Kaléidoscope : ou celle que je n’ai pas encore été… Texte : Solène Dussault
Je me revois, petite, sous un soleil magnifique. L’exploration d’un nouvel univers se révélant à chaque tour de poignet. La découverte d’un jouet fascinant : le kaléidoscope. Une création de l’esprit ou une image véritable ? Un pur ravissement produit par un mélange de couleurs vives, de motifs flous ou définis.
Celle que j’ai toujours été : une femme formatée pour une seule mission, une seule profession. Au sortir des bancs d’école, mon diplôme fièrement acquis, le sourire accroché aux lèvres à l’entrée de ce tunnel professionnel. N’imaginant alors aucune porte de sortie, avançant d’un pas sûr et confiant vers une destination ultime, la sortie de ce long corridor : la retraite. Comme une roue qui tourne, me laisser entraîner, ne jamais remettre en question cette profession, si chère à mon cœur. Me lever, tous les matins, pour relever ce défi. Participer à de nombreux comités, partager des idées, élaborer des projets, rire, sourire, être fière. Devenir un mentor, un phare, un pilier. Celle sur qui on peut toujours compter.
Et un jour, ressentir un sentiment de lassitude, comme si ma mission avait perdu son essence, sa raison d’être. Chercher des moyens, des idées, des stratégies pour me relancer, insuffler une nouvelle énergie à ma carrière, à mes jours. Me demandant si c’est normal de me sentir comme je me sens. D’être inconfortable, de sentir que j’ai fait le tour du jardin. Un doute s’insinue dans mon esprit, comme une vipère sournoise : si c’était le début de la fin ? Impossible, ma carrière n’est pas terminée. La retraite n’a pas encore sonné pour moi !
Me fermer les yeux et mettre un cadenas sur mes envies, mon cœur. Repousser le tout sous le tapis et continuer le marathon. Espérer que le temps fera son œuvre et me redonnera des ailes. Faire de nouveaux choix, des tentatives inexplorées pour me maintenir dans ce milieu que j’ai tant souhaité. Que pourrais-je faire d’autre, après tout ? Mon baccalauréat est mon seul ancrage, ma seule espérance… Je suis devenue la somme de motifs flous, dilués, sans éclat. Je me sens éteinte, celle qui n’est plus traversée par une lumière porteuse d’espoir.
Et les pages du calendrier qui volent dans le vent déchaîné. Et cette voix, qui commence à crier plus fort. Le hurlement de celle que je ne veux plus être. Je ne veux plus revenir du travail épuisée et passer mes soirées à travailler. Je ne veux plus être celle qui fait des siestes la fin de semaine et qui n’a pas d’énergie pour partir en p’tit week-end à Québec. Je ne veux plus être celle qui poursuit ses jours parce qu’une retraite confortable l’attend au bout de sa route. Je ne veux plus être prisonnière d’une profession.
Et l’image du kaléidoscope se reflète sur ma rétine. Je dois me tracer un sillon qui m’appartient. Je dois devenir celle que je n’ai jamais été. Et la route de tous les possibles se dessine alors devant moi. Lorsqu’on ne veut plus être celle qu’on a été et que l’on veut devenir celle qui veut naître, il faut tenir le deuil par la main et l’embrasser. Oui, il y a du renoncement. Il y a tellement, tellement de vertiges aussi. La peur de ne pas y arriver. Et il y a de l’humilité qui demande à tendre la main vers de l’aide pour tracer une future voie. Découvrir en soi des trésors insoupçonnés, des ressources qui dorment, qui ne demandent qu’à jaillir dans toute leur splendeur. Rencontrer des personnes nouvelles, inspirantes, qui nourrissent des étincelles.
Je vois des images plus nettes de celle que je deviens : une femme courageuse qui s’engage vers des horizons encore inexplorés. Une femme qui tient sa boussole pour ne plus jamais perdre son nord. Avec bienveillance, j’honore les parties de moi qui sont dans l’enthousiasme total de chérir toutes ces opportunités. Je rencontre celle que je n’ai jamais été et j’ai vraiment hâte de faire un bout de chemin avec elle. Je me fais la promesse de rester bien en cohérence avec mes valeurs. Elles me permettront de voir ma vie en couleurs, sous toutes ses facettes, avec une grande fierté pour celle que je n’ai pas encore été. Droit devant !
Solène Dussault