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Finir d’élever l’enfant d’une autre

À l’âge de 27 ans, je me suis retrouvée du jour au lendemain av

À l’âge de 27 ans, je me suis retrouvée du jour au lendemain avec un enfant de 18 ans.

À l’âge de 27 ans, je suis passée de marraine et simple cousine à maman de substitution, colocataire, travailleuse sociale, psychologue et shérif de ma filleule et cousine.

À l’âge de 27 ans, alors que j’avais déjà deux petits oursons de deux et quatre ans et qu’un troisième petit nounours se pelotonnait dans mon bedon, je me suis retrouvée à prendre soin d’une vieille adolescente en phase dépressive, aux tendances suicidaires et automutilatrices. Par conséquent, par « prendre soin », je n’entends pas que je lui ai juste mis un petit diachylon sur ses blessures et fait un « becquer bobo » bien senti. De façon métaphorique, je lui ai donné un massage cardiaque et la respiration artificielle, en plus de lui cautériser des plaies béantes et de lui faire cinquante points de suture à froid.

Elle était poquée. Elle était apathique. Son désir de vivre ne tenait qu’à un fil.

À l’âge de 27 ans, j’ai assuré à cette jeune femme qui ne demandait qu’à être aimée qu’elle avait frappé à la bonne porte, qu’elle était la bienvenue chez moi, qu’elle pouvait se poser ici ad vitam aeternam si tel était son désir, à la condition qu’une fois qu’elle aurait repris un peu de poil d’la bête, elle s’impliquerait dans la maison (ménage, aide avec mes enfants…) Je lui ai laissé un temps de transition durant lequel elle a beaucoup dormi et durant lequel j’ai multiplié les discussions et interventions d’aide auprès d’elle.

Mais ce n’est qu’à l’âge de 28 ans, quelques semaines après son arrivée, que j’ai réalisé que mon mandat ne serait pas que de l’écouter et de la loger, mais aussi… de finir de l’élever ! Moi, une petite maman de 28 ans encore à peine capable d’élever mes propres enfants, il fallait que je transmette déjà à autrui des valeurs plus que pratico-pratiques pour survivre dans ce monde au rythme fou qu’est le nôtre, comme celui de la rigueur et de l’effort.

Alors que je m’attaquais plutôt à rendre propre ma deux ans et à montrer à ma quatre ans à écrire son nom, je me suis retrouvée du jour au lendemain à enseigner à cette jeune femme comment faire la vaisselle, comment passer le balai, comme cuisiner autre chose que du Kraft Dinner, choses qu’elle n’avait jamais faites auparavant. Je me suis retrouvée à l’accompagner dans la sphère administrative qui venait de pair avec son départ précipité de chez ses parents, à l’aider à remplir de la paperasse, à lui rappeler la date de ses rendez-vous chez le médecin et le psychologue, à l’encourager à téléphoner chez Desjardins pour se faire faire une carte de crédit, etc. en plus de lui enseigner certaines politesses comme de ne pas mettre ses coudes sur la table ! Il me semble que toutes ces choses, il n’y a pas si longtemps, je peinais moi-même à les faire.

Ainsi, à 28 ans, alors que je ne me percevais pas encore tout à fait comme une « vraie adulte », j’ai eu le vertige devant l’ampleur de la tâche. À 28 ans, j’avoue que je me sentais complètement inadéquate pour mener à bien cette mission. Je n’étais pas prête à ça : dans ma vie de parent, j’étais rendue à accompagner une petite fille de quatre ans dans les défis… d’une petite fille de quatre ans. Je n’avais pas accompagné un enfant à travers les années de l’éducation primaire, puis secondaire, puis cégépienne, comme il aurait été naturel afin d’avoir une jeune femme de 18 ans chez moi.

Encore aujourd’hui, même si ça fait presque six mois que ma filleule vit chez moi, je ne sais toujours pas sur quel pied danser. De par mon caractère, j’ai envie de mettre en application les expressions anglaises « tough love, baby » et « the show must go on » à profusion, mais quand je songe à tout ce qu’elle a vécu et au parcours de combattante qu’elle a dû mener de front pour parvenir à l’état général pas si pire qu’elle a aujourd’hui, j’ai envie de la prendre dans mes bras et de lui chanter une berceuse. Et ça me tue quand je suis obligée de relever ses faux-pas (ta vaisselle est vraiment mal faite, tu as oublié de laver la douche, etc.), car je le sais que ça effrite encore davantage sa confiance en elle à priori rachitique, et qu’elle retournera ensuite dans sa chambre, château fort de sa solitude, avec une envie parfois irrépressible de s’automutiler, voire de se tuer. Mais en même temps, ne pas lui apprendre l’effort et le travail ne lui rendrait pas service à moyen et long terme ; ça ne la responsabiliserait pas. Cet apprentissage, on aurait dû lui inculquer bien avant : ses parents auraient dû lui enseigner bien avant. Mais ils auront été négligents jusqu’au bout il faut croire. Et c’est moi qui en paye le prix.

