T’aurais pu me le demander
J’ai remarqué chez les couples que je côtoie qu’il semble y av
J’ai remarqué chez les couples que je côtoie qu’il semble y avoir une des deux personnes qui fatigue plus vite à voir la vaisselle s’empiler dans l’évier ou les boules de poussière s’accumuler sous le divan, ou qui remarque avant l’autre qu’il manque de pain pour préparer les sandwichs pour les lunchs scolaires des enfants. « T’aurais pu me le demander » devient alors l’hymne répété par le partenaire qui, aux yeux de l’autre, ne fait pas sa part de tâches ménagères.
Lorsque mes amies se confient au sujet de leurs querelles maritales, c’est souvent ces irritants qui érodent leur quotidien. Et je dois avouer d’emblée que ma situation est particulière parce, bien qu’ayant passé trente ans de ma vie au Québec, je vis aux États‑Unis depuis près d’une décennie. On a beau penser que la réalité de nos voisins du Sud est similaire à celle du Québec en raison de la proximité géographique, je vous assure toutefois que, sur le plan de l’égalité domestique (et du travail en général), ils ont du chemin à faire. Ce n’est pas rare ici de voir la femme s’occuper encore de la vaste majorité des tâches en lien avec le ménage.
D’abord, évidemment, la religion joue un rôle important dans la perception des responsabilités dans le couple. Surtout dans les États du sud où l’on prône des valeurs « traditionnelles ». Même sur le marché du travail, le sexisme est légion, et mon expérience personnelle est parsemée de plusieurs exemples.
Ensuite, la réalité socio-économique est différente, surtout pour les familles avec des enfants. Ici, pas de garderies à 5 $ ni de soins de santé universels. Les services de garde et de la petite enfance sont plus près de 50 $ par enfant par jour et il en coûte 200 $ pour une visite chez le pédiatre (avec des assurances). Sans compter les coûts associés au prix démesuré des médicaments et les autres responsabilités financières liées à la maternité et à la famille. Demandez‑moi si j’ai été surprise de recevoir une facture de 35 000 $ après avoir accouché de mon premier enfant dans un hôpital américain…
Les familles font aussi des sacrifices afin d’économiser des dizaines de milliers de dollars pour faciliter l’accès à un enseignement supérieur pour leurs enfants. Même avec le soutien de leurs parents, les étudiants universitaires reçoivent leur diplôme criblés de dettes et se lancent dans un marché où les contrats de travail sont rares. Ici, on travaille de gré à gré (donc sans contrat) et dans plusieurs États, un(e) employé(e) peut être remercié(e) sans raison et sans préavis.
Il est donc surprenant de constater que pour plusieurs familles avec de jeunes enfants, c’est tout de même parfois moins avantageux d’avoir deux parents travailleurs que d’en avoir un qui reste à la maison. Si l’on tient compte des frais associés avec la garde d’enfants, les horaires d’école, les conditions de travail précaires et les pressions trop souvent injustement exercées sur la mère par l’employeur (la maternity tax), les conditions favorables à un retour au travail après une grossesse ne sont pas souvent pas au rendez-vous.
Dans un marché professionnel sexiste où le congé parental est encore un rêve inaccessible pour la majorité et où monsieur gagne en moyenne 25 % de plus que madame pour le même poste, c’est plus souvent plus qu’autrement maman qui reste à la maison.
Alors au pays de l’oncle Sam, en 2020, c’est encore maman la reine du foyer.
Mais pas trop vite. Reine, pas sûre. Boss des bécosses… peut-être.
J’ai des amies qui vivent dans une situation familiale que l’on qualifierait ailleurs d’abusive. Puisque monsieur travaille à l’extérieur de la maison, il contrôle les finances. L’épouse qui « ne travaille pas » passe ses journées à s’occuper des enfants et des aînés, organise des activités éducatives, fait le taxi, gère l’agenda de la famille, fait l’épicerie et les courses, prépare les repas, passe l’aspirateur, lave la vaisselle, fait le lavage, range les vêtements des enfants et (oui oui) ceux de monsieur. C’est important qu’il réussisse et ait de belles chemises propres et repassées. Juste pas assez important pour qu’il prenne le temps de s’en occuper lui-même. Parce qu’il s’entraîne la fin de semaine. T’sais.
