Tag résidence pour personnes âgées

Vivre le pire cauchemar de sa mère – Texte : Eva Staire

Notre histoire était simple. Je suis ton seul enfant. Tu avais tellement organisé tes vieux

Notre histoire était simple.

Je suis ton seul enfant.

Tu avais tellement organisé tes vieux jours.

Tous tes souhaits de vie ou de fin de vie, tu les avais couchés sur papier et notariés.

« Une chance qu’on s’a » qu’on se disait souvent.

Nous avons été une équipe toute notre vie, maman.

On a fait le choix ensemble qu’on prendrait soin de toi le plus longtemps possible, afin que tu repousses le plus possible une vie en CHSLD.

Nous avions notre plan et nous étions en paix avec la suite.

Tu avais tellement peur de devenir méchante.

De te transformer en quelque chose que tu n’as jamais été.

Malheureusement aujourd’hui, tu es et tu vis ton pire cauchemar.

Surtout que tu es maintenant entre les mains de personnes mal intentionnées.

Tu es le pantin de la personne à qui tu nous avais tant prévenus de faire attention.

Des mains qui ne voulaient que changer ton testament.

Des mains qui essaient de déconstruire à tes yeux toute notre vie ensemble, maman.

Des mains qui se lèvent pour me faire du mal et t’aliéner.

Mais tu ne peux plus le voir, tu n’as plus toute ta tête.

Tu vis ton pire cauchemar et je suis impuissante.

Comment j’aurais pu savoir qu’à vouloir prendre soin de toi, je me mettrais dans la marde ?

Comment j’aurais pu savoir qu’en faisant exactement ce que tu désirais, j’étais pour nous mettre, ma famille et moi, dans une situation impossible à vivre ?

Comment j’aurais pu penser que je devrais faire une liste détaillée de tout ce que tu m’as offert dans ma vie comme cadeau ?

Comment j’aurais pu croire qu’un jour, tu me ferais arrêter ?

Même si je sais que ce n’est plus toi.

Tu ne ferais jamais cela.

Mais c’est quand même toi.

Nous vivons depuis des mois un cauchemar qui ferait frissonner les adeptes de films d’horreur.

Je te raconterais en détail ce que nous vivons, toi qui lis ces lignes, mais tu ne me croirais pas.

Surtout si tu as pu croiser un jour ma maman et nous voir en relation.

Jamais tu n’aurais pu croire que notre histoire à ma maman et moi finirait comme cela.

Quelqu’un me vole actuellement les derniers moments de lucidité de ma mère et je ne peux rien faire contre cela.

Va voir la police : c’est fait

Parle avec des avocats : nous sommes en processus, mais nous avons les mains liées.

Parle avec des organismes : c’est tout fait… nous tombons systématiquement dans les trous du système.

Je me dis que je ne dois pas être la seule.

Mais comment cela se fait-il que personne ne parle ouvertement de toutes ces choses ?

Comment cela se fait-il que des personnes âgées se sentent protégées, mais que tout puisse changer ?

Surtout si elles ne se sont pas protégées d’elles-mêmes.

Ma mère avait tout fait dans les règles de l’art.

Elle a payé le gros prix pour se faire conseiller et organiser ses désirs, pour finir par devenir sa propre victime et apporter une énorme souffrance sur son passage.

J’ai un conseil à donner en ce moment et sache que ce conseil, jamais je n’aurais cru le dire puisque c’est littéralement aux antipodes de mes valeurs.

Mais je te suggère de filmer et de faire signer tes parents chaque fois qu’ils te donnent un cadeau, peu importe leur âge. Il est important que tu aies des preuves et qu’ils témoignent de leur volonté de t’offrir ce cadeau.

Ne laisse jamais tes parents te donner un héritage avant décès et ne sois jamais leur moyen de cacher leur argent sans que ce soit notarié et que tu aies des preuves de leur geste. Garde surtout des preuves de leur capacité à penser. Même s’ils disent que c’est pour ton bien et qu’ils veulent te voir profiter de la vie avant qu’ils n’en soient plus capables.

Les personnes âgées savent qu’elles doivent se départir de leur argent avant d’entrer en RPA ou en CHSLD, car leurs frais de résidence seront basés sur leur actif. En tout cas, c’est ce que l’on m’a dit toute ma vie et j’ai eu certaines confirmations à ce sujet.

Je te suggère de ne JAMAIS prendre ton parent en charge ou de cohabiter avec lui ou elle, car tu n’as plus de témoins.

À la place, même si cela crève le cœur, tu dois laisser la personne que tu aimes perdre son autonomie.

La laisser dépérir malgré le manque de dignité que cette personne peut vivre, attendre que quelque chose arrive et que cette personne devienne inapte avant à prendre soin d’elle.

Tu peux lire ceci et te dire que cela ne t’arrivera jamais.

Je croyais cela aussi.

Nous avions l’histoire la plus simple du monde.

Nous n’étions que ma mère et moi…

 

Eva Staire

 

Quand vieillir tourne au cauchemar…

J’ai déjà écrit un texte intitulé <a href="http://www.mafamill

J’ai déjà écrit un texte intitulé Papi a les idées qui se mélangent dans sa tête. J’y ai décrit mes premières visites dans un centre spécialisé pour la démence sénile, où je suis allée visiter mon précieux grand-père plusieurs fois.

