Archives septembre 2018

Ma fille… Mon fils

Ma doudoune n’est plus! Je ne la vois plus! J’ai beau la cherche

Ma doudoune n’est plus! Je ne la vois plus! J’ai beau la chercher, elle s’est volatilisée. Il n’y a que ses yeux qui me confirment qu’elle a bien existé. Le regard lui ne change pas. Par contre, il y a une belle lumière qui n’existait pas auparavant.

Depuis plus d’un an, la testostérone a transformé son corps. Sa voix aussi. Je dois porter plus d’attention lorsqu’il parle, je le confonds souvent avec son frère. Ils ont le même timbre de voix. Et ça lui fait un p’tit velours lorsque je me trompe.

Je ne reconnais plus mon bébé et c’est parfois difficile. Je la cherche dans mes souvenirs, je regarde souvent des photos de son enfance pour me faire du bien, car mon cœur chavire encore à l’occasion.

Je l’aime de tout mon être, mais c’est parfois difficile de le suivre dans ses états d’âme, dans ses réactions dans tout ce que cela comporte comme changement. C’est tellement l’inconnu autant pour lui que pour moi.

Devant moi, physiquement, c’est un garçon. Mais qu’en est-il au niveau psychologique? J’aimerais être dans sa tête pour comprendre tout ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce qu’il vit. Mais comme plusieurs garçons de 18 ans, il ne s’exprime pas beaucoup, du moins pas avec moi.

Les changements ne se font pas assez vite pour lui. Pourtant son cou est plus large, ses épaules aussi. Ses mains, ses pieds, tout est différent. De petits poils se sont installés sous son nez et sur son menton. Il est fier d’avoir une moustache molle comme son frère.

Son tour de taille s’est épaissi. Il a engraissé et il a grandi un peu. Il revit une puberté, mais cette fois‑ci, c’est beaucoup plus fort, beaucoup plus épuisant. Il est impatient, frustré et boutonneux. Une chance qu’il n’a plus de menstruations. Il traverse cette étape une deuxième fois et c’est cent fois plus intense.

Ce n’est déjà pas facile de soutenir un adolescent et de l’accompagner dans tous les changements qu’il peut vivre, alors imaginez avec un jeune de 18 ans transgenre. Ouf! Pas toujours évident.

Les papiers pour qu’il puisse subir une mastectomie sont maintenant envoyés. Il connaît le nom de la chirurgienne qui l’opérera. Mais pas encore la date. Il est prêt. Il n’en peut plus d’attendre. Mon chum s’est occupé de faxer tous les papiers. J’en étais incapable!

C’est mon enfant et je souhaite qu’il soit bien dans son corps. Mais cette ablation des seins me bouleverse, me vrille le cœur, me rentre dedans comme un truck. La panique me pogne et la peur m’envahit.

À cette étape, c’est comme si cette opération confirmait que mon enfant a réellement une dysphorie de genre. Que c’est un fait observable, qu’il n’y aura plus de retour en arrière. Que Leane n’existera plus… J’ai de la peine dans mon cœur. Je me dois de faire mon deuil. Faire le deuil de ma fille. Dans mon ventre, il y avait deux filles… des jumelles pas pareilles!

Je dois passer par plusieurs étapes du deuil et ce n’est pas toujours évident. Par contre, je sais et je comprends la chance que nous avons qu’il soit toujours en vie et plus heureux.

C’est une grande partie de sa féminité qu’il veut voir disparaître à tout prix. Il n’en a jamais voulu de toute façon.

Cette étape est pour moi la plus déchirante. Et pour lui, c’est l’une des plus importantes.

En attendant, il fait du taping pour cacher ses seins. Il utilise un chest binder pour camoufler sa poitrine. Cette partie de son corps qu’il ne voulait pas voir se développer est si intensément compressée qu’il a subi une inflammation intercostale (muscles des côtes). Cette situation devait être très douloureuse, car il m’a appelée au travail en me disant « Viens maman! Je souffre! »   Mon bébé avait besoin de moi. Direction urgence. Deux heures plus tard, anti-inflammatoires et médicament pour l’aider à dormir.

Je sais que je serai là pour l’accompagner lors de son opération, je sais que je prendrai soin de lui.

Mon enfant laisse partir des morceaux de son corps pour mieux se reconstruire. Mais cette étape à franchir me fait mal à mon cœur de maman.

Line Ferraro

Pleurer au dernier

La Marie-Madeleine pleureuse en moi est bien cachée. Habituellement

La Marie-Madeleine pleureuse en moi est bien cachée. Habituellement. Je m’exprime plus par les mots que par les larmes. Mais cette semaine, au moment de voir mon petit dernier partir en rang avec sa nouvelle enseignante de maternelle, j’ai versé une larme. Ok, deux.

Après quatre enfants, on s’attendrait à ce que je connaisse la routine. Pour la connaître, je la connais! Par cœur même. Tellement que j’ai pris toute la semaine de congé pour amortir l’impact d’une rentrée progressive en maternelle (le principe est beau, mais vraiment nécessaire avec la majorité des enfants québécois qui connaissent depuis leurs premiers mois la routine de la garderie?). Sur quatre enfants, trois changeaient d’école. Le stress dans le piton pour eux, pour moi. Avoir essayé de combiner horaire de travail et rentrée scolaire cette année aurait été suicidaire.

