La petite fille perdue
Cet été, on a profité des vacances, comme des milliers de Québécois,
Cet été, on a profité des vacances, comme des milliers de Québécois, pour aller visiter le zoo. On a réservé nos billets en ligne, rempli la glacière, préparé les maillots, les serviettes, la crème solaire, alouette ! Avant de partir de la maison, j’ai collé un pansement sur le bras de mes quatre enfants, en prenant soin d’y écrire à l’encre mon numéro de cellulaire. Un geste qui semble bien anodin, qui prend deux secondes à faire, mais qui permettrait à mes enfants de me retrouver plus facilement s’ils se perdaient. Ils connaissent mon numéro par cœur, mais s’ils devaient se perdre, on ne sait pas comment ils pourraient réagir. Un enfant évanoui ou en panique ne se souviendra pas de la série de chiffres tant répétée à la maison. L’an passé, on a d’ailleurs remarqué que les bracelets donnés à l’admission du zoo ont justement une ligne vierge prévue à cet effet. Mais qui pense à traîner son crayon permanent sur lui à l’admission… ? Bref, c’est ma méthode pour toutes les sorties.
Revenons donc à notre sortie annuelle. Nous avions pris le temps de voir les animaux de tous les continents et le temps était venu d’aller profiter des bassins d’eau pour se rafraîchir. Avec plusieurs enfants, on finit souvent par se séparer les enfants par adulte. Un adulte reste avec les petits à la pataugeoire, pendant que l’autre va profiter des glissades d’eau avec les grands. Bref, vous voyez la scène. Cette année, Mamie est venue avec nous. Avec son masque et la distanciation, pas de panique. Alors on avait un adulte de plus pour surveiller les piscines, ce qui est toujours bienvenu.
Papa part avec les deux grandes pour faire les hautes glissades d’eau. Bébé s’endort sagement sur sa couverture, bien à l’ombre. Mamie propose donc de rester pour le surveiller pour que je puisse profiter de la piscine avec ma fille, moi aussi. Je saute sur l’occasion. Arrivées sur le bord de la piscine à vague, une petite fille attire mon attention.
Les cheveux blonds comme le blé, elle a l’air d’un petit ange. Elle doit avoir deux ou trois ans, tout au plus. Elle se promène sur le bord de l’eau. Mais un détail attire mon œil : elle porte une serviette. Pas de flotteurs. Je regarde aux alentours… Je ne vois pas d’adulte avec elle. On est sur le bord de la grosse piscine… Je me dis qu’un adulte va arriver en courant derrière elle dans quelques secondes… Puis les secondes passent et personne ne vient. Elle marche sur le bord de l’eau, sans flotteurs, et mon cœur de maman fait trois tours.
J’agrippe ma fille par la main et je décide de suivre la petite fille blonde. Ses grands yeux bleus ont l’air paniqués… J’essaie de l’approcher pour lui demander si elle a besoin d’aide, mais je semble lui faire encore plus peur… Alors je la suis, pas trop proche, pas trop loin. Je la surveille sur le bord de l’eau. Elle fait le tour du grand bassin d’eau. Deux fois. Dix minutes sont passées. Toujours pas d’adulte qui court vers elle… Je finis par l’apprivoiser un peu, en approchant tout doucement…
Je lui demande son nom. Pas de réponse. Je lui demande si elle cherche sa maman. Pas de réponse. Je lui demande si elle a besoin d’aide. Pas de réponse. J’essaie en anglais. Pas de réponse. Elle me regarde avec ses grands yeux bleus toujours aussi paniqués. Elle refuse de me tenir la main, refuse de venir dans mes bras, et moi, je refuse de la laisser seule sur le bord de la piscine.
Je fais signe à un sauveteur sur le bord de la piscine, qui comprend vite la situation. Mais le sauveteur en question, du haut de ses 17 ans je dirais, ne peut pas quitter son poste et encore moins quitter la piscine de vue… Il appelle au walkie-talkie, mais m’explique que je devrais la surveiller en attendant que quelqu’un vienne pour elle…
La petite fille, toujours muette, me donne finalement la main. J’explique au sauveteur que je vais refaire un tour du bassin d’eau avec elle, au cas où je trouverais ses parents. Autour du bassin, je questionne chaque famille que je croise. Peut-être que quelqu’un l’a remarquée plus tôt avec sa famille… Peut-être que quelqu’un sait où sa mère la cherche… Peut-être que quelqu’un a vu quelque chose… Et je me fais répondre, plusieurs fois : « Ho ! La petite fille perdue ? Nenon, je sais pas avec qui elle est… Ça fait un bout qu’elle est toute seul sur le bord d’la piscine… »
Mon cœur de maman est rempli de rage… Comment peut‑on voir une enfant de 2-3 ans seule, sans flotteur, sur le bord d’une piscine et ne pas aller l’aider ? Comment une mère peut laisser un autre enfant en danger ? Et si c’était votre enfant… Vous aimeriez que les autres la laissent en danger ? Me, myself and I… Ça m’enrage.
Je termine mon tour de piscine, ma fille qui me tient une main, et la petite fille perdue qui tient l’autre. Puis, je vois au loin un papa paniqué. Un papa aux cheveux blonds comme le blé. Il nous voit au loin et court vers nous. Avant qu’il arrive jusqu’à moi, je me penche vers la petite fille et le pointe du doigt. « C’est ton papa ? Tu le connais ? ». Les grands yeux bleus de la petite fille perdue s’illuminent. « Papà a me !!!! Papà a me !!! » Ouin. J’avais pas testé l’italien…
L’homme arrive à notre hauteur et à voir la petite cocotte s’élancer dans ses bras, il était évident qu’elle le connaissait. Le père essaie très fort de m’expliquer, dans un anglais boiteux, qu’il voulait acheter une crème glacée, mais qu’il avait perdu sa fille dans la file… Il me demande où était sa fille quand je l’ai trouvée. Je lui explique qu’elle était au bord de la piscine et qu’elle a fait trois fois le tour du bassin. Je sens son cœur de papa arrêter de battre. Parce qu’on sait tous les deux ce qui aurait pu se passer…
L’histoire finit bien. Personne ne s’est noyé. Personne ne s’est fait enlever. Le sauveteur était soulagé. Le papa heureux. La petite fille comblée. Ma fille et moi, nous sommes reparties nous baigner dans la grande piscine. Ma fille de 5 ans avait tellement hâte de pouvoir enfin aller dans l’eau. Mais je pense qu’elle aussi, elle a compris qu’une vie avait beaucoup plus de valeur qu’une baignade au zoo…
Joanie Fournier