À l’âge de 27 ans, je me suis retrouvée du jour au lendemain avec un enfant de 18 ans, et à 28 ans, j’en ai mesuré les conséquences, même si dès le départ, je savais que ce ne serait pas une aventure facile à traverser. Mais je dois avoir lu le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau dans une autre vie, car je juge qu’il est de mon devoir, de marraine certes, mais aussi d’être humain plein d’aplomb, d’aider un être plus vulnérable. Alors je mets la main à la pâte. Je le fais avec mon cœur, je le fais avec mes tripes. Je le fais avec mes qualités, mais aussi avec mes défauts. Je le fais avec un brin de colère aussi, je dois l’admettre, certes contre ses parents, mais aussi contre tous les parents du monde qui ne s’acquittent pas bien de leur tâche qui est d’aimer leur enfant et de le traiter convenablement. Je le fais avec mon amour et mon admiration pour elle, mais aussi avec mes petits irritants du quotidien. Néanmoins, je fais de mon mieux. Comme tout parent qui se respecte.

À l’âge de 18 ans, il est clair qu’elle n’est pas prête à voler de ses propres ailes.

À l’âge de 28 ans, je ne sais pas trop si je suis la meilleure personne pour faire ce voyage avec elle, mais je m’engage à tout faire pour que ses plumes d’envol, ses calamus, poussent. Et par la même occasion, peut-être réussira-t-elle à m’en faire pousser quelques nouvelles, à cet aigle à peine mature que je suis ? Des plumes qui me permettront à mon tour de planer un peu plus haut, un peu plus loin, et de gagner mon ciel.

Véronique Foisy

Le meilleur du pire

À notre naissance, on est l

À notre naissance, on est la fille de nos parents. Ensuite, on est leur ado et on leur en fait vivre des vertes et des pas mûres… Et puis, quelque part au travers des hormones qui dérapent, des pétages de coche qui ne font pas de sens, des succès ET des échecs qu’on arrose… se forge une femme.

Puis un jour, on devient aussi une amoureuse. On se crée une bulle d’amour, on y met un toit et quatre murs (et l’on s’obstine sur le choix des couleurs…). Un bon matin, on fait pipi sur un petit bâton et notre union atteint son apogée : on sera finalement trois! Un petit nouveau fera son entrée dans notre maison, notre vie et dans notre lit…

Tout à coup, un petit bout de vie prend toute la place; on oublie la fille, la femme et inévitablement l’amoureuse. On est une maman. Les cheveux en bataille, en pantalon de jogging et la brassière prend le bord en même temps que notre estime! Et quand on croise un miroir, on hésite deux secondes :

 

« Qui c’est celle-là ? Eh merde… c’est moi ! »

 

Quand mon fils est venu au monde, la partie de moi qui a décampé en premier, c’est l’amoureuse. J’avais pourtant déjà exploré mon rôle de maman avec ma fille et je connaissais le bon chemin. Mais non, l’amoureuse a décidé de quitter le bateau, pas mes sentiments, bien au contraire, je l’aimais mon homme, mais j’avais perdu la twist de lui montrer. Lui plaire était le dernier de mes soucis, comme si j’avais le temps anyway !

Les mois ont défilé dans notre vie à la même vitesse que les heures entre deux boires au beau milieu de la nuit. Je savais qu’il se tannerait, à sa place je me serais tannée bien avant, mais heureusement… il est beaucoup plus patient que moi. Au bout de quatre mois, on s’est retrouvé l’un en face de l’autre en ayant l’impression de ne plus se connaître.

 

Mais qu’est-ce qu’on était devenus ?

 

On a vécu un chaos total : trahison, chicane, peine, douleur… Name it! On se regardait sans se voir depuis des mois, mais on s’aimait depuis si longtemps. Est-ce qu’on allait vraiment laisser notre négligence tout gâcher ? Je n’avais jamais imaginé vivre ma vie familiale ainsi et élever mes enfants avec un coloc… Aussi beau soit-il!

C’est à grands coups d’efforts qu’on s’est retrouvés et qu’on a triomphé de notre « nous » à l’abandon. De minuscules moments, juste à nous, entre le souper et la vaisselle : des « je t’aime » sincères entre ses grands yeux et les miens fatigués et des douches en duo, pour économiser l’eau chaude…

C’est aussi en prenant soin de moi que j’ai pris soin de nous. Des jambes pas épilées, ça ne garde pas aussi bien au chaud l’hiver qu’un câlin enflammé sous les drapsLa Senza a fait un retour triomphal dans ma vie en même temps que le mascara allongeant. J’ai sacré à la poubelle mes vieux joggings… Faites-vous pas d’illusions, j’en ai acheté des flambants neufs! J’suis pas folle, on est si bien là-dedans… Mais maintenant, je ne les porte plus tous les jours!

Quatre ans plus tard, on est plus forts que jamais. Comme si tout le mal qu’on s’était fait nous avait propulsés dans une autre dimension de notre relation. On se tape encore sur les nerfs par moment, rien n’est parfait, mais aujourd’hui, on est capable d’en rire. On affronte la vie, avec tout ce qu’elle a de plus beau et de plus sombre, un à côté de l’autre, avec nos enfants dans les pattes!