Mon gars, c’est ça la game ! Texte : Sophie Barnabé

Il y a quelques années à peine, tu grimaçais avec les paupières

Il y a quelques années à peine, tu grimaçais avec les paupières bien fermées en nous voyant nous embrasser ton père et moi. Des « c’est dégueu le sexe », répétais-tu à la chaîne avec ta petite voix d’ange. Puis, plus rapidement que ne poussent les champignons, je t’ai vu ouvrir l’œil sur un écran qui ne filtre aucun tabou, sur les filles qui te font des yeux doux… J’ai essayé subtilement d’ouvrir la discussion, mais tu t’es refermé avec tes « m’man, j’veux pas parler de sexe » et tes « m’man, j’pas rendu là ».

Récemment, mon souffle s’est coupé quand je t’ai aperçu, à l’autre bout de la rue, embrasser la p’tite Lili avec tes mains sur ses fesses. Ce soir‑là, quand j’ai abordé le sujet, tu t’es fâché en me disant que vous en aviez parlé à l’école et que tu savais déjà « tout ça ».

Comprends‑moi bien mon gars ! Ce n’est pas de condom, de risques d’I.T.S. ou de grossesse que je veux te jaser. Les choses mécaniques, celles qui n’ont rien de romantique, ne sont pas celles qui émiettent le cœur. Savoir enfiler un condom, c’est mécanique. Choisir de le mettre parce qu’on veut que tout se passe bien, parce que c’est une preuve de respect, ça c’est romantique. Si je te disais que l’amour, le plaisir, l’intimité, la sexualité, c’est un peu comme un match de hockey, voudrais-tu enfin en jaser ?

D’abord, en tenant pour acquis qu’on a les bons joueurs, on prend le temps d’analyser la game. On regarde les matchs précédents, on comprend les jeux, les passes. On se prépare parce qu’on veut être le meilleur joueur. Tu me suis ?

Avec la petite blonde aux yeux bleus, c’est la même chose. Prends le temps de la regarder dans les yeux… longtemps. Analyse sa réaction. Si elle plonge son regard dans le tien, qu’elle le maintient, c’est le signe qu’elle veut aller plus loin. Si elle détourne le regard, c’est peut-être qu’elle se sent intimidée. Analyse le « jeu ». Peut-être qu’en évitant de te regarder, elle souhaite que tu ne puisses pas déjouer les hésitations cachées en elle. Celles créées par la peur que tu sois déçu ou que tu insistes avec un come on. Tu sais mon gars, j’ai déjà eu quinze ans… C’est bien jeune pour oser dire non…

Dans le doute, arrête. Considère ta partenaire. Ne sois pas le « mangeux de puck ». Un peu comme une boussole qui indique la direction à prendre, son regard te fera comprendre si elle est prête à aller plus loin. Regarde‑la longtemps… souvent… T’es intelligent. Comprends.

Une fois l’analyse du match faite, les joueurs prennent le temps de pratiquer de nouveaux jeux. Ils essaient, analysent à nouveau, prennent leur temps, essaient d’autres trucs… C’est la base de la game, t’es d’accord ?

Même chose avec la grande brunette aux yeux noisette. Quand vous vous embrasserez, sois attentionné. Apprends à lire les baisers. Embrasse doucement, lentement… Si elle avance le visage vers toi, qu’elle te présente ses lèvres, qu’elle ferme les paupières comme un signe d’abandon, comme pour permettre de faire abstraction de ce qui vous entoure, tu devineras qu’elle se sent bien. Savoure ce moment. C’est tellement bon !

Au contraire, si tu sens qu’elle recule la tête, qu’elle ne t’embrasse que du bout des lèvres, n’insiste pas. Peut-être qu’elle ne le fait que pour te faire plaisir. Arrête. Serre‑la sans pression dans tes bras. C’est correct comme ça…

Et puis, le match le plus important arrive. Tout au long de la game, les joueurs se regardent, se font des signes, se parlent, sont attentifs à la réaction des coéquipiers.

Même si la rouquine semble à l’aise de jouer les coquines, comprends ses mouvements. Sous l’emprise de tes caresses, si tu sens ses mains immobiles, si son corps devient tendu, c’est peut-être un signe qu’elle est figée en dedans. Prends ton temps. Pose-toi des questions et si la lecture semble floue, chuchote-lui un « ça va ? ». Au besoin, rappelle-toi que même les plus grands joueurs retournent parfois sur le banc. T’inquiète, ils n’accrochent pas leurs patins pour autant…

Enfin, peu importe l’issue, rappelle-toi que les grands joueurs ne dévoilent jamais leur jeu… Assurément, ils y seraient perdants. Ne raconte pas tout à tes chums, ne texte pas tes exploits… Tu y gagnerais quoi ? Vraiment…

Tu sais, au hockey, on ne passe pas notre temps à parler des bâtons ou des risques de blessures, un peu comme pour le condom et les I.T.S.  On le sait déjà et c’est pour ça que je t’en ai mis une boîte dans ton tiroir, sans rien dire. Toutefois, ce qui crée la plus belle chimie dans une équipe, la plus valorisante des victoires et la plus grande des satisfactions, c’est le temps qu’on prend à connaître ses partenaires, les revers, et aussi les étapes qu’on franchit une à une, ensemble. Immanquablement, les équipes qui font ça sont celles qui scorent ! C’est la même game avec ta blonde…

Si on se souvient encore aujourd’hui de Jean Béliveau comme étant l’homme le plus respecté de l’histoire du hockey, c’est parce qu’il considérait ses partenaires, il prenait le temps de lire le jeu, et cela lui a permis d’être le meilleur compteur de son époque.

Et toi mon gars ? Quand tu reverras ces filles dans dix ou vingt ans, voudras-tu qu’elles se souviennent de toi comme le « mangeux de puck » ou comme le joueur de hockey le plus class de tous les temps ?

Sophie Barnabé