Cette année, mes visites ont commencé à s’espacer… Je pourrais me justifier en disant que j’étais trop prise avec un déménagement, ou que mes trois enfants prennent tout mon temps, ou que j’ai travaillé beaucoup d’heures… mais je ne tomberai pas dans ces justifications vides de sens. Je serai honnête avec vous, comme je l’ai toujours été. La vraie raison qui m’a poussée à espacer mes visites, c’est tout simplement que je n’ai plus la force de le voir se ternir à chaque fois.

La semaine dernière, j’ai profité d’un après-midi avec ma mère pour aller le visiter avec elle. Dans la voiture, elle a tenté de me prévenir que son état s’était vraiment détérioré dans les dernières semaines… Elle a tenté de me prévenir du choc que ça allait me causer. Mais moi, orgueilleuse comme mille, je me suis prétendue plus forte que ça. J’ai fait la sourde oreille…

Après avoir passé par les portes verrouillées, entré le code pour avoir accès à l’étage et traversé le couloir gardé par le vigile de sécurité, j’étais encore en zone connue. Ces accès sécurisés servent à garantir la surveillance des personnes âgées qui sont agitées, perdues et qui tentent de se sauver pour retrouver un chez-soi qui n’existe hélas plus depuis longtemps. Je comprends tout ça.

Arrivées dans le salon principal, ma mère me pointe la file de chaises berçantes alignées devant un téléviseur. Elle me signale que mon grand-père est assis dans la dernière chaise, tout au fond. J’ai beau me rapprocher, m’avancer et le scruter, ce vieil homme devant moi m’est totalement inconnu… Sans aucune exagération, je peux jurer que sans l’insistance de ma mère, je ne l’aurais jamais reconnu. Ça me fait du mal de l’avouer. Il a perdu beaucoup trop de kilos et son squelette est bien apparent. Ses cernes noirs sont tellement prononcés qu’on ne perçoit plus aucune lumière dans son regard…

En s’approchant, ma mère sursaute en voyant son visage, et ses yeux se remplissent de larmes. Elle n’arrive pas à contenir son émotion et c’est en m’approchant que je comprends pourquoi… Le visage de mon grand-père est déformé par une cicatrice qui le traverse d’un bout à l’autre. Une dizaine de points de rapprochements tentent de la refermer. Ma mère ne gère pas son émotion, et moi, je ne sais plus où me mettre.

On tente tant bien que mal de savoir ce qui s’est passé. On se dirige vers les quatre préposées de l’étage, qui sont assises à une table en train de jouer aux cartes. Aucun signe de compassion. Une femme passe devant nous et on remarque tout de suite à son badge qu’il s’agit de l’infirmière. Ma mère lui demande simplement ce qui s’est passé, en pointant le visage de son père. L’infirmière nous répond sèchement qu’elle n’a pas que ça à faire et qu’elle a déjà laissé un message sur le répondeur de la personne de référence au dossier. Aucune compassion.

Mon grand-père ne cesse de se taper sur les hanches. Moi, je ne comprends pas pourquoi il répète ce geste. Puis, en m’approchant pour le rassurer, je constate qu’il est attaché à l’aide d’un ceinturon à la chaise berçante. Je constate du même coup que toutes les personnes âgées sont attachées dans leurs chaises. Les préposées, quant à elle, continuent leur partie de cartes.

Je le détache pour l’amener marcher un peu, en ignorant le fait que son pantalon est imbibé d’urine. L’une des préposées nous lance qu’il était trop agité aujourd’hui. Pas le choix de l’attacher.

Une autre préposée se lève et commence à distribuer des collations. Elle perd patience et crie sur mon grand-père qui a tenté d’agripper une collation dans le chariot, sans demander la permission. Elle crie sur lui, le doigt en l’air, comme une vieille femme gronderait son chien. Aucune compassion. Je me sens moi-même intimidée par l’agressivité de son ton, contrairement à ses collègues qui restent bien assises et semblent trouver cette scène tout à fait normale.

Je suis choquée, outrée, insultée pour lui. Pour eux tous. Mais j’ai une boule d’émotion qui m’empêche de dire quoi que ce soit… Ma mère n’a pas su contenir ses larmes depuis le début de la visite et tente simplement de le distraire de son mieux. Il insiste pour garder la collation qu’il a réussi à subtiliser et la préposée le menace de le rattacher s’il n’écoute pas ce qu’elle dit. Elle se tourne vers nous et nous explique qu’il est vraiment trop agité aujourd’hui, comme pour justifier son propre comportement.

J’ai intitulé ce texte-ci « Quand vieillir tourne au cauchemar ». Parce que selon moi, si une personne est négligée, attachée, menacée, affamée et blessée, c’est bien ce que c’est : un cauchemar. On ne traiterait jamais un chien comme ça. Jamais.

Le lendemain, le CHSLD appelait pour annoncer que dorénavant, mon grand-père serait attaché en tout temps, pour sa propre sécurité. Et comme il souffre d’une maladie qui cause la détérioration de ses capacités mentales, il n’aura jamais droit à une aide médicale à mourir.

Il vivra dans ce cauchemar, attaché, en attendant sa propre mort, sans aucune possibilité de mettre fin à tout cela. Sans aucun contrôle sur sa maladie, ni sur sa vie, ni sur sa mort. Et nous, on doit le regarder mourir, attaché à un lit, en espérant qu’un virus l’emporte rapidement. Parce que si une simple grippe pouvait abréger ses souffrances, je serais prête à le contaminer moi-même. Ce n’est pas une belle vie. Ce n’est pas une belle mort. La prochaine fois que je le verrai, il sera endormi et paisible dans son cercueil. Et avec tout mon amour, je me donne le droit d’espérer que ça arrive plus tôt que tard.

Joanie Fournier