La première contravention

Mon grand bonhomme de six ans, si sage et si serviable, vit des mome

Mon grand bonhomme de six ans, si sage et si serviable, vit des moments difficiles depuis quelques mois. L’absence de papa y est pour quelque chose, certes, mais c’est un facteur parmi d’autres.

Depuis deux semaines, nous vivons une accalmie à la maison. Il accepte le reflet que je fais de ces émotions en les nommant, en les relativisant : « Tu sais, tu n’es pas seul à te sentir stressé quand c’est le temps de quitter la maison. Tu as hâte de jouer avec tes cousins, mais tu as aussi peur de t’ennuyer de ton lit et de tes jouets. Est-ce que je me trompe? » Sur le coup, ces paroles ont émietté sa tension corporelle et lui ont fait prendre conscience que se venger sur toute la famille ne faisait pas baisser sa propre anxiété, au contraire. Une heure plus tard, en voiture : « Maman, c’est vrai, quand on quitte la maison, je me sens nerveux, j’ai peur de ne pas revenir. »

Donc, à la maison, nous vivons de belles victoires. Les insultes qui sortaient de sa bouche d’abord par défi de l’autorité et par colère, puis par réflexe, sont remplacées par une retenue mature. On voit bien que des mots pas fins tentent de franchir ses lèvres, mais on voit aussi que son cerveau et son corps travaillent fort pour les retenir. C’est plus facile de trouver des solutions et des compromis ensemble quand le presto n’a pas encore sauté.

Mais à l’école et au service de garde, les choses se dégradent. À chaque début d’année scolaire, je demande aux enseignants de me tenir au courant de tout comportement inhabituel chez mes enfants. Pas parce que je suis control-freak. Simplement parce que je connais mes enfants. Ils sont intenses. Ils sont hypersensibles. Un changement qui laisserait les autres enfants indifférents peut les bouleverser et les mener à une panique intérieure destructrice. Alors même si mon garçon a toujours été ultra-zen, la communication avait déjà été établie avec l’école. En prévention.

Pendant plusieurs semaines, les comportements dérangeants n’apparaissaient qu’à la maison. C’est ce que j’avais vécu avec mes filles. Des anges à l’école, des modèles de réussite et d’adaptation, mais des boules de larmes et de cris à la maison. Ce qui a souvent amené les médecins et les psychologues à diminuer l’urgence de la situation. Mais pour fiston, c’est différent. Au premier rendez-vous chez le travailleur social, une crise de plus d’une heure. Tellement éreintante que je m’en suis fait une entorse au genou.

À l’école, même absence de filtre depuis quelque temps. Ça a commencé par des siestes plus agitées, des refus de collaborer, le rejet de consignes simples. « C’est le temps de ranger ton jouet » amenait un bocage, des grimaces, un rire baveux. La journée où il s’est fait mettre à la porte de son cours de magie, je me suis dit que ça devenait plus sérieux. Lui qui adore cette activité, il devait avoir un besoin non comblé pour « choisir » une heure chez la T. E.S. à la place. Chaque fois, l’école m’a prévenue. Chaque fois, j’ai approuvé leurs interventions et garanti ma pleine collaboration. Chaque fois, je suis revenue sur la situation avec mon fils.

Quand c’était mon tour d’avertir l’enseignante de ce qui dégénérait à la maison, elle répondait rapidement avec un plan de match. Des interventions centrées sur la pédagogie positive et la constance. Team work! Malgré tout, les comportements dérangeants sont devenus plus fréquents, plus intenses et aussi plus longs à régler. Jusqu’à hier.

Je roulais en direction de l’école. Il pleuvait des cordes. Mon cellulaire a sonné dans ma poche. Le numéro du service de garde. Quand ils appellent à 16 h 12, ce n’est jamais bon signe. Je me suis rendue sur place en me doutant de ce qui m’attendait : un papier en trois exemplaires blanc-jaune-vert rapportant un manquement majeur. La directrice du service de garde m’a expliqué la situation de la journée : après plusieurs avertissements, Tiloup s’était enfui au deuxième étage de l’école et s’était caché, forçant le personnel à se séparer pour le trouver.

La pauvre directrice a passé quinze minutes à m’expliquer le comment du pourquoi de la démarche. « On ne veut surtout pas que vous soyez aigrie envers l’école, madame. C’est une procédure normale dans ce genre de situation. C’est la sécurité des enfants qui est en cause. On sait bien que votre garçon n’est pas méchant. On travaille fort avec lui pour améliorer ses comportements. En signant un manquement, on s’assure de garder des traces de nos démarches. Vous savez… si jamais on doit demander plus de ressources… »

Elle était mal à l’aise, alors que c’est mon garçon qui aurait dû l’être. Lui, il voulait juste partir au plus vite et roulait allègrement les yeux pour le faire sentir. J’imagine que ça arrive souvent au personnel scolaire de se faire reprocher le pire par les parents. Parfois, les parents ont raison, parfois ils ont tort. Mais clairement, cette fois-ci, l’officialisation du manquement était justifiée.

Je me suis alors rappelé la première contravention qu’un policier m’a remise. Je voyais le policier s’approcher dans mon rétroviseur. Je savais bien pourquoi il avait actionné ses gyrophares. Je savais que je méritais de payer pour mon erreur, en argent et en points d’inaptitude. Je n’ai pas contesté. J’ai une contravention aux cinq ans, jamais rien de majeur. Un rappel occasionnel que les règles existent pour tous et pour le bien de tous. Une conséquence qui n’empêche pas de refaire la même erreur (pas comme si j’avais perdu mon permis ou que j’avais été emprisonnée), mais qui pose la limite et qui encourage à faire de meilleurs choix.

Je ne suis pas convaincue que mon fils est vraiment conscient de ce que représente le papier avec lequel je suis revenue tristounette à la maison et dont une copie restera dans son dossier scolaire. Mais j’espère qu’avec la poursuite de nos interventions combinées (et le retour de son papa), il retournera sur la bonne voie. Et y restera. La plupart du temps.

Nathalie Courcy