" Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort"
Combien de fois j'ai pu répéter
” Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort”
Combien de fois j’ai pu répéter cette phrase à mon reflet dans le miroir. Étrangement, j’arrivais à me le faire croire, à me regarder dans les yeux et à me répéter que tout irait bien. Malheureusement, quand on est victime d’intimidation, les blessures sont souvent beaucoup plus profondes qu’on ne le pense. Et on ne s’en rend compte qu’en vieillissant, quand la douleur n’arrive pas à partir et que les cicatrices restent apparentes.
Je me rappellerai toujours de l’expression présente sur le visage de ma mère lorsqu’un de mes anciens professeurs l’a rencontrée et lui a dit ” Vous savez madame, je n’ai jamais compris comment votre fille faisait pour endurer tout ça. Ce n’était pas humain…”. C’était il y a une bonne dizaine d’années, après avoir vécu trois années, à l’école secondaire, qui furent un cauchemar. Trois années au cours desquelles je n’ai raconté à ma mère que des petites parties de ce que je vivais. Quand on est adolescente, on veut tout, sauf voir sa mère débarquer à l’école!
Je ne lui en ai jamais voulu de ne pas m’avoir crue à 100%. Elle, c’était une battante. Une femme de tête qui ne s’en laissait pas imposer. Moi j’étais une fille en pleine crise d’adolescence. En vieillissant, je la comprends d’avoir pensé que mes pleurs et mes histoires étaient liés à mes hormones d’ado de 13 ans qui se cherche. Je la comprends… mais ce n’était pas le cas.
Quand tu arrives au secondaire, tu t’attends à vivre une expérience un peu comme ce que tu vois dans les films. Les gangs de filles qui se tiennent ensemble, les gars sportifs… Ça, c’est ce dont tu rêves. J’étais loin de m’attendre à être celle qui allait être rejetée et humiliée dans les corridors. On ne souhaite ça à personne!
J’étais en secondaire un, une petite blonde qui vient de la campagne et qui arrive dans une école privée où plusieurs se connaissaient déjà . J’étais la proie facile. Je ne sais même pas si toutes ces personnes savaient mon nom, elles m’appelaient de toutes les façons imaginables. Tout ce qui ressemblait à mon prénom, mais qui ne l’était pas, semblait idéal à crier dans les corridors.
Je me souviens de ma phobie des escaliers en colimaçon, entre les cours. Mon nom raisonnait tellement fort et tout le monde me regardait. Je me rappelle aussi des élèves qui m’entouraient en tentant de me faire sentir mal à l’aise… et ils réussissaient. Il y avait aussi les rumeurs. Parce que des rumeurs, c’est facile. Parfois j’étais anorexique, parfois j’étais simplement folle. Ma vie fictive dépendait des ragots qu’on racontait la fin de semaine, et moi j’appréhendais le lundi matin afin de savoir ce qui m’attendait. Alors le peu d’amies que j’avais réussi à me faire se sont éloignées, de peur d’être associées à moi. J’étais maintenant seule. Seule et humiliée. Je les détestais, et je me détestais.
Tous les matins dans l’autobus, à l’approche de l’école, je sentais mon coeur qui voulait sortir de ma poitrine. Et à tous les matins en arrivant à l’école, en allant me cacher dans la salle de bain, j’étais malade. Le stress me rendait malade…
Ma mère ne l’a jamais su, mais je n’ai jamais mangé à la cafétéria de l’école. J’utilisais l’argent qu’elle me donnait afin de m’acheter des chips et des bonbons dans les machines distributrices et je me réfugiais à la bibliothèque. J’étais tellement malheureuse.
Un jour j’ai eu la brillante idée de me faire faire une permanente et de me teindre les cheveux en roux. Je voulais changer, être quelqu’un d’autre. Malheureusement pour moi, ce fut un échec. Je ressemblais à un caniche, et j’avais des broches. Ça n’a pas été long que les autres élèves se sont mis à japper après moi à chacune des fois où ils me voyaient, que ce soit à l’école, au restaurant, au centre commercial ou dans d’autres événements à l’extérieur de l’école. On me pointait constamment du doigt.
