Fermer la shop (ou la manufacture à bébés)
Il y a quelques années, couchée sur une civière, je m’apprêtai
Il y a quelques années, couchée sur une civière, je m’apprêtais à entrer en salle d’opération. Je devais subir une chirurgie pour un « problème de madame ». Quelques jours avant l’opération, mon entourage m’avait suggéré d’en profiter pour faire d’une pierre, deux coups, et de me faire ligaturer.
J’avoue qu’à ce moment-là, ça me semblait être l’idée du siècle (quoiqu’à bien y penser, ce n’était clairement pas de leurs affaires!) Je sortais d’une relation de dix ans, mon ex me faisait de la misère, je n’étais pas heureuse sur le plan professionnel, je n’étais avec mon chum que depuis quelques mois. J’étais déjà mère de trois magnifiques enfants et mon chum, papa d’une belle cocotte. La décision me semblait évidente. Je pourrais enfin dire adieu aux pilules contraceptives et avoir l’esprit tranquille : Yes!
En plus, on ne vit tellement pas dans une société qui facilite la vie aux familles nombreuses. Juste de trouver une voiture quand on a quatre enfants, c’est la galère! On oublie d’emblée les voitures économiques ou les petits modèles sport. Et je ne vous parle pas des maisons! Déjà pas évident d’en trouver une avec quatre ou cinq chambres, imaginez six! Et les nuits blanches, les couches, le manque de liberté, les garderies, le surplus de poids, les hémorroïdes, les vergetures (en avais-je vraiment besoin de plus?), etc. Non! Décidément, c’était LE bon choix… LE choix intelligent!
Pourtant, quand le médecin s’est approché pour me demander si je voulais une ligature en agrafant (réversible) ou en cautérisant et en coupant les trompes (irréversible), j’ai hésité. Sans le savoir, c’était une question piège! En répondant que je voulais des agrafes, mon gynécologue en déduirait que je n’étais pas sûre de mon choix. Sinon, pourquoi voudrais-je une ligature réversible? Couchée, dans ce petit couloir froid, vêtue d’une simple jaquette et d’un bonnet bleu, je me suis sentie ridicule et j’ai croulé sous la pression. Ce n’était pas le moment de changer d’idée, plus maintenant! Alors en quinze secondes, j’ai dû prendre l’une des plus grandes décisions de ma vie et j’ai opté pour la solution permanente : finies, les grosses bedaines pleines de vie!
Quelques années plus tard, en voyant passer une publicité de Pampers à la télé, je pleure cette décision. Je regrette d’avoir écouté ma tête (et surtout les autres), d’avoir voulu être rationnelle. C’est vrai qu’à ce moment-là, ce n’était pas le temps de songer à agrandir la famille. Mais aujourd’hui, alors que je suis avec l’homme de ma vie, que j’envisage de travailler de la maison et que l’avenir me semble prometteur, cet enfant, j’en rêve! J’en rêve littéralement, au moins une fois par semaine. Je rêve que j’annonce une grossesse à mon amoureux, que je porte un bébé en moi, que je suis enceinte de jumeaux, qu’on tente de me prendre mes bébés, que je prends conscience que je ne peux plus en avoir et que je crie de douleur, de panique… Pas besoin d’un livre sur l’interprétation des rêves pour en comprendre le sens : mon deuil n’est pas fait!
Je sais, je sais : quatre enfants, c’est déjà beaucoup! Des bébés, ça grandit et ça coûte cher, ça brime ta liberté et c’est demandant! Ça exige de l’organisation, ça t’empêche de dormir la nuit, ça fait des coliques, ça complique les choses quand tu voyages, ça régurgite sur ton chandail préféré, ça vide le bol de manger de chat sur le plancher, etc. À entendre le monde, on croirait que les enfants sont des petites grenades qui détruisent tout sur leur passage.
Pourtant, mes enfants, c’est ce que j’ai fait de plus beau, c’est ma plus grande fierté. Il n’y a pas un jour où je regrette ces trois merveilles, même si à l’époque, on me répétait que trois, c’était beaucoup, trop même! « Les forfaits familiaux, c’est deux adultes, deux enfants », qu’on me disait. Pourquoi se compliquer la vie et sortir de ce beau modèle préfabriqué, hein?
Pourquoi? Peut-être parce que mes valeurs sont différentes de celles de la société! Peut-être parce que mon instinct me dit que ce n’est pas fini pour moi. Peut-être parce que je trouve qu’il n’y a rien de plus enrichissant qu’une grande famille qui s’aime, qui partage, qui s’entraide et qui se chicane parfois. Peut-être parce que moi, les 5 à 7 entre copines et les sorties ciné, ce n’est pas ma priorité. Peut-être parce que pour moi, une soirée idéale, c’est d’avoir toute ma marmaille collée sur le divan à écouter un film de Disney. Peut-être parce qu’être maman, c’est ce que je fais de mieux. Peut-être parce que pour moi, le fait que les forfaits famille ce soit « deux adultes et deux enfants », ce n’est pas une raison valable de ne pas écouter son cœur.
Est-ce que je vais réhypothéquer ma maison et me rendre dans une clinique de fertilité pour débuter des démarches de fécondation in vitro? Probablement pas. Est-ce que je ferai mon deuil de la maternité? Pas maintenant! Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais en attendant, si ma tête a réussi à se convaincre que la maternité est chose du passé, mon cœur, lui, n’en est pas là.
Stéphanie Nesteruk