La phase du pourquoi? Oui, mais pourquoi?
À mon premier enfant, il m’est arrivé d’aborder la phase du po
À mon premier enfant, il m’est arrivé d’aborder la phase du pourquoi avec d’autres parents. Je disais, en souriant : « Oui, je connais… Ma fille est dedans en ce moment. » Maintenant, je sais que… je disais carrément n’importe quoi! Je n’avais aucune espèce d’idée de ce dont je parlais. J’étais à des kilomètres de la phase du pourquoi alors que je croyais baigner dedans.
Aujourd’hui, avec mon garçon de trois ans, je peux vous dire, mesdames et messieurs, que je Sais avec un très grand S, ce qu’est la phase du Pourquoi avec un tout aussi gigantesque P. Je connais également la phase du pourquoi-quoi et la phase du pourquoi,-mais-pourquoi, celle-ci étant généralement accompagnée du comment et du oui,-mais.
Grâce à mon expérience, je sais maintenant hors de tout doute raisonnable qu’il existe quatre niveaux à cette phase : Le premier niveau, que je nommerais la phase de latence, précède habituellement le deuxième niveau, soit la phase légère du pourquoi, puis vient le troisième qu’on nommera la phase modérée. S’ensuit généralement le niveau supérieur que j’appellerais la phase sévère du pourquoi. Avec le recul, je sais maintenant que ma fille a à peine effleuré la phase de latence.
Maintenant, décortiquons. On reconnaît généralement la phase de latence par ses petits « signes avant-coureurs-cutes » que l’on reçoit en souriant tendrement et en se disant : « Qu’il a donc grandi, voilà les pourquoi qui vont commencer! » C’est également à ce niveau qu’on ressent une grande fierté de constater que notre enfant évolue et se développe, qu’il forge sa personnalité, sa compréhension des choses qui l’entourent. Suit la seconde phase, légère, où les pourquoi débutent. Vous savez, le genre de pourquoi tout à fait charmants et étonnants qui font sourire et s’émerveiller à chaque fois. En général, ce sont les pourquoi de ce niveau que l’on raconte fièrement à la parenté et que l’on prend soin de noter dans un livre, puisqu’il ne faudrait surtout pas les oublier. Par exemple : « Pourquoi le ciel est bleu? » Ou encore « Pourquoi on meurt? ». Durant cette étape, on prend généralement notre rôle de parent et d’éducateur très au sérieux, cherchant les bons mots qui sauront guider le mieux notre enfant dans sa recherche de réponses.
Puis, on se réveille un matin et les pourquoi ont légèrement augmenté en fréquence. Des pourquoi plus banals surgissent entre les pourquoi songés et réfléchis. Nous voici au niveau modéré. À cette étape, l’éclat de rire du parent remplace parfois le sourire attendri. On se voit surpris par des questions rigolotes, légères et parfois même sans réponse évidente. Par exemple : « Pourquoi le train fait tchou-tchou et pas pin-pon? ». On se met à filtrer davantage certaines questions avant de raconter à son entourage ou de noter dans le livre. À ce niveau, il devient difficile de raconter toutes les anecdotes et certaines nous semblent tout à coup moins intéressantes.
C’est également au troisième niveau que les questions plus techniques commencent : « Pourquoi il y a un tuyau? » ou « Pourquoi il y a une vis? ». C’est donc à ce moment que les mamans commencent à déléguer les réponses aux papas en s’assurant que leur enfant ne sent pas qu’on rejette sa question : « Aussitôt que papa revient, on lui pose la question. » Mais quelque chose semble changer. Puisque le niveau modéré dure généralement assez longtemps, la maman ressent une grande satisfaction lorsqu’elle peut déléguer les réponses à papa. Elle remarque même un brin d’impatience avant de répondre à certaines questions. Mais à cette étape, la maman ressent encore de la culpabilité face à cette impatience puisqu’elle sait et n’a pas encore oublié à quel point la phase du pourquoi est importante.
Puis la fréquence continue d’augmenter jusqu’à ce qu’un jour, soudainement et sans prévenir, on se retrouve en plein cœur du quatrième et dernier niveau, la phase du pourquoi sévère. Nous y voici donc. On y retrouve les énumérations de questions : « Pourquoi y a un trou ici? », « Quoi? Mais pourquoi y en a juste un? », « Comment ils ont fait le trou? », « Oui, mais pourquoi il n’est pas plus gros? ». En général durant cette étape, l’enfant poursuit le parent dans la maison jusqu’à ce que l’enfant, et seulement lui, juge qu’il a fait le tour de la question et obtenu toutes les réponses nécessaires et adéquates. On reconnaît facilement cette période par ses questions qui se chevauchent avant même qu’on ait eu le temps de répondre à la précédente.
En plein cœur de la phase sévère, le parent commence à esquiver de façon moins subtile, à marcher plus vite dans la maison, à monter le volume de la radio, à ignorer plusieurs questions sans l’ombre d’un remord. Le parent se surprend tout à coup, dans un élan d’impatience avancé, à faire ce qu’il n’aurait jamais cru possible : se pencher vers son enfant, le fixer dans les yeux et lui lancer sur un ton colérique : « Ça suffit les pourquoi! maman est fatiguée! » L’enfant répondra probablement : « Mais… pourquoi je demande toujours pourquoi? » Il est possible à cette étape que le parent commence à entendre des voix dans sa tête. Que des cernes noirs apparaissent sous ses yeux.
Lorsque ce niveau dure longtemps, il est possible d’oublier où on est, même qui on est. On a déjà retrouvé une maman prise à ce stade avancé, planquée derrière un meuble, en boule, les mains sur les oreilles, les yeux remplis de terreur, qui murmurait en se dandinant sur elle-même : « Parce que… parce que… parce que… parce que… »
Je t’aime mon garçon… parce que tu es merveilleux.
Karine Delorme