On ne peut pas vivre ça et rester la même personne. Mon comportement à la maison a commencé à changer. En fait, j’avais changé. Je n’étais que l’ombre de moi-même. Ce n’était pas facile pour ma mère et mes proches. Plus le temps avançait et plus j’étais dépressive. L’hiver, j’allais dehors et je mettais mes pieds dans la neige froide pendant 20-30-40 minutes. Je souhaitais attraper une énorme pneumonie et mourir. De cette façon, je n’aurais plus à vivre ce calvaire et mes proches ne sauraient pas que j’étais une lâche.
Un soir, alors que ma mère voulait absolument que je termine mon assiette, j’ai explosé. J’ai hurlé et pleuré. J’étais tannée et épuisée de tout. Je suis montée à l’étage et j’ai avalée tout ce qu’il y avait dans les armoires. J’en étais rendue à vouloir en finir à cause d’un spaghetti non terminé.
Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui j’ai décidé de raconter tout ça? Parce qu’on parle beaucoup de l’intimidation, au moment où ça se passe, mais très peu des répercussions à long terme. La douleur ne s’arrête pas au moment où les intimidateurs cessent leurs gestes et leurs paroles. La personne qui a subi des mois ou même des années d’insultes reste marquée à vie. Pour moi, à l’adolescence, les répercussions se sont traduites par un besoin d’attention et une profonde recherche d’identité. J’ai développé un besoin d’atteindre la perfection, de cette façon, je ne recevais pas de critiques. J’ai aussi été affectée par l’anorexie et de la boulimie. J’ai eu un manque de confiance en moi qui, encore à l’occasion, peut refaire surface. J’ai longtemps chercher l’approbation des gens autour de moi, j’avais une peur constante de déplaire. Encore aujourd’hui, il m’arrive de parler aux gens et de me sentir à l’aise puis, une fois à la maison, de me questionner sur ce que j’ai dit. Est-ce que j’étais correcte? Est-ce que les gens n’ont pas trouvé que je prenais trop de place?… Avant de comprendre et de guérir une bonne partie de mes blessures, j’ai dû voir des psychologues, des psychothérapeutes et des hypnothérapeutes.
Vous savez, je n’ai jamais été frappée ou menacée de mort. Je n’ai pas, non plus, connu le harcèlement sur internet, puisque Facebook/Instram/Twitter n’existaient pas. Et pourtant, j’ai été intimidée. Je me suis souvent dit que si j’avais été faite plus forte mentalement, tout ça ne m’aurait pas atteinte. C’est faux. On est tous différents et on a tous notre façon de réagir. Je ne méritais pas d’être une bête de foire. Je sais que les gens qui l’ont fait, ne pensaient jamais me faire autant de torts. Pour eux, la vie a continué et s’ils lisent ce texte, ils se diront probablement que ce n’était pas si pire que ça. Mais ce l’était pour moi. Et ça, ce n’est pas discutable.
Même après avoir vécu tout ça, je vais bien! Je suis une femme d’affaires respectée et qui réussit. J’ai un conjoint et une famille que j’aime, deux magnifiques enfants qui me rappellent chaque jour le vrai sens du mot bonheur. Ces épreuves font de moi la femme que je suis aujourd’hui. Une femme avec une expérience de vie incroyable et une immense sensibilité. Suis-je plus forte à cause de ce que j’ai vécu? Je ne crois pas. Je suis simplement différente de ce que j’aurais pu être sans l’intimidation.
Pour terminer, apprenez à vos enfants que, dans la vie, il y a plusieurs façons de blesser une personne et que toutes ces façons font mal à égalité.Vous devez leurs apprendre la puissance et l’impact que les mots peuvent avoir. La violence physique n’est pas pire ou moins pire que la violence verbale. Et même si c’est épuisant et que vos enfants vous donnent des cheveux gris, écoutez-les. Peut-être que ce qu’ils vous diront sera romancé, peut-être que non. Prévenez les coups avant que la vie ne les brisent.
” Prends une feuille de papier et froisse-la ! Ça y est ? Maintenant essaie de remettre la feuille de papier comme avant, bien lisse.. tu n’y arrives pas ? Le cÅ“ur d’une personne est comme cette feuille de papier : une fois que tu lui as fait du mal, il est difficile de le retrouver comme tu l’as connu … “