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Jumeau perdu, jumeau vécu (première partie)

Nous écrivons ce texte à quatre mains en souvenir des deux cœurs

Nous écrivons ce texte à quatre mains en souvenir des deux cœurs que nous avons portés. Nous avons toutes deux vécu une grossesse gémellaire qui s’est soldée par le décès in utero d’un des jumeaux et la naissance d’un bébé vivant.

L’annonce d’un bonheur multiplié par deux

Nathalie : En clinique de fertilité, j’avais annoncé au médecin que j’étais en train de devenir enceinte de jumeaux. Il ne me croyait pas. Le jour même de la prise de sang confirmant la grossesse, le médecin m’envoyait passer une deuxième prise de sang dès le lendemain. Je savais intuitivement que le taux de HCG était dans le piton et le lendemain, il atteignait l’Everest. Huit semaines après l’insémination, l’échographie nous montrait deux cœurs et deux mini embryons.

Mélanie : Premier mois d’essai, première grossesse. Je tenais le test de grossesse dans mes mains, fébrile, un mélange de toute sorte de sentiments virevoltait en moi. J’étais heureuse, inquiète, j’avais peur, j’avais hâte. J’ai su tout de suite que cette grossesse était spéciale. J’avais tous les symptômes puissance dix et très tôt. Déjà à neuf semaines, j’avais un petit bedon. J’ai dû aller m’acheter des pantalons de maternité. Les gens qui me rencontraient me disaient : « Mon Dieu! Tu grossis vite! Tu attends sûrement des jumeaux. » Je ne savais pas, dans le temps si tout se passait bien. On n’avait pas d’écho avant dix-neuf semaines, mais quelque chose en moi savait. Une première intuition de maman, je suppose.

Adieu, mon bébé

Nathalie : Le lendemain de l’échographie de huit semaines, je partais enseigner en France pendant un mois. Comme pour mes grossesses précédentes, j’avais peu de symptômes, mais la fatigue était plus grande. En lisant à propos des grossesses gémellaires, j’ai appris qu’il pouvait arriver qu’un seul fœtus se rende à terme. (Je sais maintenant que ça arrive très souvent, mais que la plupart du temps, le jumeau disparaît sans que personne n’ait connu son existence. Il peut même être « absorbé » par l’autre bébé). Une semaine avant de revenir au Canada est née en moi l’intuition que je ne donnerais naissance qu’à un seul bébé. Cette idée s’est transformée en certitude.

À treize semaines d’aménorrhée, je séjournais chez ma mère avec mes deux filles. J’ai commencé à avoir mal au ventre et au cœur, comme si j’avais une indigestion. Après quelques jours, je suis partie seule au cinéma. La noirceur et la solitude m’ont fait du bien et m’ont remise sur pied. Mais la nuit suivante, à cinq heures, j’ai senti un liquide couler entre mes jambes.

Je suis allée à la salle de bain et j’ai accueilli dans mes mains un caillot d’une longueur de dix centimètres. Je ne voulais pas réveiller mes filles. Je ne voulais pas qu’elles voient cette boule sanglante. J’avais peur de les traumatiser, alors j’ai déposé mon bébé dans l’eau froide de la toilette et j’ai fait partir l’eau. Comme si je le baptisais.

Quelques heures plus tard, un médecin confirmait par échographie qu’un des fœtus avait laissé derrière lui un hématome de quelques centimètres. Sur l’écran noir et blanc, je voyais un bébé, un seul, étendu de tout son long puisqu’il avait soudainement beaucoup d’espace. Alors que je sentais déjà les mouvements des bébés dans mon ventre avant la fausse couche, j’ai dû attendre la vingt-quatrième semaine avant de recommencer à sentir mon bébé bouger. J’étais inquiète, j’avais peur d’être dans le 50 % malchanceux de celles qui perdent le deuxième fœtus même s’il est en santé.

Pourtant, je n’ai eu aucune hémorragie. La grossesse s’est poursuivie comme si de rien n’était, comme si je n’avais pas perdu la moitié de mes espoirs.

