Tag père absent

Cher papa, j’ai encore mal.

Cher papa,

Je n'ai pas encore eu la chance d'être parent. Donc je

Cher papa,

Je n’ai pas encore eu la chance d’être parent. Donc je ne sais pas encore à quel point ça peut être difficile d’avoir ce rôle. Mais j’ai été une enfant. Et je sais ce dont j’aurais eu besoin. Des besoins qui m’ont manqué, et qui me manquent encore même rendue dans la vie adulte. Tout d’abord, je sais que tu m’aimes. Mais ça aurait été l’fun que tu me le démontres un tantinet, par des gestes comme des câlins, par des mots, comme un «je t’aime ma fille». Fournir les besoins de base à tes enfants, ce n’est pas démontrer que tu les aimes. C’est juste normal. Il faut faire un petit peu plus.

Quand j’étais petite et qu’on allait visiter les oncles et les tantes, tu refusais que je joue avec mes cousins et cousines. Semble-t-il que tu avais peur que je devienne une p’tite criss en me tenant avec eux. J’étais enfant unique, et tu m’as empêchée de vivre ma vie d’enfant avec les membres de ma famille pour ton honneur. Ton honneur était plus important que mon bonheur. T’avais peur que le monde te juge en disant: Heille, t’as tu vu sa fille speedy gonzalez? Il ne sait pas l’élever! Ben je vais t’apprendre quelque chose. Ce n’est pas parce que j’aurais joué une fois semaine avec mes cousins que je serai virée mongole. J’pense au contraire que ça aurait eu plus d’effets positifs que négatifs.

Également, je vais t’annoncer quelque chose: je suis un être humain à part entière au même titre que toi. Tous les êtres humains ont ce besoin de base d’être reconnus par les gens autour d’eux, surtout leur famille. Ce n’est pas parce que je suis plus jeune ou que tu as une autorité sur moi que je ne peux pas être reconnue. Mes idées, mes actions et mes opinions sont toutes aussi importantes que les tiennes. Tu n’en as toutefois jamais tenu compte. Ce que je disais était (et est encore) toujours moins important, moins intéressant, moins nécessaire, moins intelligent que toi. Encore aujourd’hui, quand j’émets une opinion contraire à la tienne, je le sais assez vite que ce que je dis c’est de la marde. Même si c’est dans un domaine que tu ne connais pas. À l’âge où tu es rendu, tu devrais savoir qu’une opinion n’est pas bonne ou mauvaise, parce que c’est quelque chose de personnel. T’as le droit de ne pas être d’accord, mais tu ne peux pas m’empêcher d’avoir mes idées, même si elles sont différentes des tiennes.

Aussi, tu n’as jamais été capable d’approuver mes choix. C’était toujours de mauvaises décisions. Pourquoi faire du sport? Pourquoi travailler avec des enfants? Pourquoi devenir enseignante? Pourquoi partir en appart? Pourquoi si, pourquoi ça? Tu pouvais juste me dire que ce n’était peut-être pas la meilleure chose à faire selon toi, mais que tu approuvais mon choix tout de même.

T’as de plus oublié d’être fier de ta fille. J’ai deux diplômes postsecondaires. Je n’ai jamais eu de félicitations de ta part. Jamais je n’ai eu la chance d’entendre un simple “bravo pour tes accomplissements”. Je sais que tu n’étais pas d’accord avec mon choix de carrière, mais ça ne signifie pas que tu ne peux être fier que ta fille ait réussi quelque chose d’important. Crois-moi, des parents fiers de notre travail acharné, ça vaut pas mal plus qu’un bout de papier signé par un recteur d’université. Tu sais, il y a des parents qui félicitent leurs enfants et qui en sont fiers pour beaucoup moins que ça. Il fallait que je fasse quoi pour que tu le sois toi aussi? Que je fasse ce que toi tu voulais que je fasse? Que je monte le Kilimandjaro? Que je trouve le remède contre le cancer? Mon pire souvenir en lien avec ça, je m’en rappelle encore comme si c’était hier. Je finissais mon secondaire 5 j’avais en main mon bulletin, avec mes notes finales. Des 85 et plus partout. J’étais fière. Je t’ai demandé de le regarder. T’étais occupé m’as-tu dit. Le lendemain, je te l’ai encore demandé, mais encore une fois, t’avais autre chose à faire. La journée d’après, je te l’ai encore montré. Pis la, ben c’était trop. Tu l’as pris, tu l’as déchiré, devant moi. J’étais fatigante. Tu n’avais pas compris que tout ce que je voulais, c’était ton approbation, ta fierté, ton amour, ta reconnaissance. Je crois que tu as oublié que tu as été enfant toi aussi et à quel point ces choses sont importantes.

Encore aujourd’hui, du haut de mes 23 ans et demi, t’es encore comme ça avec moi. Je suis partie de la maison avec un manque terrible d’amour paternel, et il est encore là. Et il le sera toujours. Tu n’étais pas un père absent. Mais tu n’étais pas non plus un père présent.

Ta fille, qui t’aime malgré tout.

xx

Le premier jour où je t’ai haï

Quand t'es parti, j'ai su que t'allais jamais revenir. Je le voyais

Quand t’es parti, j’ai su que t’allais jamais revenir. Je le voyais dans ton regard, je le sentais dans tes gestes. Je le savais, mais j’ai étouffé ce sentiment parce que Mia n’avait pas besoin d’une maman triste. Elle avait besoin d’une maman forte qui allait veiller sur elle. Le cœur en mille miettes, je te regardais embrasser ta fille pour la première et la dernière fois. C’était le 23 septembre 2012, on revenait du CLSC. J’avais les seins scraps, des montées de lait interminables et un début de baby blues. “Je règle mes choses et je reviens” que tu m’as dit avant de monter dans ton camion. Ce matin-là, quand t’as refermé la porte, je t’aimais encore.

