Pas de vacances pour le deuil
Depuis 1985, je traverse les fê Depuis 1985, je traverse les fêtes des Pères sans mon père à moi. Heureusement, maintenant, le père de mes enfants occupe ce siège réservé aux paternels. Mon beau-papa, aussi, joue un rôle important dans notre vie. Mais il reste que le trône glorieux, celui du papa qui m’a donné la vie et qui devait m’accompagner à l’autel lors de mon mariage, est vide. Rempli par son silence de mort. Par son invisibilité de disparu. Et son absence se fait sentir tout l’été. Une ombre sous le soleil. Ça commence avec la fête des Pères, ça va de soi. Une fête qui n’en est pas une. Quand j’étais petite, je participais à la procession des offrandes à la messe de la fête des Pères. J’avais choisi d’offrir une carte de fête pour mon papa. Le pauvre curé à lunettes qui avait enterré mon père l’année précédente a bien failli aller le rejoindre tellement il était choqué. Le deuil d’une fillette s’exprime comme il peut… Traditionnellement, le 23 juin, c’est fête. La saison estivale est commencée (b’ah, cette année, on n’en est pas encore certains!), on dit adieu à l’année scolaire et coucou aux vacances. Mais par chez nous, le 23 juin, c’est aussi la date de naissance de mon papa. Un Cancer, comme moi. Mais lui, il a joué le jeu jusqu’au bout et il est mort d’un cancer. Le cerveau qui a été touché, gangrené, ravagé. Puis, c’était le tour de la fête de tous les enfants, mes frères, moi. Tous devenus grands depuis belle lurette. Même mon mari est né en août. Même mon mariage est né en août. Même mon bébé pas né, est né en juillet. Ça en fait, des journées à célébrer ou à se remémorer. Et maintenant, ça en fait, des journées à se souvenir. Me souvenir que lui, il n’y est pas. Le vide est là, mais il n’y est plus tant que ça. Il fut des années, de trop nombreuses années, où l’absence occupait toute la place. Une absence omniprésente. Je n’étais pas en deuil, j’étais un deuil. Contre sa volonté de vivre, mon papa a quitté la santé et la maison quand j’avais cinq ans. L’âge de l’Œdipe dans le piton. L’âge où c’est si facile d’idéaliser l’homme de la famille. Puis, quand j’avais sept ans, cet homme, ce héros, cet idéal masculin (son seul défaut n’était-il pas d’être mourant?), un 15 mai, il est parti pour de bon. Ou plutôt pour de mal. Ça fait mal, chercher son papa pendant trente ans. Stromae n’est pas le seul à chercher son père… Où t’es, Papa, où t’es? Je savais que l’été de mes trente-trois ans passerait comme un hameçon tordu dans ma gorge. Il était décédé à cet âge. Si jeune, si peu vécu! Il y a sept ans, la femme que j’étais avait alors une fille de sept ans, mon âge au moment où j’ai dû assister aux funérailles de mon papa. Trop de circonstances anti-atténuantes. Mais la beauté de la chose, c’est que je me suis préparée mentalement et émotivement à vivre cette portion du deuil. Certains diront que je me suis piégée dans la pataugeoire du manque pendant trop longtemps. Mais le deuil, il fait son temps, il revient de temps en temps, il s’effrite, il se reconstruit, et il avance. Cette année-là, j’ai fait un grand bout de chemin. Plutôt que de m’effondrer, j’ai pris mes cartons en patience et j’ai bricolé. J’ai refait un parcours de la vie de mon père, de notre vie de père-fille, à travers les pages d’un album de collage. Des photos en noir et blanc, en couleurs, des articles de journaux, ses diplômes, des lettres, l’homélie prononcée lors de ses funérailles, des souvenirs partagés par ses frères, ses sœurs, sa marraine… En trente-trois pages, j’ai rebâti un souvenir que la maladie m’avait volé. J’ai récupéré auprès des siens des paroles, des blagues (oui, j’ai découvert en lui un farceur), des prières, des ambitions. Et à travers leurs témoignages, j’ai compris, un peu, d’où je venais. Et maintenant, je sais. Je suis née un jour de juillet, au cœur d’un été à peine entamé mais déjà rempli de promesses et de fêtes, sous les rayons d’une famille qui allait m’entourer pendant un temps, le temps que chacun allait durer. Mon père n’a duré que trente-trois étés. Son corps s’est fané, sa présence s’est étiolée, mais son souvenir est resté et reste gravé. Quelles sont les personnes qui vous manquent, et que faites-vous pour traverser les étapes du deuil? Nathalie Courcy