Combattre la société pour son enfant à besoins particuliers
Je suis éducatrice. Des enfants « normaux », j’en ai vu des c
Je suis éducatrice. Des enfants « normaux », j’en ai vu des centaines… Je suis aussi maman de trois enfants. Alors j’avais passé toutes les étapes d’un développement « normal » avec mes deux premiers et je voyais bien que ma petite dernière sortait du cadre… Elle était spéciale.
La majorité des parents font du déni. Et nous, au contraire, nous refusions de nous mettre la tête dans le sable. Faire l’autruche ne m’a jamais paru être la bonne solution… Alors nous avons commencé notre long combat contre une société dans laquelle chaque enfant doit entrer dans une boîte.
Notre fille n’entrait dans aucune catégorie : en retard dans plusieurs sphères de développement, mais rien de trop grave pour bouger rapidement… Pas de maladie génétique, pas d’antécédents médicaux inquiétants et pas de diagnostic… Son médecin de famille l’a placée sur toutes les listes d’attente lorsqu’elle avait quelques mois. Orthophonie, audiologie, ophtalmologie, ergothérapie, etc.
Elle aura très bientôt trois ans et le téléphone n’a jamais sonné. En fait, le téléphone a sonné après plus de deux ans d’attente, pour nous annoncer qu’il y avait eu une erreur dans le système et que son dossier avait été perdu. C’est le seul suivi que le système de santé public a pu nous apporter en plus de deux ans.
Heureusement, j’ai eu l’intuition lors des premières inquiétudes confirmées par le médecin de famille que je ne pouvais pas avoir confiance en ce système… Je savais, dans mon cœur de mère, que mon enfant aurait besoin d’un suivi rapidement, d’un diagnostic précis et de spécialistes compétents. Je me suis écoutée. Et toutes nos économies ont servi à nous rediriger vers le système privé.
Nous avons commencé en ergothérapie, dans une clinique spécialisée en réadaptation physique chez les enfants. Notre fille avait neuf mois lors du premier rendez-vous. Ergothérapeutes et physiothérapeutes se sont ensuite bousculés dans notre agenda familial, avec des suivis réguliers. Notre fille ne marchait pas encore le jour de ses dix-huit mois. Quand elle s’est mise debout, nous pensions qu’elle rattraperait vite son retard moteur. Tout le monde le dit : « Quand elle va se décider à marcher, tout va débourrer ! » Eh bien, M. et Mme Tout le monde ont eu tort. Elle a marché. Un an plus tard, malgré tous les suivis, elle ne courait pas encore.
Nous avons tenté d’avoir de l’aide au CPE… On a plutôt eu une belle claque en pleine face ! Malgré des éducatrices passionnées, on a vite compris que nous étions seuls dans notre bateau. Sans diagnostic = pas de rapport signé = pas de subvention = pas d’aide. Les éducatrices ont toujours été prêtes à faire les exercices qu’on leur demandait… mais aucun soutien, aucun suivi, aucune ressource, aucune rencontre officielle ne nous ont été offerts.
À l’aube de ses deux ans et demi, notre fille ne parlait toujours pas. Son médecin de famille nous a expliqué que les orthophonistes du système public allaient bientôt nous contacter… L’espoir fut bref et la réalité nous a vite rattrapés lorsqu’on a creusé davantage sur les fameux services qui nous seraient offerts… Des rencontres d’informations allaient nous être proposées dans les dix prochains mois. Ces rencontres allaient se faire dans le cadre d’un programme pour outiller les parents défavorisés ou ceux qui manquent de compétences parentales… On ne cadrait pas dans le programme, une fois de plus. Nous étions encore laissés à nous‑mêmes.
J’ai appelé un orthophoniste au privé. J’avais rendez-vous deux jours plus tard. Nous avons rencontré un professionnel compétent, à l’écoute, humain et réellement présent. En une heure, nous avons eu une consultation, un diagnostic et un rapport de professionnel signé. Enfin !
Tous les professionnels se sont mis ensemble sur le rapport et nous avons pu demander une subvention pour avoir du soutien et de l’aide au CPE. Notre fille n’est ni malade, ni handicapée, ni retardée. Son développement suit seulement un rythme bien spécial et nous avons remué ciel et terre pour qu’elle obtienne l’aide dont elle a besoin. Aujourd’hui, je peux me réjouir d’avoir en main ce fameux rapport signé, car c’est une belle victoire dans ce grand combat.
Je regarde derrière nous, et je ne comprends toujours pas… En quoi le système public peut-il répondre aux besoins des enfants en les laissant dans le néant pendant des années ? Est-ce vraiment aux parents de combattre la société pour aider leurs enfants ? Où sont les professionnels compétents quand on a besoin d’eux ?
Ce n’est assurément pas aux parents de mener ce combat. Quand notre enfant est différent, on se couche chaque soir en se demandant comment rendre son lendemain plus facile à vivre… On ne devrait pas avoir à se battre pour son bonheur. Ce n’est pas ma fille qui n’est pas « normale », c’est ce système qui ne fonctionne pas.
Nous nous sommes assis avec nos enfants pour leur expliquer que nous n’aurions pas de vacances en famille ni de voyage à Disney. Nous ne leur avons pas dit que toutes nos économies avaient servi à payer tous les spécialistes et à obtenir des rapports et des signatures. Ils sont trop jeunes pour comprendre. Mais même si notre portefeuille familial est vide et que l’agenda familial est déjà trop rempli, nous savons que nous avons fait le bon choix pour notre enfant.
Aux parents d’enfants différents : tenez bon ! Continuez de vous battre pour le bonheur de ces petits êtres. Un jour, la société misera sur le futur et nos enfants auront des soins accessibles, appropriés et spécialisés.
Et à tous nos enfants spéciaux : Montrez-leur votre différence et apprenez au monde que c’est grâce à vous qu’il pourra évoluer !
Joanie Fournier