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J’ai envie de te dire…

Au lendemain de ce premier couvre-feu historique, j’ai envie de te

Au lendemain de ce premier couvre-feu historique, j’ai envie de te dire plein de choses…

Bien humblement, je l’avoue, j’ai triché.

J’ai flanché pour mes filles, le cœur brisé de les voir tristes, privées de leurs amies.

J’ai flanché pour moi, égoïstement, en recevant quelques amis, le temps d’une soirée un brin festive. La plupart du temps dehors, mais trois ou quatre fois à l’intérieur…

Je l’ai fait. Comme beaucoup d’autres.

Je me suis privée de mon père et de ma sœur puisque trois heures de route nous séparent et surtout, pour protéger mon père. Ma sœur infirmière s’est isolée au maximum, étant infirmière aux urgences.

Jusqu’à hier soir, je n’avais pas mesuré l’ampleur de ce qui nous guette. Le fils d’un ami s’est blessé sérieusement en glissant. Mon ami se pointe à l’urgence de l’hôpital le plus près. Surprise : on a fermé cette urgence. Le personnel a été rapatrié dans d’autres hôpitaux…

Boum. Ça m’est rentré dedans. Et si c’était moi ? Mes filles, mon chum ? C’était incroyable quand ça se passait en Italie, tellement loin, tellement irréel… Aujourd’hui, je te parle d’une urgence de Québec…

Toi qui penses que tout ceci n’est qu’un grand complot, que TOI, tu n’as pas envie de te plier aux demandes du gouvernement, que TOI, « t’as le doua », je te souhaite de ne pas avoir besoin de soins dans un avenir rapproché, parce qu’il se pourrait qu’on ne puisse pas te les offrir.

On est rendus là.

Hier, j’étais au Village des sports. J’ai suivi les consignes. J’ai gardé mon masque pendant TOUTE MA VISITE. On me l’a demandé, je l’ai fait. J’ai respecté le deux mètres dans les aires d’attentes.

J’ai vu bien des gens faire la même chose que moi, heureusement.

Par contre, toi, qui crois que ces règles ne s’appliquent pas à ta petite personne, j’aimerais te dire que j’en ai ras le pompon.

Demain, je retourne en classe. Les mesures seront plus strictes encore. Je n’en peux plus d’enseigner avec des lunettes et un masque. Mes élèves devront garder le leur toute la journée… C’est long, une journée.

Je dois désinfecter mon local tous les trois jours. De précieuses minutes que je ne peux pas utiliser à des fins pédagogiques.

J’ai des élèves qui devront probablement s’absenter encore. Des classes vont peut-être fermer de nouveau, peut-être la mienne, épargnée jusqu’à maintenant.

J’ai envie de te dire de penser à tout ça la prochaine fois que tu riras au visage d’un employé qui te demandera de porter ton masque.

Non, tu n’es pas un mouton. En faisant cela, tu participes à quelque chose de grand. Tu contribues à aider l’humanité à retrouver un brin de normalité.

J’ai envie de te dire de penser à tout ça, simplement.

Karine Lamarche

La poupée torturée

D’humaine, je suis passée à

D’humaine, je suis passée à poupée
On n’arrête pas de me crier dessus, me taper, m’insulter
Depuis que je déprime
Je suis une victime
Avec moi, tout le monde veut jouer
À la poupée qu’on aime torturer

Ma fille de onze ans est revenue de l’école en me récitant ce poème qu’elle a écrit pour un cours de français. En l’entendant, je me suis sentie inconfortable. L’estomac serré, le hérisson piquant dans la gorge. La puissance des images sombres : bang ! Que ma cocotte hop-la-vie écrive de tels mots m’a bouleversée : ouf…

-Qu’est-ce qui t’a inspirée ?
-L’intimidation.
Heureusement, je sais qu’elle n’en est pas victime. La dernière fois que quelqu’un a essayé de la niaiser, elle a éclaté de rire et l’histoire a été close. Même le grand jack de 6e année qui terrorisait toute l’école n’avait aucune emprise sur elle quand elle était en 2e année. Elle est la reine du « vivre et laisser vivre » (sauf avec son frère…), donc elle met facilement un mur pare-feu blindé entre ce que les autres lui projettent d’elle et ce qu’elle est.

