Une mère, c’est essentiel. Une tante, c’est important : lettre à ma nièce

Ma belle niènièce d’amour,

Ma belle niènièce d’amour,

Tu es venue au monde le 28 avril 2017, alors que j’étais déjà maman de deux petites filles et que j’allais l’être une troisième fois à nouveau à peine trois semaines après ta naissance. Il m’a semblé — mais peut-être est‑ce fou — que notre relation était condamnée à l’avance. Que j’aurais ben beau t’aimer avec mon grand cœur de nouvelle tatie, jamais je n’aurais le temps et l’énergie de m’investir dans cet amour, car ma machine maternelle et maternante surchauffait déjà. Il me semblait que t’aimer, je ne pourrais le faire qu’à distance.

Quand tu es née, j’étais une enflure sur deux pattes, une planète qui tourbillonne avec vigueur pour se déplacer dans l’espace. J’étais enceinte de trente‑huit semaines. J’étais fatiguée, ankylosée, courbaturée, mais émerveillée de te voir enfin le bout du nez. Je me souviendrai toujours de la première visite que je t’ai rendue, à la maison de naissance de Blainville, en compagnie de ta grande cousine Lilianne qui te regardait avec les yeux brillants d’étoiles. Par respect pour ma petite sœur qui tenait son petit bébé avec une légère nervosité de petite maman, je n’ai pas osé te tenir dans mes bras, même si je me disais avec tristesse que les occasions de te prendre manqueraient au cours de ta vie, de la mienne. Mes bras, ils serviraient bientôt de hamac et de perchoir pour mon bébé alors encore dans mon ventre.

Pourtant, à peine vingt‑quatre heures après ton retour à la maison, une occasion en or s’est présentée à nous. Une occasion déguisée en haute pression maternelle et en haute fatigue paternelle. Une occasion pour moi de devenir l’héroïne du jour en proposant de venir te bercer une nuit complète. Une occasion pour moi de te tenir longuement dans mes bras, de humer ton parfum naturel sucré que tu portes encore à ce jour, de te couvrir de ma tendresse de tatie. Je me suis dit que ma vie était un beau chaos, et donc qu’entre les cours de théâtre de Lilianne, les crises d’asthme de Mandoline et les tétées d’amour de mon bébé à venir, je n’aurais certainement plus jamais le temps de bercer ma belle niènièce en oubliant que le temps file et que les aiguilles tricotent. Je me suis dit que je serais sûrement tellement occupée à être une maman que jamais je n’aurais le temps d’être un tant soit peu une tatie.

Mais je me suis surtout dit que cette nuit de l’extrême fin-avril, elle nous appartenait, à toi et moi, et nous appartiendrait pour toujours. Que tout l’amour que je porte à mes propres enfants ne pourrait néanmoins pas nous l’enlever. Que ma fonction de mère de tes trois cousines ne pouvait rien contre cette nuit. Qu’elle était là, gravée sur mon cœur comme un tatouage sur Kat Von D. Que je serais ta tatie pour toujours, même si parfois, voire souvent, les circonstances exigeraient que j’exerce ma tatitude de loin, à trois bras de distance.

Je me suis dit que ça prenait un village pour élever un enfant, et que je ferais partie de ton village. Qu’une mère, c’est essentiel; qu’une tante, c’est important.

Que mes enfants sont tout mon univers, et que toi, tu es mon soleil.

 

Véronique Foisy