Une, deux, trois, quatre semaines sans nouvelle. Je t’ai attendu, mais t’es jamais revenu. Disparu dans la brume. En t’attendant, je suis allée en ostéopathie pour traiter le nerf coincé dans le cou de Mia, toute seule. En t’attendant, je suis allée chez l’acuponcteur pour traiter ses reflux gastriques, toute seule. En t’attendant, j’ai « moppé et lavé du régurgi» à tous les soirs pendant des semaines, toute seule. En t’attendant, je me suis réveillée toutes les nuits, j’ai essayé de soulager ses coliques, ses maux de dents et sa petite plaque d’eczéma qu’elle a sur la cuisse, toute seule. En t’attendant, j’ai magasiné des garderies, fait des purées maison, je l’ai bercée tous les soirs avant de la coucher dans son lit. Toujours toute seule. En t’attendant, j’étais seule. J’étais triste, épuisée, des fois découragée, mais je ne te haïssais pas.

Pendant 2 ans, je t’ai envoyé des photos presque tous les jours. J’ai attendu que tu répondes. J’ai attendu que tu vois ton regard dans le sien, attendu que tu reconnaisses ta chair dans la sienne. Attendu que tu sois prêt à la voir, prêt à te souvenir que tu voulais ce bébé et que tu étais heureux d’annoncer son arrivée. Toutes les nuits, je regardais mes courriels en espérant un signe de vie. Cette année, un peu avant sa fête, je t’ai envoyé des photos “postmaster notice“, ton courriel ne marche plus. J’ai perdu le seul lien qui pouvait te connecter avec elle. Ça m’a rendue triste, mais je ne t’en ai pas voulu.

Au fil des mois, j’ai apprivoisé ma solitude. Je ne voulais pas éprouver d’amertume ou du ressentiment pour toi. Malgré les obstacles, les problèmes financiers, la fatigue et des fois le découragement, j’ai toujours misé sur le beau. Je me rappelais qu’elle était mon choix aussi et j’avançais, forte. Forte pour nous deux.

Un après midi, en allant chercher Mia à la pré-maternelle, l’éducatrice m’a dit que son langage était sous les acquis, que ça pouvait mettre en danger son intégration à la maternelle. C’est peut-être des mots qu’elle utilise souvent et c’est loin d’être un verdict de cancer, mais moi, ça m’est rentré dedans. La goutte qui a fait déborder mon vase. Je descendais le long escalier recouvert de tapis brun et mon cerveau a “shuttdowné”. Comme un vieux disque égratigné, j’entendais sa voix en écho sous les acquis. Ce jour-là, c’est la petite main chaude et collante de ta fille qui m’a empêchée de tomber. “Maman, maman, c’est moi qui ouvre la porte !” qu’elle m’a dit en souriant. « Ok, Mia, c’est toi.».

Dans l’auto, elle me parlait sous les acquis. À la maison, on a joué aux pouliches, on a soupé et on a pris un bain, sous les acquis. On s’est bercées, on a chanté À la claire fontaine et on s’est collées, sous les acquis. Je l’ai couchée dans son lit. Je l’ai embrassée et je suis sortie de la chambre. Sous les acquis. “Maman, je t’aime gros comme toute la vie”. “Moi aussi mon amour… gros comme toute la vie.”

J’arrivais plus à respirer. J’ai marché jusqu’à la salle de bain. J’ai fermé la porte et je me suis effondrée. Toute seule. J’ai pleuré toutes les larmes que je n’ai pas pleurées en quatre ans. En silence. Et je t’ai haï. Crisse que je t’ai haï. Pour toutes les nausées que j’ai eues, les échographies que t’as pas vues, pour ma grossesse de marde, pour l’oisiveté, la fébrilité que ton départ m’a enlevées. Je t’ai haï pour toutes les nuits d’insomnie, pour tous les soucis que je ne peux partager avec toi, son “autre parent”. Je t’ai haï parce qu’on devait faire ça ensemble. À cet instant-là, même vide de larmes, j’ai continué de t’haïr parce que j’allais encore vivre ça toute seule. Osti que je t’ai haï.

En petit bonhomme, le cul collé sur ma céramique passée date, j’ai braillé quatre ans de peines, de déceptions, de tristesse, de solitude, de détresse pis je t’ai haï. Un moment donné, j’ai eu mal aux fesses feque je me suis relevée. J’ai constaté les dommages dans le miroir : paupières bouffies, petites veines pétées dans les yeux, rides du front plus profondes et petit duvet de moustache (mais ça, c’est une autre histoire!). Je me suis aspergée d’eau glacée, j’ai fermé la lumière et je suis allée dans le salon. J’ai pris mon IPhone et j’ai tapé “orthophoniste Rive-Sud de Montréal”. Il était 22h00. J’ai laissé quatre ou cinq messages et je suis allée me coucher. Épuisée, je ne t’haïssais  plus, j’avais eu ma dose pour l’année. À 22h45, je suis passée à autre chose.

Parce que, tu sais, c’est ça qu’ils font les parents qui élèvent seuls leurs enfants : ils passent à autre chose. Ils se cachent dans la salle de bain, dans le lit sous les couvertures, dans le noir de leur char, dans un parking désert pis, tout seul, ils braillent leur trop plein. Une fois la tempête passée, ils sèchent leurs larmes, ils prennent une grande respiration et reviennent en souriant. Le soir venu, ils embrassent leur enfant, se font un plan de match pis ils s’en vont se coucher. Seuls. Pis les jours où ça va mal ou qu’ils sont trop fatigués, ils prennent dans leur main une petite main chaude et collante et ils continuent d’avancer.