Comme elle a une admiration sans bornes pour son enseignante, elle suit à la lettre ses conseils concernant l’intimidation : ignorer les gestes et les paroles pour éviter d’accorder de l’attention à l’intimidateur, lui montrer que ses agissements ne nous atteignent pas, utiliser l’humour, changer de sujet, s’entourer de personnes de confiance, et bien sûr s’il y a un risque ou que les agissements se poursuivent dans le temps ou empirent, dénoncer.

Mais quand même, son poème m’a fait réfléchir. Pour nos enfants, pour nos adolescents, l’intimidation fait partie de la vie. Il faut investir du temps en famille et en classe pour la prévenir, l’expliquer, la contrer, la réparer.

Dans mon temps (oui oui… dans les années 80-90…), les intimidateurs existaient. On les appelait « les petits bums » du village. Ou d’autres termes moins polis. Ils volaient ta boîte à lunch, tiraient tes couettes, te menaçaient à la sortie de l’autobus. C’est pas mal le pire que j’aie vu. Souvent, ça se réglait rapidement : une réplique qui revolait, un parent ou un surveillant qui intervenait au bon moment, parfois un coup de poing dans le ventre. On s’excusait et on repartait dans le bon sens. Final bâton. Des fois, il fallait monter le ton, faire les gros yeux, mais ça allait rarement plus loin.

Dans mon temps, les intimidés existaient aussi. Ils n’étaient pas outillés pour réagir à l’intimidation, ils ne savaient même pas ce que c’était. Et pourtant, le mot existe depuis le 16e siècle. Mais on s’entend que Rabelais ne connaissait rien aux subtilités de l’intimidation moderne qui implique souvent l’Internet et les photos douteuses. Les parents, les profs, les travailleurs sociaux : quand on se rendait compte qu’un enfant se faisait taper sur la tomate ou écœurer, tout le monde improvisait. Et il faut le dire, quand venait le temps de soigner l’estime personnelle de cet enfant et de guider l’intimidateur vers de meilleures pratiques, on nageait dans le brouillard. Et l’inaction.

Maintenant dans les écoles, même à la garderie, on parle d’intimidation. On fait signer des contrats aux élèves pour leur faire promettre de ne pas intimider et de dénoncer s’ils sont victimes ou témoins d’intimidation. Les enseignants proposent des jeux de rôle pour que les réflexes des jeunes soient plus aiguisés lorsque vient le temps de montrer de l’assurance, de se défendre, d’aller chercher de l’aide. Des conférenciers sont invités, les directions d’école investissent dans la prévention. Des plans d’action sont prévus dans les cas où une réparation est nécessaire après des comportements inadéquats. Les parents savent de plus en plus qu’ils peuvent dénoncer la violence et les menaces verbales et physiques à la police et à la DPJ dans des cas extrêmes (lire : quand la sécurité d’une personne est compromise ou que les voies prévues pour régler le problème ne donnent pas de résultats).

Tout ça n’est pas toujours suffisant. Les « petits bums » modernes font parfois un ravage qui dépasse l’entendement. Parfois, l’intimidation s’avère mortelle. Elle tue le bien-être, la motivation, le sentiment de sécurité, l’estime personnelle de la victime, et aussi de son entourage. Et si elle n’est pas résolue, elle peut tuer l’être. Point.

Si le Littré définit le fait d’intimider par « Donner de la timidité, de la crainte à quelqu’un », on comprend que de nos jours, l’intimidation est plus vaste et dangereuse qu’avant. Elle a un réel impact sur les petits humains que nous avons mis au monde, mais aussi sur les familles et les écoles, et même dans les milieux de travail. Continuons d’en parler et d’agir, pour que nos petites poupées et nos petits oursons ne se sentent plus torturés.

Nathalie Courcy