Mélanie : J’avais fait le voyage jusqu’à Québec pour faire les boutiques de maternité. Le lendemain de mes achats, mon gros bouvier bernois est tombé malade. Très malade. J’ai dû prendre la décision de le faire euthanasier. Pourquoi je vous raconte ça? Parce que c’est là que le destin a frappé. Je pleurais beaucoup, je l’aimais tellement, ce chien-là! Je pleurais même sans arrêt. J’ai commencé à avoir mal au ventre, je me suis dit que je pleurais trop, que ça devait être ça. Un peu plus tard, j’ai su que quelque chose n’allait pas.

En allant faire pipi, je me suis relevée et l’eau de la toilette était rouge, beaucoup trop rouge. Je paniquais, j’étais à Québec, je ne savais pas où aller. J’ai pensé téléphoner à une amie qui était dans la région. Elle m’a dit : « J’arrive ». Elle m’a conduite à l’hôpital. Je saignais beaucoup. Au triage, l’infirmière, avec toute sa délicatesse, m’a dit : « Ton bébé, tu l’as perdu, il y a beaucoup trop de sang. Le médecin te verra plus tard, retourne dans la salle d’attente ».

Assise sur la petite chaise droite de la salle d’attente, je pleurais en silence. J’attendais que le médecin confirme la nouvelle. J’ai attendu longtemps. La salle était bondée. J’ai finalement vu le médecin urgentiste. Il m’a examinée et a confirmé beaucoup plus gentiment que je n’étais probablement plus enceinte. Il m’a envoyée passer une écho pour être certain qu’il ne restait plus rien. Encore de l’attente, avec un peu d’espoir… Je flottais dans une sorte de bulle je ne voulais juste pas croire que tout ça était vrai.

Finalement installée sur la table d’échographie, le technicien en radiodiagnostic a posé le petit machin sur moi. Il m’a dit : « Je ne comprends pas, tu es toujours enceinte ». Un profond soulagement s’est installé en moi. « Mais il y a un hématome plus bas. Tu étais enceinte de jumeaux, maintenant il n’en reste qu’un. »

J’étais toujours enceinte, mais un des bébés avait repris ses ailes d’ange sans que je puisse le tenir dans mes bras… Un mélange de désespoir et d’espoir s’était installé en moi. Je pleurais mon bébé perdu, mais j’étais soulagée pour le bébé qui se battait toujours pour rester.

À suivre…

http://jumeauxandco.com/grossesse-gemellaire-2/le-syndrome-du-jumeau-perdu/

http://jumeauxandco.com/interviews/conseils-dexperts/devenir-parents-de-jumeaux-quels-impacts-psychologiques/

Nathalie Courcy et Mélanie Paradis

Jumeau perdu, jumeau vécu (partie 2)

Vous-trouverez le lien de la première partie de cette collaboration

Vous-trouverez le lien de la première partie de cette collaboration spéciale au bas de la page.

Adieu, bébé jumeau… Les derniers mois de la grossesse allaient servir autant à faire notre deuil d’un bébé parti trop tôt et d’une expérience de vie avec des jumeaux qu’à préparer à accueillir notre bébé survivant.

La naissance d’un survivant

Nathalie : Après quarante semaines à barboter dans mon ventre format hippopotame, mon fils est né. Presque dix livres de bébé! J’avais passé la grossesse à le supplier de s’accrocher et à respirer pour lui envoyer de la force et du calme. En naissant, il a oublié de respirer, son cœur ne battait presque plus. Les soins médicaux l’ont convaincu de ne pas suivre son frère jumeau ou sa sœur jumelle. Il est revenu, et il a grandi. Nous n’aurions pas les photos mignonnes de jumeaux habillés pareil ni celles où ils dorment en se tenant par la main. Mais il arrive qu’on ait l’impression que le jumeau disparu n’est pas si loin…