Une organisation au quart de tour, les seize paires de chaussures achetées et identifiées (extérieures, intérieures, gymnase, service de garde… ça ne compte même pas celles d’extra, pour le look ou pour la température). Les sacs à dos étaient alignés dans les chambres depuis deux semaines, scellés : Ne pas ouvrir avant le 30 août. À vos risques et périls. Au temps et à la concentration que ça prend pour décortiquer toutes les listes scolaires… Il ne faudrait pas envoyer le cahier 32 pages avec interlignes 1,5 à la place du cahier 40 pages avec interlignes pointillés de 1,25…

Accompagner mon fils en classe pour une première heure de contact avec son enseignante, c’était de la petite bière. Ou du petit lait, pour être plus dans le thème. Mon rêve inavoué étant de passer ma vie sur les bancs d’école, j’ai eu peine à cacher ma joie d’être avec lui à son pupitre et de bricoler une couronne. Je jubilais de le voir si heureux, si épanoui. Au milieu du mini groupe d’enfants intimidés par l’école et s’efforçant de rentrer sous le tapis de la classe, mon petit bonhomme rayonnait. Il riait. Il jasait. Sans arrêt. Il était plus que prêt. C’est sûr qu’en tant que quatrième de la fratrie et petit dernier, il avait hâte de faire comme les grands.

Mais le second jour, au moment de le laisser pour deux heures aux bons soins de son enseignante, l’émotion est montée jusqu’à mes yeux. Fierté, sentiment du devoir accompli, joie, et peine de le voir grandir. Ben oui. Peine. Même s’il est rendu là et que je suis très heureuse pour lui. Je ne vivrai plus jamais de rentrée en maternelle (ce qui risque de me rendre la vie plus facile côté emploi!) Ok, peut-être si j’ai des petits-enfants. Mais ce n’est pas pareil. Ce ne sont pas les miens.

Si l’émotion est montée et redescendue en cascade sur mes joues, c’est aussi parce qu’après les dernières semaines occupées à penser à tout pour tout le monde (la fameuse surcharge mentale), je me sentais soulagée (et vidée). Mes quatre poussins étaient à l’école et moi, je me trouvais de l’autre côté de la clôture, hors de portée de mes enfants.

Tout le monde avait survécu à la rentrée, tout le monde avait passé un bel été et était prêt à retourner dans une routine scolaire pour les dix prochains mois. Et moi, je pouvais reprendre mes responsabilités « normales », sans penser au nombre de crayons HB à aiguiser, sans me demander si les étiquettes tiendront toute l’année, sans essayer de détecter l’angoisse dans les yeux de mes protégés avant qu’elle se rende à leurs poings.

Ce soir-là, je suis allée m’échouer sur un tapis de yoga. J’y ai laissé ma fatigue, mon anxiété, mon « court-partout » et mon « pense-à-tout ». Dans la position du cadavre, je suis tombée en état hypnotique, portée que j’étais par plus grand que moi. L’impression d’être arrivée à un port.

Nathalie Courcy

 

Toucher le fond

Quand le sentiment qui te retient aux gens qui t’entourent, c’est la peur de les décevoir, coup

Quand le sentiment qui te retient aux gens qui t’entourent, c’est la peur de les décevoir, coupe les ponts.

Quand tes liens d’attachement sont conditionnels à ta perfection, coupe les ponts.

Quand les autres s’accrochent à ta force, à ta détermination ; quand ils vivent leur vie par procuration parce qu’ils n’ont pas le courage que tu as, coupe les ponts.

 

Quand les gens te disent qu’ils t’aiment avec des si et des conditions, coupe les ponts.

Quand les gens qui gravitent autour de toi ne te font pas sentir extraordinaire, adéquate et parfaite comme tu es, coupe les ponts.

Quand tes racines te font mal, qu’elles te contrôlent ou exercent trop de pression parce qu’elles ont peur de te voir t’émanciper, coupe les ponts.

 

Retrouve ta valeur, coupe tes ponts.

 

Quand sourire n’apaise plus ta douleur, laisse‑toi aller, touche le fond.

Quand tu te lèves un matin et que tu sens que ton chemin tout tracé d’avance ne te convient plus, permets‑toi l’erreur, recommence, touche le fond.

Quand tu arrêtes de penser que tu mérites d’être aimée, de briller, touche le fond.

 

Touche le fond avec tous les inconforts que ça implique.

Touche le fond même si la peur du noir t’habite.

Touche le fond même si le vide se crée autour de toi.

Touche le fond, pèse sur reset, reconnecte‑toi.

Touche le fond, émerge, propulse‑toi.

 

Émerge dans toute ta force et tes fragilités.

Émerge en colère, imparfaite, couettée.

Émerge sans savoir où tu es rendue ;

Émerge déroutée.

Émerge le souffle court, le souffle coupé ;

Émerge doucement et apaisée.

Émerge et respire ;

Sois douce avec toi et laisse‑toi porter.

 

Si une fois à la surface tu as perdu le phare que tu pensais devoir suivre, trouves‑en un autre.

Choisis‑le coloré, solide, parfumé de libertés.

Trace‑toi un nouveau chemin, suis de nouvelles routes.

Trouve de nouvelles racines, de nouveaux ancrages.

Tes yeux, ta vie, ton miroir, ton âme.

Émerge, respire et réapprends lentement à aimer qui tu es, celle que tu as toujours été.

 

 

Liza Harkiolakis