Grandir
Texte de Mathilde Godde, 15 ans
<p style="text-align: jTexte de Mathilde Godde, 15 ans
L’eau martelait mon corps, ruisselait sur ma peau rougie et venait diluer l’encre de mes pensées noires. Brûlante, elle m’embuait l’esprit et s’évaporait contre les parois translucides de la douche. Assise sur le sol détrempé, les genoux repliés contre la poitrine, je fermai les yeux et laissais l’eau parcourir les plis de mon visage, creuser mes traits, adoucis par la chaleur de la pièce. J’entendais le piano jouer, les notes s’envoler et venir s’échouer sur mon cœur.
J’étais comme une enfant qui, repliée sur elle-même, se murait dans l’attente plutôt que d’affronter le monstre qu’est la vie. Une enfant qui refusait de grandir, car cela fait trop mal, car une fois qu’on a commencé, on ne peut revenir en arrière.
Lorsqu’on grandit, on aime. On s’affronte du regard jusqu’à se noyer dans les yeux de l’autre. On s’aime à en mourir, on s’aime trop, on se quitte, le cœur à vif, l’âme sanguinolente. On se brise, puis on tente de recoller les morceaux, mais chaque fois, on finit par tout balayer du revers de la main, les yeux bouffis de peine. Et on recommence.
Lorsqu’on grandit, on recommence. Encore et encore. On tombe et on s’accroche à la première main tendue pour se relever, cette même main qui nous avait poussés hier et qui tentera de nous achever demain. On voudrait apprendre de nos erreurs sur lesquelles on gît, mais on oublie trop vite.
Lorsqu’on grandit, on oublie. On promet, on ne tarde pas à ne plus se rappeler et on déçoit. Alors, on est déçu à notre tour, on pardonne, mais on n’oublie point. On joue au jeu de la vie. On joue pour gagner et la défaite nous lasse vite, mais comme pour tout, il suffit de persister pour réussir un jour.
Lorsqu’on grandit, on n’a pas peur. On frôle les dangers, on les laisse nous enivrer. On laisse les mensonges caresser nos lèvres et se répandre dans nos mots. On ne distingue plus le bien du mal, le vrai du faux. On se perd et on tente en vain de se retrouver.
Grandir, c’est mourir un peu, mais c’est aussi vivre plus.
Ma peau était toute froissée désormais, ravagée par ces longues minutes passées sous l’eau brûlante. Mes lèvres me faisaient mal, tant elles étaient gorgées d’eau et je sentais mes muscles endoloris. Je tendis la main pour fermer le robinet et entrepris de me relever, la tête haute, le menton en l’air.