Il s’appelait Atagne
Il est apparu dans notre vie comme une brise de printemps. Apportant
Il est apparu dans notre vie comme une brise de printemps. Apportant avec lui un air pur et frais. Sa présence à nos côtés rendait l’atmosphère tantôt calme, tantôt inquiétante.
Nous l’avons laissé jouer avec notre petite de quatre ans. Leurs jeux étaient remplis de grande complicité. Jamais je n’avais vu ma fille rire à gorge aussi déployée. Les histoires qu’ils se racontaient ! Puis, petit à petit, il s’est immiscé dans notre vie. Notre quotidien. Ma fille a même pleuré pour qu’il passe la nuit à la maison. C’est à ce moment-là que l’on s’est inquiété de leur étroite relation.
Il devait avoir son âge. Je crois. Je croyais.
Comment savoir. Je ne l’avais jamais vu.
Atagne, c’était son nom. Il était apparu dans nos vies peu après la naissance de ma dernière, Emmanuelle. La plus grande de la famille, Julia, était alors en première année du primaire. Lauriane s’est alors faite toute petite entre l’absence de Julia et la présence trop exigeante d’Emmanuelle. Elle s’est alors invité un ami. Inventé serait plus juste. Atagne est apparu.
Au tout début, il n’était présent que lorsque je donnais le lait à Emmanuelle. Lorsque je changeais la couche. Puis, peu à peu, Emmanuelle a exigé ma présence à ses côtés. Une enfant qui faisait du reflux de deux heures de l’après-midi jusqu’aux petites heures du matin. J’étais constamment auprès de celle qui en avait le plus besoin. J’avais retiré Lauriane du service de garde lorsque j’étais devenue enceinte (ben oui, je n’avais pas imaginé qu’une grossesse pouvait différer d’une autre). Je l’ai donc soumise à une attente interminable. Aux deux petites minutes qui se transformaient en demi-heures. Puis en heures
Je la trouvais débrouillarde de s’inventer autant de jeux du haut de ses quatre ans. Et très honnêtement, cela me soulageait. Jusqu’au jour où son besoin d’attention lui a fait faire des petits trucs qui n’étaient jamais de sa faute. Elle a commencé à jeter le blâme sur son nouveau copain de jeu. Difficile de le sermonner. Je savais qu’elle ne voulait pas mentir, mais c’était plus fort que moi. Je lui disais que ce n’était pas vrai ! Qu’il n’existait pas. Elle a dû réparer les bêtises de son confrère de jeu.
Plus le temps avançait, plus Atagne devenait trop présent. L’imaginaire de ma fille se confondait avec la réalité. Elle faisait des crises pour qu’il embarque dans son siège de voiture, pour que je lui fasse une place à la table. Nous avons déjà fait une marche dans le quartier avec Atagne dans la poussette et Lauriane qui marchait à côté de mon conjoint. La honte pour ce dernier. Pousser Atagne pour faire plaisir à sa fille. Une poussette vide, mais remplie de l’imaginaire d’une enfant de quatre ans.
J’avais laissé entrer cet individu chez nous, mais voilà qu’il ne pouvait plus partir. Ma fille l’en empêchait. Elle le retenait captif dans sa réalité, son imaginaire.
Elle était imaginative, créative. Mais je la sentais seule. Je me suis documentée, car il m’importait de la remettre en relation avec nous. L’inconnu m’effrayait.
Et c’est alors que j’ai compris que cet ami l’aidait à apprivoiser ces moments où elle était seule. Comme elle n’avait pas beaucoup d’amis au courant de sa journée, il lui a permis de connaître ce que c’était que de vivre avec les autres. Je l’ai observée, je les ai observés. Ils ont appris ensemble les bases des relations sociales. Cela n’a affecté en rien ses relations avec ses pairs une fois rendue à l’école. J’avais si peur qu’elle se referme sur elle‑même. Non, au contraire, elle était ouverte aux autres.
Cet ami lui a permis de mieux comprendre la nouvelle situation qui s’était présentée à elle. C’était la première fois qu’elle était grande sœur. C’était la première fois que maman était moins présente auprès d’elle.
Puis, j’ai laissé Atagne être là. Cela m’a permis de découvrir tellement sur ma fille. Atagne était en quelque sorte les goûts, les intérêts de Lauriane. Il était aussi ses émotions. J’ai tellement appris sur elle. Dans le quotidien d’Atagne, je découvrais ma fille.
J’ai finalement accepté cet ami, sans toutefois lui accorder la même importance que Lauriane. Je l’ai considéré comme un allié dans cette transition. Notre routine s’est établie petit à petit avec notre nouvelle famille et Atagne s’est dissipé dans les besoins de Lauriane. Il nous a quittés, peu avant son entrée à la maternelle. Aussi subtilement qu’il était entré dans nos vies.
Plusieurs années plus tard, nous avons évoqué le prénom d’Atagne lors d’un souper. Lauriane l’avait oublié. Mais pas à 100 %. Elle nous a regardés avec un air ébahi, sans trop comprendre ce que ce prénom lui faisait vivre dans son for intérieur. Nous lui avons alors raconté leur histoire. Nous avons ri. J’ai, comme toujours, versé deux ou trois larmes de nostalgie.
Atagne nous a quittés, mais jamais définitivement. L’imaginaire n’a pas de fin. Ni dans l’espace ni dans le temps.
Soyez rassurés. Les amis imaginaires sont positifs. Des petites bêtes qu’il nous faut toutefois apprivoiser.
P.S. J’ai eu le loisir de rencontrer Atagne un jour. Nous étions en visite chez mes parents. Lauriane m’a crié de venir la rejoindre. Atagne était à la télévision. Elle me l’avait toujours décrit avec des cheveux mi-longs, bruns. J’ai accouru devant le téléviseur. Une bataille à l’écran. C’était le film Le dernier des Samouraïs. Puis, au milieu de la cohue, Atagne. Il était là. Campé dans le personnage de Tom Cruise. Ma fille aura le don de choisir ses partenaires de jeu.
Mylène Groleau