Faire des bébés: non, faire l’amour ne suffit pas toujours
Moi, j’en voulais, des enfants. Plusieurs. Et tôt. À peine mariÃ
Moi, j’en voulais, des enfants. Plusieurs. Et tôt. À peine mariée, je voulais m’entourer de cocos et de cocottes à aimer, à accompagner. Mais il arrive que la vie nous mette des barres d’acier dans les roues. Ce qui devait durer à peine plus de neuf mois (en comptant le temps de faire le bébé, de le mener à terme et de l’accoucher) a finalement pris plusieurs années. Ce qui devait être une aventure romantique entre mon homme et moi s’est finalement passé entre mon chum, les médecins, les infirmières, les biologistes, et moi. Avec un donneur de sperme en prime.
Premier mois d’essais : ça ne marche pas. Pas de stress, ça nous fait plus de temps pour avoir du plaisir à deux. Deuxième, troisième, quatrième mois : manque de chance, manque de timing. Rendus au sixième mois, on commence à se dire que c’est le fun de faire l’amour, mais que ce serait le fun, aussi, que je devienne enceinte. Éventuellement. On commence à s’informer plus, à prendre des trucs (les pattes en l’air, une journée sur deux, les soirs de pleine lune…), à se dire qu’on n’est peut-être pas dus pour procréer.
Une fois la demi-année passée, on commence à s’inquiéter. Je commence à obséder. Il commence à se détacher. Faire l’amour devient une obligation, un calcul. Je prends ma température chaque matin, avant même d’ouvrir mes paupières. J’ai une température pas possible, tellement basse qu’elle tombe en bas des chartes, dans le vide. J’ai des cycles tellement courts qu’aucune ovulation ne pourrait trouver sa place. Mais il faut attendre avant de consulter. Attendre le fameux « un an » d’essais.
Un an : c’est presque une fête! Toujours pas de mini-nous à l’horizon, mais au moins, on peut maintenant consulter, chercher des réponses, trouver des solutions. Ça, c’est sans compter l’année d’attente. Il y en a donc ben, du monde infertile? Pourtant, à voir toutes les bedaines rebondies et les poussettes remplies, on a l’impression d’être les seuls à qui la parentalité ne sourit pas. Les amies, les belles-sœurs, les collègues ont des beaux « + » sur leurs tests de pipi. Pas moi. J’échoue même mes tests d’ovulation!
Les questionnaires médicaux débutent, les tests s’accumulent. À qui la faute? On est sous enquête. Chaque nouvel examen médical nous place sur une nouvelle liste d’attente. Nous sommes pris dans une tranchée où on ne voit rien, faussement à l’abri de résultats qui pourraient anéantir notre désir partagé d’avoir une famille à nous. Ponction testiculaire (ouch!), spermogramme, calendrier des températures, échographies vaginales… Notre patience s’use, nos discussions s’enflamment, notre relation s’effrite. C’est prouvé, les parents qui doivent faire le deuil d’un enfant décédé risquent leur couple à la roulette russe. Nous étions endeuillés d’un enfant même pas né.
Puis, le verdict est enfin tombé. Mes cycles étaient une catastrophe. Trouver ma période fertile était aussi difficile que de trouver un grain de sel dans une tempête de neige. Mais ce n’était pas tout. Mon homme n’avait aucun spermatozoïde. Aucun. Zéro. La ligne de vie plate comme le graphique cardiaque d’un mort.
Les discussions ont repris de plus belle. Adoption? Insémination? Abandon du projet bébé? Séparation? L’amour a triomphé et la technologie l’a aidé. Nous avons opté pour l’insémination avec donneur. J’étais déjà boostée aux hormones. Je devrais en plus me piquer (avec une seringue qui me semblait gigantesque!) au milieu de la nuit pour stimuler l’ovulation au max. Ce qu’on ne ferait pas pour tenir notre bébé dans nos bras. Plan de match accepté, défi relevé!
On a dû convaincre une psychologue que nous serions de bons parents (eh! Oui, les futurs parents infertiles doivent réussir cette étape, ce qui rend encore plus frustrant le fait que tant de parents négligents deviennent parents juste en se regardant!) On a rencontré la biologiste de l’hôpital qui nous a aidés à choisir le donneur (dans le temps, on était conseillés par un biologiste qui connaissait tous les donneurs et qui se fiait aux caractéristiques physiques du papa pour sélectionner le donneur anonyme; depuis que la loi sur les dons de matériel humain a changé, les échantillons de sperme se magasinent sur Internet… en tout cas). On a observé les spermatozoïdes au microscope. Ça grouillait de vie! C’est rare que des futurs parents voient leur futur bébé aussi tôt!
Étendue sur la table d’examen en position d’examen gynécologique, j’ai reçu le sperme d’un inconnu qui avait été assez généreux pour donner sa semence. Et deux semaines plus tard, j’apprenais que j’étais enceinte. Première échographie à dix semaines, premiers coups de pied à onze, décollement placentaire à treize, hémorragie à quinze… puis, calme plat. Beau bébé en santé né à quarante semaines.
Ma première grossesse a donc duré presque cinq ans, entre le moment où on s’est dit : « On arrête de se protéger » et le jour où on a pris notre bébé tant désiré dans nos bras. Les autres grossesses ont été plus simples : une fois qu’on comprend le truc (non, faire l’amour ne suffit pas toujours), il était plus facile de réaliser notre rêve de famille.
Si un jour, nos enfants nous reprochent de ne jamais les avoir désirés, nous savons déjà quoi leur répondre!
Eva Staire