Traîner sa douance intellectuelle au travail

Juste écrire le titre me donne l’impression de devoir me justifie

Juste écrire le titre me donne l’impression de devoir me justifier au risque de m’attirer le panier de tomates au complet.

Oui, j’ose dire qu’une neuropsychologue et un médecin m’ont identifiée comme personne à haut potentiel intellectuel. Ils ont déterminé, au terme de plusieurs rencontres et de nombreux tests, que j’ai un quotient intellectuel supérieur à 130, une façon de réfléchir qui ne rentre pas dans le moule habituel, que mon cerveau traite plein d’informations en même temps et rapidement, que ma mémoire de travail est supérieure à celle de la plupart des gens de mon âge et que mes capacités verbolinguistiques et logico-mathématiques sont particulières. Voilà, les présentations sont faites. C’était la leçon Douance 101 en bonne et due forme. Mais ce n’est pas de la vantardise, croyez-moi. J’aimerais parfois avoir un cerveau qui fonctionne dans la moyenne, avec un Q.I. dans la moyenne et une façon de réfléchir qui ressemble à celle de monsieur et madame tout le monde.

Je ne m’étais jamais doutée de cette particularité, jusqu’au jour où mes enfants ont été évalués en douance. Et comme le haut potentiel intellectuel vient en grande partie des gènes… J’ai fait un savant calcul de 2 +2=4 et j’ai pris un rendez-vous pour moi. Je ne souffrais pas de cette différence, mais je voulais comprendre comment j’avais pu traverser les années sans qu’elle ressorte, alors que pour mes enfants, les défis scolaires, sociaux et personnels étaient immenses.

Enfant et adolescente, j’ai été suffisamment stimulée et entourée. J’avais un caractère assez facile (OK, peut-être moins à l’adolescence… mais c’était de la petite bière à côté de certains camarades de classe !). Je m’adaptais aux groupes dans lesquels j’étais, j’avais des amis, des passions, de bonnes notes. Mes émotions étaient intenses, oui, mais quel adolescent dirait le contraire ?

À dix-sept ans, je suis partie en appartement à deux heures de route de la maison pour faire mon baccalauréat international. Je trippais solide, entourée de personnes qui mangeaient de la philo et la digéraient à grands coups d’expériences scientifiques, d’analyses littéraires et d’humour.

Comme adulte, j’ai gravi les échelons universitaires, j’ai voyagé pour le plaisir et pour le travail, j’ai déménagé plus souvent qu’à mon tour, je me suis mariée jeune, j’ai eu quatre enfants. Bref, j’ai clenché ma vie au quart de tour. Pour moi, c’était un rythme normal. Dans ma tête, tout le monde faisait ça.

Quand la vie s’est faite plus stable, j’ai commencé à me sentir isolée dans mon couple et dans mon milieu de travail, que ce soit à l’université ou au gouvernement. Pourtant, je suis entourée de personnes intelligentes, compétentes, sympathiques, ambitieuses. Mais je me fais souvent dire : « Ish… ça va vite dans ta tête ! Comment fais-tu pour faire des liens comme ça ? ». L’impression d’être une extraterrestre…

Je ne vois pas souvent les situations de la même façon que mes collègues. Je trouve des solutions qui paraissent bizarres. Je fonctionne mieux dans un milieu qui me fournit constamment de nouveaux projets et des défis originaux, sinon, mon cerveau s’assoupit, je perds ma motivation. Si en plus, je peux écouter du Pink dans le piton en travaillant, ça roule en titi, parce que ça occupe les cellules qui auraient trouvé ça plate.

Le bilan neuropsychologique m’a permis de revisiter mon parcours personnel et professionnel. J’ai pu comprendre ce qui me faisait réagir (quand ça ne va pas assez vite ; quand la même tâche se répète sans arrêt ; quand ma manière de penser est repoussée d’un revers de la main parce que ça dérange ; quand je dois me contenter d’un travail en surface ou que je ne peux pas expliquer les nuances de ma réflexion). J’ai pu comprendre à quel point je peux taper sur les nerfs des autres (je parle trop, trop vite ; je m’enthousiasme trop, même pour les sujets qui ne me concernent pas ; je lâche difficilement le morceau quand je considère qu’une situation est injuste ; je ne vois jamais la version simple d’une tâche).

Mais moi, ce qui m’énerve, c’est quand les gens qui entourent les personnes douées intellectuellement tiennent pour acquis qu’elles se vantent et se sentent supérieures aux autres. La plupart du temps, nous nous remettons en question. Nous doutons de nous. Notre estime personnelle peut frôler le zéro. On a tellement de projets de grande envergure qu’on a l’impression d’être incapables de les réaliser. On passe facilement pour des personnes inattentives ou hyperactives, on est hypersensibles. Et on se sent coupables parce que les autres pensent qu’on se vante, alors on se tait, on essaie de se fondre dans la masse.

Pourquoi un doué devrait-il avoir honte de la façon dont son cerveau est fait ? Demande‑t‑on à une personne qui a un TDAH ou un TSA de se cacher pour ne pas déranger les autres ? Ou l’encourage‑t‑on à révéler qui il est pour avoir tout le soutien et les outils pour réaliser son plein potentiel ? Après tout, la douance, c’est exactement ça : un potentiel. Qui a besoin d’être reconnu pour s’actualiser.

Nathalie Courcy

Co-auteure du livre Zoé douée. Regards d’enfants sur le haut potentiel intellectuel

www.4etdemi.ca