Mélanie : Tu as hésité longtemps. Je saignais souvent. Je crois que tu hésitais encore entre partir rejoindre ta moitié ou rester. Trente-sept longues semaines à avoir peur, mais tu as décidé de rester et de te présenter plus tôt que prévu à trente-sept semaines et trois jours. La perte vécue pendant la grossesse faisait partie de toi. Tu étais un bébé difficile, tellement anxieux! Tu n’arrivais pas à te séparer de moi, tu avais besoin d’une routine que l’on devait suivre by the book, sinon tu pleurais sans être consolable. Même en vieillissant, tu étais constamment dans mes jupes. On me le faisait remarquer. Ç’a été comme ça, jusqu’à la naissance de ta sœur, vingt-deux mois plus tard. À ce moment-là, tu t’es collé à elle…

 

La place vide

Nathalie : Le bébé jumeau, nommé sans originalité « Bébé Étoile », a toujours gardé sa place dans notre famille. À part la photo de l’échographie et le souvenir de ma réaction à l’annonce d’une grossesse gémellaire, nous n’avons aucun souvenir symbolique de ce petit humain. J’ai donné mes livres au sujet des jumeaux. J’ai donné les pyjamas qui m’avaient servi à annoncer la double surprise à mon mari. Il nous reste l’histoire d’une vie trop courte et invisible.

Il nous reste aussi des histoires dans lesquelles on sent la présence du jumeau perdu. Des inconnus qui nous arrêtaient en s’étonnant que notre nouveau-né dégage une aura si bienfaisante et si puissante. Les nombreuses fois où on s’est fait dire que notre mini bonhomme avait une vieille âme, même avant qu’il parle. Notre fils qui nous dit : « Maman, mon ami Nathan, il est comme mon jumeau. »

Mélanie : Maintenant, il n’y a que le souvenir de toi, bébé jumeau. Ce souvenir du moment où j’ai appris ton existence et ta mort simultanément. Mais tu as laissé quelque chose chez ta sœur. Une empathie démesurée pour une petite fille de sept ans. Une sensibilité hors du commun. Cette sensibilité qui a permis à ta sœur de m’annoncer que j’étais enceinte, avant même que je fasse mon test de grossesse. Cette même sensibilité qui a fait venir ta sœur vers moi un matin en me disant : « Maman, tu n’as plus de bébé dans ton ventre! » avant même les premiers signes de la fausse couche qui allait suivre quelques jours plus tard…

Ce qu’il en reste

Nathalie : On n’a jamais caché l’existence du bébé perdu. Quand mon mari et moi avons démarré notre maison d’édition, on l’a nommée « Quatre et demi » : quatre enfants, plus un qui est à moitié avec nous, à moitié dans un univers parallèle. Chaque 14 juillet, j’ai une pensée silencieuse pour le jour de sa mort-naissance. Il arrive que nos enfants posent quelques questions, mais le deuil est fait. Il restera à savoir si le temps ramènera sa non-présence parmi nous, comme c’est parfois le cas lorsque l’enfant survivant se sent incomplet, cherche à combler le vide en s’inventant un ami presque réel, se sent coupable d’être celui qui reste, même en étant inconscient du lien avec son histoire intra-utérine.

Mélanie : Il n’y a que très peu de personnes au courant qu’il y a eu cette grossesse multiple. Plusieurs parents de jumeaux m’ont dit que ma fille avait un comportement de jumelle. Cette disparition fait partie d’elle. Elle est restée une petite fille anxieuse, qui a peur de tout, mais surtout de l’abandon. Une petite fille qui a besoin de sa sœur pour faire face à de nouvelles situations. L’absence de ce jumeau fait partie de la vie de Jillian tous les jours, on le sent, on le sait qu’il lui manquera toujours quelque chose. Comme si elle lui tendait la main chaque jour, mais sans qu’il puisse la lui serrer…

http://jumeauxandco.com/grossesse-gemellaire-2/le-syndrome-du-jumeau-perdu/

http://jumeauxandco.com/interviews/conseils-dexperts/devenir-parents-de-jumeaux-quels-impacts-psychologiques/

Première partie : http://www.mafamillemonchaos.ca/on-jase/jumeau-perdu-jumeau-vecu-premiere-partie/

Nathalie Courcy et Mélanie Paradis