Est-ce louable de soutenir son conjoint? Bien sûr. La réciprocité du geste promeut une relation saine. Malheureusement dans ces situations, on est souvent loin du travail gratifiant. Et des Real Housewives. Être maman à la maison, ce n’est tellement pas boire du rosé toute la journée en se prélassant au soleil!
Je vais à contre-courant de la culture locale, car je crois que l’égalité entre les sexes commence à la maison. Je souhaite offrir un exemple différent à mes deux garçons qui, je l’espère, seront féministes. Pour ces raisons, quand il est question de tâches domestiques, je ne demande pas d’aide à mon mari. Pas plus qu’il ne me demande d’assumer le rôle de la femme de ménage. Comment ça marche? Nous avons divisé les tâches ménagères ensemble et nous revisitons le sujet régulièrement afin de nous assurer que le fardeau est équitable. Entre les années où j’étais à la maison avec les enfants en passant par d’autres où je travaillais à temps plein hors de la maison, mes responsabilités ont changé. Les siennes aussi.
Cette approche me vaut souvent des remarques sournoises voulant que j’aurais domestiqué mon conjoint et que je suis chanceuse d’être dans une union moderne. La vérité est que je ne serais pas en couple avec une personne aux attentes irréalistes, misogynes et ridicules envers moi. Je suis tout à fait d’accord avec Melinda Gates et Warren Buffet qui ont dit que la décision la plus importante d’une vie, c’est le choix de notre partenaire. Ceci dit, j’en ai choisi un bon et le mérite lui revient.
Mais c’est loin d’être parfait. Il m’a récemment vu bardasser en lavant la vaisselle qui s’accumulait (encore) dans l’évier et m’a dit « J’allais la faire. T’aurais pu me le demander ».
[Insérer ici un soupir exaspéré]
Je lui ai dit…
J’aurais pu te le demander, mais pourquoi ne l’as-tu pas faite de ton propre chef? Je ne suis pas ta mère ni la gestionnaire des tâches ménagères. C’est m’en mettre trop sur les épaules que d’attendre que je te demande de l’aide. Cette attitude est injuste et irresponsable parce qu’elle sous-entend que c’est ma responsabilité de m’assurer que les tâches, incluant les tiennes, sont faites. C’est un mauvais exemple pour nos enfants.
Nous sommes deux adultes dans cette maison et nous avons une entente de répartition des tâches. Tu as accepté la responsabilité de faire la vaisselle après le souper (parce tu détestes cuisiner et préfères la vaisselle à la cuisine), alors c’est à toi de t’en souvenir. Tu as des yeux et tu peux voir que la vaisselle s’est accumulée ces derniers jours.
Tu n’as pas eu à me rappeler, toi, que nous allions avoir faim pour le souper ce soir et qu’un repas devait être sur la table pour les enfants, non? Que l’épicerie devait être faite? Que nous allions avoir besoin d’acheter un cadeau pour la fête d’enfants d’Untel ce weekend? Moi aussi, j’ai mieux à faire que de te rappeler d’effectuer ce dont tu es responsable. Et puisque ça fait quelques jours maintenant que tu faillis à la tâche, je m’en suis occupée moi-même. Tu n’as pas respecté notre entente alors je suis fâchée. Normal, non? Pas de vaisselle, pas de cuisine. Demain tu t’occuperas du souper pour faire changement.
Pour avoir déjà eu cette conversation (il me faut toutefois l’admettre, il y a bien longtemps), il sait que ce ne sont pas des paroles en l’air et qu’il n’y aura pas de repas sur la table demain soir. Et puisqu’il préférerait recevoir un traitement de canal plutôt que de passer une demi-heure dans la cuisine, mon petit doigt me dit que le menu pour le souper demain sera celui de McDonald’s.
Et pourquoi pas? Comme ça, je n’aurai pas de vaisselle à faire. 😉
Geneviève Brown