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Fuir la guerre, trouver la paix — Texte : Nathalie Courcy

« La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal… » À la fin du film, on

« La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal… »

À la fin du film, on pleurait, mais on restait avec une impression de douceur et un message d’amitié.

Peu importe le quand et le comment de la fin de la guerre en Ukraine, ce ne sera pas un happy end. Il y a déjà trop de morts, trop de blessés physiques et émotifs, trop de réfugiés, trop de droits bafoués. Des deux côtés (il ne faut pas accuser les citoyens russes des décisions de leur chef, la nationalité russe ne fait pas automatiquement d’eux des pro-Poutine, pas plus que le fait d’être québécois ne fait de nous des pro-poutine… en tout cas).

Avec ce qui se passe en Ukraine et à plein d’endroits dans le monde (j’inclus les foyers familiaux où les enfants mangent des coups pour déjeuner et où les adultes devraient lever le drapeau rouge quand ils voient que le drapeau blanc est remisé aux oubliettes), ce n’est pas facile de voir la beauté du monde ces temps-ci. Je l’ai trouvée à 35 minutes de chez moi, en Outaouais. Un gîte en pleine nature, entouré de neige, de silence et de coyotes.

J’ai abouti ici pour m’offrir un congé de ma vie quotidienne. J’ai pris quelques jours de vacances et je me suis inventé un voyage à faible coût et à faible kilométrage. Je me suis magasiné un endroit pour passer quelques jours tranquilles, mais dans le fond, c’est du temps que je me suis magasiné. Du temps pour moi. Juste moi. Saine égoïste que je suis.

Mais quel est le lien entre la guerre en Ukraine et le gîte en campagne ? J’y viens, j’y viens.

Les propriétaires du gîte, Oussama et Leila, sont nés au Liban. Ils ne se connaissaient pas. En 1976, pendant que la guerre civile faisait rage, ils se sont tous les deux réfugiés au Canada, où des membres de leurs familles habitaient déjà. Puisque « l’amour a pris son temps », ils se sont rencontrés à Ottawa, y ont fondé une famille avant de s’établir du côté québécois de la rivière. C’est ici qu’ils ont construit leur magnifique gîte où ils accueillent des humains en quête de paix.

C’est le cercle de la vie, me direz-vous. Ils ont fui la guerre pour trouver la paix, et maintenant qu’ils l’ont trouvée, ils la partagent.

Et si, comme Oussama et Leila, on faisait dès aujourd’hui un geste, petit ou grand, pour vivre la paix en soi et pour l’offrir autour de soi ? Peut-être que le monde serait un peu plus beau, un peu plus doux ?

Nathalie Courcy

Fuir ou frapper : pas les seules options

Mes filles arrivent à l’âge où j’ai fait subir à ma mère l

Mes filles arrivent à l’âge où j’ai fait subir à ma mère l’inquiétude aiguë de ne pas savoir où j’étais, mais de savoir que j’allais mal. En deuxième année du secondaire, je me suis sauvée deux fois de l’école privée. J’ai fugué. Pas longtemps, pas loin, mais assez pour semer la panique. Et je ne voudrais tellement pas que mes enfants fassent la même chose! (Je m’excuse encore, maman…)

La Nathalie de l’époque était malheureuse. Elle avait le goût de mourir. Elle avait des amis, elle réussissait très bien à l’école, elle avait des buts dans la vie (gagner les compétitions de fanfare avec les cadets, gagner le concours de dessins et la dictée annuelle), elle avait un toit pour se couvrir et une famille aimante. Tout pour être heureuse et bien dans sa peau, mais apparemment, quelque chose manquait.

Il manquait un père, qui me manquait terriblement depuis son décès cinq ans plus tôt. Le deuil s’étirait, et l’expression du deuil n’était pas toujours bien accueillie. À l’âge où je vivais mon trip d’Œdipe, lui apprenait qu’il avait un cancer incurable. Alors à l’âge où j’aurais eu besoin de mon papa policier pour me policer et m’aimer, il me manquait. Un manque dans le sens de sevrage. Avec des souffrances et des séquelles.

Je ne manquais pas de confiance en moi, je connaissais mes forces et j’étais capable de répliquer aux terreurs de cinquième secondaire qui essayaient de terroriser la classe de petites bollées que nous étions. Mais derrière l’ado frondeuse que j’étais, derrière la mi-rebelle, mi-nerd, il y avait une fillette terrorisée, jammée à l’âge où son papa était parti et où elle subissait des abus de la part de jeunes garçons en rut. Pas facile de se définir comme jeune fille, quand nos repères masculins sont aussi biaisés.

