Archives mai 2017

Poussière d’ange

Juste au mauvais moment

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Juste au mauvais moment

Une poussière d’ange t’est tombée dedans

Tu ferais une super maman mais pas maintenant non pas maintenant…

Ce sont les paroles d’une chanson d’Ariane Moffat. Elle m’a brisé le cœur quand je l’ai écoutée. Pas entendue. Écoutée. J’ai tellement pleuré.

J’ai trois enfants. Deux ados qui ne veulent plus de parents et une mini fée qui veut encore heureusement sa maman. Je suis sauvée. Du moins pour quelques années. J’adore mes enfants. Ils sont imparfaits tout comme je le suis. Ils me dérangent dans leurs principes et leurs déclarations parfois. Dans mon schème de valeurs aussi. Mais bon; je suis un dinosaure malgré que je sois sur Facebook, Snapchat, Ask et Instagram. Retenez ça : les applications ne font pas l’individu. Je suis complètement désuète pour mes ados malgré mes quarante ans. Out la mamie.

Trois enfants. Quinze ans dans une précédente relation et plus de deux dans celle-ci. Crise de quarantaine peut-être? J’ai tout plaqué de ma vie d’avant; non sans heurts. Donc, j’ai un formidable amoureux. Je suis heureuse. Je suis remplie de paradoxes. Je suis une cérébrale qui suit son cœur. Toujours. Je sais. Ça ne fait aucun sens, mais c’est comme ça. Ma tête me protège. Mon cœur me fait vivre.

Depuis plus d’un an, je vis avec les inconforts d’une préménopause. Je sais, ça paraît long, mais je dois vous mettre en contexte. Mon corps réagit, les chaleurs sont prédominantes, je ne dors plus la nuit, les règles sont éparses, le bordel est pogné comme dirait l’autre.

Deux mois que je n’ai pas eu mes règles. Je ne me suis pas inquiétée outre mesure. Mon amoureux a eu une vasectomie il y a quatre ans. Cinq enfants qu’il a déjà. Trois pour moi. Fonder une famille, avoir des enfants ensemble n’a jamais fait partie de nos projets. On aimait ceux qui étaient là et c’était très bien ainsi.

Vous me voyez venir? Parfois, je manque de subtilité. Pour dissiper le doute, j’ai passé un test de grossesse. Toute seule parce que c’était invraisemblable de toute façon. Éliminer les possibilités. Vasectomisé, l’amoureux. 99 % de contraception.

J’ai pleuré ma vie. Bien plus tard. Après avoir absorbé le choc. Deux lignes sur un test de grossesse. Je n’y ai pas cru. Ça m’a pris plus de quarante-huit heures. J’étais enceinte. Je portais un bébé dans mon ventre. À trente-neuf ans. En préménopause depuis quelques mois. Avec deux ados qui ne voulaient plus de mère et une de six ans qui en réclamait une.

Il faut qu’on se parle. C’est ce que je lui ai dit deux jours plus tard. On haït tous ça, cette phrase-là. C’était ça pareil. J’étais désemparée. J’avais besoin de lui. Je ne comprenais pas. J’avais déjà lu les articles et les statiques sur le Net. 3 % des femmes tombaient enceintes après une vasectomie. La plupart, trois à cinq ans après la vasectomie du monsieur. Les canaux qui se collent. Ça devait me consoler tout ça?

Ça ne m’a pas consolée. On a parlé, on a fait dix mille scénarios dans nos têtes, on a échangé sur les possibilités. J’ai beaucoup pleuré. Lui non. Il absorbait le choc tout comme moi quelques jours auparavant. Il était solide et rationnel. J’étais en miettes et brisée. On a décidé de se donner quelques jours, quelques semaines.

J’ai appelé à la clinique l’Alternative à Montréal. Il m’a accompagnée. Il m’a serrée fort dans ses bras. Il m’a dit qu’il m’aimait. Il m’a demandé si c’était correct pour moi. Si je changeais d’idée. Il a essuyé mes larmes au travers de mon sourire incertain. Il aurait été un formidable papa. J’aurais été une formidable maman.

