Perdu

Tout débute avec la disparition du chien. Le premier matin dans sa

Tout débute avec la disparition du chien. Le premier matin dans sa nouvelle maison. J’ai laissé sortir la bête dans la cour arrière et, quinze minutes plus tard, les enfants ont réalisé que la cour était vide. Le chien, volatilisé.

Évidemment, toute la famille se lance à sa recherche. Nous mobilisons même le quartier : Chien perdu. Ne connaît pas son environnement. Les appels se mettent à entrer. Notre labrador a été aperçu : près de l’école, près du parc, il vient de traverser le boulevard…

Mon plus vieux reste à la maison au cas où le galopin déciderait de rentrer. Je suis la piste de l’évadé pendant deux heures avec mon mari et mon huit ans, le cœur battant. Les fenêtres de l’auto sont ouvertes et nous crions Rufus, Rufus, Rufus… à travers tout le voisinage, comme un marchand de crème glacée vraiment trop motivé. Les pires scénarios se bousculent dans nos têtes. Et s’il ne retrouvait pas son chemin, s’il se faisait frapper, s’il se sauvait dans le bois…

Quelqu’un l’a vu au parc à chiens, un grand espace non clôturé en bordure de la forêt. Il joue probablement dans l’étang… Arrivé au point d’eau, mon coco descend sur la berge alors que je reste plus haut pour parler à un groupe de marcheurs. Les chiens tourbillonnent autour de nous, j’entends mon p’tit gars au loin qui récite son discours : Avez-vous vu un chien blanc avec un collier bleu? Je décris Rufus, je donne mon numéro de cellulaire…

Puis mon chum qui était allé vérifier un autre secteur du parc vient me rejoindre et me demande où est notre gars. Plus bas, il vérifie au bord de l’eau. Papa revient rapidement : Non, il n’est pas là. Je descends avec lui au bassin et réalise qu’il n’y a absolument PERSONNE.

Nous sommes devant un mur de quenouilles et de broussailles qui bloquent la vue et l’accès à la forêt. Mon chum choisit une piste étroite, me lance : Reste là! et disparaît à travers la muraille verte. Tout ce que j’entends, c’est sa voix forte qui s’éloigne de plus en plus de moi en appelant notre fils.

Piquée là, je réalise que la dernière fois que j’ai vu mon coco, il parlait avec un homme. J’entends encore sa jolie voix claire décrire notre chien. Et s’il avait suivi cet inconnu?

Mes nerfs ne supportent pas l’image que je viens de créer de mon petit bonhomme qui entre dans le bois avec quelqu’un. Je cherche des herbes piétinées autour de moi, des branches cassées, des traces… Je panique, je tourne en rond. Peut-être parce que ça fait déjà des heures que l’adrénaline est aux commandes, je suis convaincue que mon fils s’est évaporé et qu’on ne le retrouvera jamais. Je me mets à hurler son nom. Pas de la petite voix gênée qui appelait son chien tout à l’heure. D’une voix déchirée que je ne reconnais pas. Je ne fais que répéter son nom encore et encore… sans aucune retenue, sans une once de rationalité. Des larmes d’une puissance renversante arrivent comme une cavalerie incontrôlable sur un champ de bataille. Secouée de sanglots, je veux signaler le 911, là, maintenant.

Les gens avec qui je jasais il y a cinq minutes m’observent de loin, sans oser s’approcher. Je ne suis plus dans le même monde qu’eux. J’ai perdu mon fils et cette réalité m’est tout simplement insupportable. Je craque complètement.

Puis je me reconnecte tranquillement. J’entends mon mari qui approche en répétant : Je l’ai! Je l’ai!

Mon bébé est devant moi. Il est dans mes bras. Il s’excuse d’avoir oublié de me prévenir qu’il partait sur le sentier. Je peux recommencer à respirer. Calmer l’hyperventilation. Inspire… Expire…

Je me suis fait des peurs. J’ai pensé à mon amie qui avait suivi un monsieur au parc et à sa vie bouleversée. Je me suis fait un scénario de film d’horreur et je n’ai pas pu le supporter.

Je trouve bien ironique d’avoir perdu mon enfant à mon retour au Canada. Nous venons de passer deux ans à voyager à travers l’Europe et je ne me suis pas permis un seul moment de distraction en sol étranger. J’ai baissé ma garde dès que je suis rentrée chez moi, en zone confortable. J’aurais pu payer cher mon manque de vigilance, mais j’ai eu une méchante bonne piqûre de rappel.

P.S. Oui, notre chien est bien rentré à la maison après son escapade de trois heures. Il a retrouvé son chemin tout seul comme un grand. Mais je vais vous avouer que ça ne me stressait plus vraiment après avoir perdu mon fils…

Elizabeth Gobeil Tremblay