Tu voles, tu rapportes. Principe de base.
Parmi les limites que les tinenfants testent presque tous, il y a le
Parmi les limites que les tinenfants testent presque tous, il y a le vol. Quand j’étais petite, je volais des gommes à effacer en forme d’arc-en-ciel et de crème glacée. C’était plus pour le thrill que pour l’objet lui-même. En fait, une fois que j’avais l’efface dans ma poche et que j’étais sortie du magasin, elle ne m’intéressait plus. Quand je la regardais au milieu de ma collection de gommes à effacer quétaines, je ne ressentais pas la même fierté envers l’arc-en-ciel volé que pour l’efface en petit minou que ma prof m’avait donnée en récompense. L’arc-en-ciel me faisait ressentir une petite honte, me rappelait que j’avais mal agi. Mais comme je ne m’étais pas fait prendre, elle m’appartenait. Mais elle ne me plaisait pas. Et je recommençais.
Pendant une période où elle était tout le temps de mauvaise humeur, ma belle cocotte volait souvent. À l’épicerie, je devais la surveiller sans arrêt, sinon, elle cachait des sachets de bonbons ou des crayons dans ses poches de manteau. Attendre aux caisses était un défi parce qu’elle subtilisait les gugusses à sa hauteur pendant que je payais. Avant de franchir la porte automatique, je glissais mes mains dans ses poches, je lui faisais de gros yeux, et elle devait retourner l’objet volé en s’excusant. Oh! Que la demoiselle ne me trouvait pas drôle! Mais ça tombe bien, mon but n’était pas de gagner le Festival de l’humour. J’avais droit à un « Grrrrrr » bien senti.
À la maison, elle volait souvent des objets à sa grande sœur. On pouvait laisser traîner vingt dollars sur le comptoir et c’était toujours là le lendemain. Mais le toutou préféré ou le pendentif à valeur symbolique disparaissaient. On les trouvait bien dissimulés dans la chambre de la petite demoiselle, sous des piles de mouchoirs, dans son coffre à jouets, sous ses draps. Lorsqu’elle grimpait en cachette sur les comptoirs pour se rendre jusqu’à l’armoire à pépites de chocolat, ah! là! On ne retrouvait pas le chocolat, mais on se rendait éventuellement compte que les sacs (t’sais, le format Costco) étaient vides. Ou on trouvait des emballages de collations sous son lit, dans ses poches, dans les craques de meubles…
Avec le temps, on a identifié avec elle la cause de ses vols. L’explication « Voler, c’est pas beau et ça fait de la peine aux autres », ce n’était pas efficace avec elle. Elle ne voulait pas faire de la peine, mais c’était devenu une habitude plus forte qu’elle. Elle y gagnait quelque chose : faire fâcher sa sœur. On a mis des limites. « Tu aimes bien avoir des pépites de chocolat dans les muffins, mais je ne peux pas en mettre si tu les manges toutes. » Pendant un bout, il n’y a plus eu de pépites de chocolat dans les muffins. « Quand tu as besoin de quelque chose, tu nous le dis et si c’est raisonnable, on l’achète. Tu as besoin de chaussettes, de vêtements, ou tu as le goût de manger des mangues? On peut en acheter. Tu ne manques de rien. Pas besoin de voler pour obtenir ce que tu veux. »
À un moment, moi aussi, je lui ai « volé » ce qui lui tenait à cœur. Elle a cherché son bracelet disparu. Elle a ragé parce qu’elle ne savait pas qui le lui avait pris. Elle a accusé tout le monde d’être entré dans sa chambre sans sa permission. Elle a pleuré. Puis, nous avons eu une bonne discussion. Maintenant qu’elle avait ressenti ce que sa sœur pouvait ressentir quand un objet symbolique disparaissait, quand elle s’immisçait dans son univers privé, elle pouvait comprendre. Elle n’avait pas le goût de le revivre, alors c’est devenu plus facile pour elle de se contrôler. Elle ne voulait plus que sa sœur vive cette même peine.
Cette semaine, mon bonhomme de six ans, abonné au testage de limites ces temps-ci, a laissé tomber un livre de son manteau après qu’on a visité une librairie. « Ah! Ben! Me semble qu’on n’a pas payé pour ce livre-là? Ça veut dire qu’il n’est pas à nous, pas vrai? Alors je pense que la bonne chose à faire, c’est de le rapporter au caissier et de s’excuser. Qu’en penses-tu? » Il m’a suivie presque sans protester. J’ai compris par la suite qu’il pensait qu’il pourrait simplement remettre le livre dans le rayon et quitter incognito. Une fois à la librairie, il a dû déposer le livre sur le comptoir, regarder le caissier dans les yeux et s’excuser d’avoir pris le livre sans le payer.
Je n’étais pas fière qu’il ait volé, évidemment. Mais j’étais fière qu’il ait fait le processus de réparation de son geste. Comme s’il se donnait la permission d’apprendre ce principe de base : Tu voles? Tu rapportes. La prochaine fois qu’il aura le goût de prendre quelque chose qui ne lui appartient pas, il s’en souviendra. Peut-être!
Nathalie Courcy