Et puis, j’avais deux frères, eux aussi premiers de classes et rebelles à leurs heures. Ils étaient passés maîtres dans l’expérimentation des mauvais coups de la vie. Alcool, drogues, découchages, tests d’explosifs, violence… Je me rappelle avoir eu cette conversation avec moi-même : « Tu dois faire quelque chose qu’eux, ils n’ont pas fait. » Ils n’avaient jamais fugué, alors c’est ce que j’ai fait. Probablement par manque d’attention, aussi pour exprimer un mal-être.

Quand on habite dans un petit village de campagne perdu entre Montréal et Québec, le choix des destinations est limité. La première fois, j’avais planifié l’expédition. J’avais apporté un deuxième manteau pour éviter d’être repérée grâce à mon manteau rose bonbon. J’avais calculé le temps que je devais niaiser à ma case pour que les autres élèves partent à leur cours avant moi. J’avais choisi la journée où notre première période avait lieu dans un autre pavillon. Ça me donnait une raison pour sortir de l’école. Il ne me restait qu’à passer par un chemin où je ne serais aperçue par personne et ce serait tiguidou.

J’ai marché, marché, marché. Et encore marché. Le long de la rivière gelée en contemplant l’idée très attirante de me pitcher dedans. Deux visions m’en ont empêchée : la panique que je ressentirais avant que mon corps s’endorme, et l’impact que ce suicide aurait sur les compétitions de fanfare. Je ne voulais pas, bien sûr, que ma famille et mes amis aient de la peine, mais au bout du compte, c’est bel et bien mon appartenance aux cadets qui m’a retenue sur la rive.

J’ai marché dans le froid hivernal jusqu’à une forêt. Et là, je me suis couchée en boule sous une chaloupe qui y avait échoué. Comme moi. Je ne sais pas combien de temps j’y suis restée, mais je sais que j’ai marché dans le sens inverse tout l’après-midi. À 3 h 45, je montais dans l’autobus jaune comme si de rien n’était. Pendant que moi, j’étais dans ma tête, en plein débat sur ma volonté d’en finir, de continuer à marcher ou de revenir, ma mère, mes profs, la direction de l’école étaient en mode panique : où est Nathalie?

Il n’y a pas vraiment eu de conséquences, peu de discussions à la suite de cette fugue. J’ai perdu des points de bon comportement à l’école parce que je m’étais absentée sans permission. Dossier clos.

La deuxième fois, ce n’était pas prévu. Mais bien sûr, comme rien n’avait été réglé, la répétition était prévisible. Je ne me souviens même plus de ce qui a déclenché mon départ, mais je suis partie de l’école encore une fois. Et j’y suis revenue quelques heures plus tard. Le soir, ma prof titulaire m’a téléphoné, inquiète. Elle a été très présente toute l’année et son écoute m’a soulagée d’une grande tristesse. Plusieurs années plus tard, je l’ai croisée par hasard et j’ai pu la remercier. Mais maintenant qu’elle est décédée, je reste avec le regret de ne pas l’avoir remerciée assez.

Le lendemain de ma fuite, la directrice générale a demandé à me rencontrer dans le corridor : « Nathalie, normalement, on devrait te mettre à la porte du collège. Tu as perdu tous tes points à cause de tes absences non autorisées et aussi parce qu’il t’arrive d’insulter des profs (vous savez, ceux qui m’appelaient “Poison” ou “Microbe” parce que je parlais trop et que je dessinais en classe…). Mais tu es une de nos meilleures élèves. J’ai l’impression que c’est juste une mauvaise passe. Acceptes-tu de rester avec nous? »

J’ai eu un samedi de retenue (pendant lequel j’ai pratiqué mes pièces au cor français en vue des compétitions, et aussi mangé du sucre à la crème préparé par la surveillante) et j’ai dû promettre de ne plus m’enfuir. Promesse tenue, je ne suis plus partie de l’école ni de la maison.

Quand on pense aux « si » (si ç’avait été dans une grande ville, si je n’étais pas revenue la journée même, si j’avais sauté dans la rivière, si quelqu’un m’avait embarquée, si la police avait été lancée à mes trousses, si j’avais reçu plus d’aide dès la première fois, si j’avais été mise à la porte du collège, si, si, si…), on angoisse facilement. Dans mon cas, ces « si » ne se sont pas produits. J’ai été chanceuse et j’ai aussi fait ma chance en revenant chez moi, en acceptant le compromis avec l’école et en apprenant de cette leçon.

Et maintenant que c’est à mon tour d’être maman d’ados, j’espère que je ne serai jamais confrontée aux « si » d’une fugue. J’essaie d’être à l’écoute des signes et d’enseigner à mes enfants d’autres options afin que fuir et frapper ne leur apparaissent pas comme des solutions. On verra si ce sera suffisant.

Nathalie Courcy