Je l’ai fait. J’ai dit non à mon bébé. J’ai demandé à la voir. Elle aurait été une fille. J’en suis intimement convaincue. Je ne le saurai jamais. J’ai demandé à voir sa petite enveloppe qui ressemblait à un œuf. Je lui ai demandé pardon. Elle m’avait choisie comme maison; et moi, parce que ça ne marchait pas, parce que je ne pouvais pas, parce que je ne voulais plus, j’ai dit non à la maison.

Je me suis fait avorter. Écrire cette phrase-là me fait mal. Avorter. Verbe dénué de sens et d’émotions. J’ai trois enfants. Je sais ce qu’elle aurait pu être, devenir. Je sais ce que c’est que de porter un enfant, de l’attendre, de sentir sa vie dans mon ventre, de projeter mes désirs sur lui ou sur elle, de l’aimer. Je l’aurais appelé Ève. Source de vie. Elle aurait eu un an ce mois-ci.

Eva Staire

 

Guide de survie pour la mère que je suis

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Les enfants. Mes enfants que j’aime tant. Je les louangerai une autre fois. Ce qui m’occupe ici ce sont toutes les fois où dans ma tête, je les aurais mis au chemin. Vendus sur Kijiji. Pire : toutes ces fois où je les aurais donnés ou échangés contre un voyage dans le Sud. Super maman me direz-vous. Ça n’a aucune importance. L’effet est là. Ça m’apaise, me libère et vous aurez compris : je ne l’ai pas fait. Ils sont toujours vivants. Et moi aussi.

Toutes ces crises au supermarché, ces refus tenaces de collaborer, les pleurs à ne plus finir, les engueulades avec le frère ou la sœur, la moue qu’ils font quand on leur présente le souper qui bien sûr ne leur plaît pas et les terribles argumentaires avec nos ados où on se croirait en plein plaidoyer. Toutes ces fois où elle a largement dépassé l’heure de rentrée — et qu’on s’imagine déjà qu’elle a été enlevée — attachée dans une sombre cave — seule; criant notre nom — qu’on passera à Denis Lévesque en réclamant notre bébé… Toutes ces fois où il nous répond par des grognements, ayant oublié le langage humain; tous ces mensonges éhontés et surtout mon dieu, surtout leur sourire arrogant et triomphant.

J’en peux plus.

Faudrait pas non plus oublier cette fantastique invention, mais ô combien terrible pour des parents. La voiture. Milieu fermé et diaboliquement hermétique. Quatre portes. Deux enfants à bord qui se chamaillent, crient et pleurent. Lequel je laisse sur le bord du chemin? Dilemme confrontant parfois. Je me suis même surprise à chantonner ma petite vache qui a mal aux pattes en les pointant du doigt. Mais non; ils ne m’ont pas vue…

Tout y est passé dans ma tête. Pour chacun d’entre eux. Dix-sept ans que ça dure par intervalles. Du bac de récupération jusqu’à une pancarte au cou dans une vente de garage. Mais ça me fait un bien fou. Les images se bousculent, je ferme les yeux et je respire un grand coup. Et après tout cela, je serai la première à accourir à mon bac imaginaire en m’excusant d’avoir pu penser toutes ces obscénités, ces choses dont on ne parle pas, car il ne faut pas lorsqu’on est une bonne mère.

Maudite culpabilité.

J’entends déjà crier au scandale. Ça m’importe peu. D’avoir mes fantaisies, de me permettre de les vivre par en dedans, de les écrire fait de moi une meilleure mère. Je ne leur donne pas vie. Je ne les actualise pas si cela peut vous rassurer sur ma santé mentale. Afin d’être une mère assumée et aimante, afin de désirer être un phare dans leur vie, une lumière si petite soit-elle, je dois composer avec ma zone d’ombre. Et avec la leur.

Est-ce que je suis en train de me justifier, là?

Pas toujours facile d’être mère. Pas toujours facile d’être père. Pas toujours facile la vie de parents. Pas toujours facile la vie d’enfants.

Mais bon dieu que je les aime.


Isabelle Bessette