Deux petits tubes qui changent une vie…
Le jour de la chirurgie arrive. Notre fille, du haut de ses trois an
Le jour de la chirurgie arrive. Notre fille, du haut de ses trois ans, entre au bloc, souriante. Aujourd’hui, on lui pose des tubes et on retire les adénoïdes. C’est une chirurgie anodine, fréquente, voire banale. Tellement d’enfants se font poser des tubes ! Mais ça reste une anesthésie générale, et ce n’est pas une mince affaire. Après la chirurgie, les infirmières la transportent, encore inconsciente, jusque dans la salle de réveil.
Assise dans le corridor, j’ai regardé mon si petit bébé passer sur sa civière. Sans aucun signe de vie. Mon cœur n’a fait qu’un bond pour tenter de la rejoindre. Il a cessé de battre en la voyant inconsciente. Je ne pensais pas que cette image allait me hanter à ce point. Ma tête savait qu’elle n’était qu’endormie, mais j’avais l’impression qu’on m’arrachait le cœur.
Dans la salle de réveil, le chirurgien vient nous voir. Tout s’est bien passé. Elle va bientôt se réveiller. Il veut quand même nous expliquer que le liquide derrière son tympan était exceptionnellement épais. Il s’étonne que ça ne se soit jamais infecté. Il nous dit : « Cette intervention‑là va changer sa vie. » Je ne mesurais pas l’ampleur de ces mots sur le coup… J’avais trop hâte de serrer ma fille dans mes bras…
Quelques heures plus tard, elle obtenait son congé de l’hôpital… et sa vie avait changé. Je l’ai compris dès que je l’ai posée sur le sol, dehors. Elle regardait ses pieds, en tapotant le sol avec. Elle marchait solidement, d’un aplomb qu’elle n’avait jamais eu. Elle ne titubait pas et ne trébuchait plus sur ses propres pieds. « Cette intervention‑là va changer sa vie. » Maintenant, je comprenais ce que le chirurgien tentait de m’expliquer, alors que je ne pensais qu’au réveil de ma fille. Notre petite fille, depuis trois ans, n’entendait pas. Elle percevait certains sons, surtout les plus forts. Elle n’avait aucun équilibre non plus. Aucun spécialiste ne comprenait d’où ça venait.
Et là, tout bonnement, les mots du médecin prennent un tout nouveau sens. « Cette intervention‑là va changer sa vie. » La voix du chirurgien résonne encore dans ma tête. Ma fille me regarde, debout dans le stationnement. Elle fige sur place, les yeux grands ouverts, et me dit : « Maman ? C’est quoi ça ? » Je m’arrête sec. Tout d’abord parce qu’elle ne m’avait jamais posé une question, même aussi simple soit ‑elle. Mais surtout, je m’arrête parce que je veux prendre le temps de redécouvrir ce nouveau monde avec elle. Je m’agenouille à sa hauteur et tends l’oreille. Au loin, on entendait un seul son : le croassement d’un corbeau. Et je lui dis : « C’est un corbeau, Mélina. » Et tout naturellement, elle répète en prenant ma main : « Un corbeau, maman. » « Cette intervention‑là va changer sa vie… »
Ce jour‑là, on a roulé en silence jusqu’à la maison. Pas de radio dans l’auto. Juste les fenêtres baissées. Le vrombissement du moteur. Un chien qui aboie au loin. Une sirène de police. Un bébé qui pleure. Une nouvelle vie, remplie de sons qu’elle n’avait jamais entendus… Cette intervention‑là a changé sa vie.
Dans sa nouvelle vie, elle entend ses sœurs rire. Elle entend sa chanson préférée. Elle chante et danse sans arrêt. Et surtout, elle m’entend lui dire que je l’aime quand je la couche dans son lit le soir…
« Bonne nuit mon cœur, je t’aime. »
Joanie Fournier