parce que je n’excuse pas leurs comportements. Je les comprends, je sais d’où ils viennent, mais je ne les accepte pas nonchalamment. Je me soucie de ce que vivent mes enfants, mais aussi de ce qu’ils font vivre aux personnes qui les entourent et qui les aiment.

Après l’appel du service de garde, de l’enseignante et de la T.E.S., je m’imagine ce qu’ils rapportent à la maison comme pensées blessées, comme cœur écorché. Ils sont humains eux aussi. Si un de mes collègues de travail avait le même type de comportements que ceux de mon garçon, je serais épuisée, je me remettrais en question, je ne dormirais pas de la nuit. J’espère qu’eux savent mieux se blinder contre les insultes. J’espère qu’ils savent laisser ces dérapes entre les murs de l’école et qu’ils retournent dans leur foyer avec la certitude d’avoir bien fait leur travail.

Oui, je m’excuse. Et je vous remercie de refuser mes excuses.

Nathalie Courcy



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