Timide, moi? Dans une autre vie, peut-être…
Ceux qui connaissent la version 2017 de ma personne tombent sur le derrière quand je leur dis à quel point j’étais timide jusqu’au début de ma vingtaine. Si on fait un calcul rapide, ça veut dire que pendant la moitié de ma vie, j’étais gênée d’exister et d’être moi-même, j’étais renfermée, un petit escargot tout recroquevillé (j’adore ce mot mais j’ai ben de la misère à le prononcer!) Dans un groupe, je me fondais avec la tapisserie, j’essayais de me faire oublier. Ça me prenait un siècle et quart pour apprivoiser un nouveau groupe, pour oser marmonner un bout de phrase. Et ça, c’est sans parler du trac monumental que je ressentais s’il fallait parler en public (qui dit public, dit plus d’une personne). Mes anciens emplois comme guide touristique et enseignante m’ont aidée, évidemment. Toutefois, c’était comme jouer un personnage sur une scène : j’étais à l’aise parce que ça n’impliquait pas mes propres pensées et mes opinions.
Et puis un jour, je me suis tannée. J’en avais marre de me sentir tout le temps pognée, de ne pas oser dire mon opinion ou même mon nom. Dans la vingtaine, j’ai voyagé pour le plaisir (je suis partie traire des vaches en Israël et traîner mon sac à dos en Égypte et en Europe) et pour participer à des congrès. Seule au bout du monde, j’avais le choix entre rester étampée dans mon coin ou faire partie de la conversation. Le temps passe pas mal plus vite quand on est au cœur de l’action au lieu d’être simplement spectatrice. Je me permettais tout de même d’observer et d’apprendre le fonctionnement des relations et des personnalités en restant silencieuse à l’occasion, mais je m’ouvrais tranquillement vers les autres. Je me poussais juste assez en dehors de ma zone de confort pour évoluer, mais sans me faire violence.
Le moment marquant pour moi a été mon retour du Burkina Faso en 2002. Mon mari était en mission en Bosnie, je revenais de trois mois de volontariat en Afrique, et c’était le mariage de mon meilleur ami. J’allais bien sûr y assister, mais j’imaginais déjà l’horreur d’une soirée complète passée seule comme un creton au milieu d’une foule festive. Je connaissais la famille des mariés (qui aurait bien d’autres choses à faire que de s’occuper d’une âme esseulée!) et un seul autre invité (un ancien enseignant). Il n’était pas question que je m’emmerde en tournant en rond à la recherche d’une chaise avec qui parler. J’ai donc pris la résolution de me trouver des « amis » et de m’amuser.
Quand je suis arrivée au cocktail après la cérémonie, j’ai pris mon courage par le collet et je lui ai dit : « Viens-t’en! J’ai besoin de toi! » J’ai « spoté » la gang de jeunes adultes qui avaient l’air de party, je me suis incrustée dans leur groupe et je leur ai carrément dit : « Allo, j’ai pas d’amis, mais ça ne me tente pas de trouver la soirée plate et de partir en catimini à 19 h sans avoir dansé. Vous avez l’air d’une gang le fun, ça vous dérange si je me greffe à vous autres? » Ils m’ont trouvée bien drôle d’oser être aussi honnête et sans filtre et m’ont adoptée. Cette nuit-là, j’ai dansé, j’ai ri, j’ai jasé, et j’ai quitté la salle au moment où le DJ rallumait les lumières pour mettre les derniers fêtards à la porte.
J’ai dû continuer de pratiquer mon ouverture sociale, évidemment. Ce n’était pas toujours facile, parfois très inconfortable. Mais plus j’allais vers les autres, plus j’y voyais des avantages. Les gens me percevaient de moins en moins comme une fille gênée, ce qui me permettait moi aussi de me voir autrement. Je n’étais pas obligée d’être timide. Je pouvais choisir d’être autrement pour me sentir mieux.
Quand j’ai été invitée à une entrevue au gouvernement pour obtenir un contrat de 90 jours, je me suis dit : « Tu n’as pas l’année pour faire ta marque ou pour te sentir appartenir à l’équipe. Go! » Je me suis mis un sourire dans le visage malgré l’anxiété qui me rongeait et la transpiration qui coulait et je suis allée rencontrer celle qui allait devenir ma superviseure. Quand j’ai reçu ma première évaluation, elle m’a dit que ma façon naturelle de m’intégrer dans l’équipe l’avait impressionnée, que c’était comme si j’avais toujours appartenu au groupe. Quelle récompense pour la petite fille timide que j’étais et qui avait travaillé si fort pour devenir mieux dans sa peau!
Quand elle était plus jeune, ma fille aînée souffrait elle aussi d’une timidité maladive. Dès qu’on rencontrait un individu qui n’appartenait pas à notre famille, elle essayait de retourner dans mon utérus. Je souffrais pour elle parce que je savais quel travail elle devrait faire pour sortir de sa coquille. On y est allés progressivement et elle a vaincu sa phobie sociale.
Et elle aussi a vécu un « moment magique », de ces instants qui changent une vie. Il y a cinq ans, elle s’est mise à faire du théâtre musical… et elle a tripé! Elle m’a déjà déclaré que l’endroit où elle se sent le mieux sur Terre, c’est sur une scène. Quand un prof annonce qu’elle doit faire une présentation orale, elle revient à la maison en dansant de joie. Et peu importe qui on rencontre, elle jase, elle s’exprime, elle est, comme elle le dit, « enfin elle-même ».
Autant je suis fière de moi d’avoir progressé vers moins de timidité, autant je suis soulagée pour ma fille qu’elle ait découvert ce côté d’elle-même sans devoir attendre l’âge adulte.
Nathalie Courcy