Mon corps d’enfant – Texte : Marina Desrosiers
Je n’ai pas réussi à te faire bander. Tu me l’as reproché.
Tu m’as boudée parce que je n’étais pas assez excitante.
Pourtant, j’ai essayé! Je voyais le cadeau que tu m’avais promis me glisser entre les doigts, alors que toi, tu voulais que ce soit ton pénis qui y glisse. J’ai pleuré. Pas de honte, pas de rage. De déception. J’étais déçue de moi, de mon échec. J’étais déçue de toi, de ta trahison. Tu m’avais promis que si je me mettais toute nue, que je te laissais me pénétrer, tu me donnerais ton plus gros toutou. Le jaune, presque aussi grand que moi.
J’ai couru à l’étage. Maman, maman, mon frère ne veut pas me donner son toutou, il m’avait dit qu’il me le donnerait!
J’ai dû révéler la condition. Tu voulais éjaculer. Et ça n’a pas fonctionné.
Un corps d’enfant de huit ans ne t’avait pas excité. Peut-être aussi que la peur de te faire pogner les culottes baissées avait refroidi tes ardeurs.
Tu t’es fait prendre quand même, parce que j’ai crié à l’injustice. Pas celle de l’abus, mais celle de la promesse non tenue. Tu as dû t’excuser, notre autre frère aussi. Parce que tu n’étais pas seul, on exigeait de moi des deux côtés. J’étais la petite sœur de service.
Vous avez demandé pardon, merci, bonsoir. Fin de l’histoire.
Jusqu’à ce que mon adolescence se réveille et que mes cellules se souviennent.
J’avais été touchée illégalement, sans mon consentement (on ne peut pas dire oui au sexe à cet âge et encore pendant de nombreuses années). Le pardon avait été demandé à la va-vite, comme le sexe que vous aviez essayé d’avoir à quelques reprises.
Plus tard, quand j’ai révélé ces abus, mon malaise, mon mal-être, on m’a accueillie à bras ouverts ou à cœur fermé, selon la confidente. On m’a comprise et écoutée. On m’a aussi jugée. « Arrête d’en faire tout un plat, ils étaient jeunes et remplis d’hormones, ils avaient besoin d’expérimenter. Tu étais là, c’est tout. »
Je cite ici une enseignante de formation personnelle et sociale qui enseignait la sexualité dans une école de filles. C’est bien ce qu’elle m’avait répondu.
En gros, farme ta gueule.
J’avais été choquée, blessée, mais je ne l’avais pas crue. Moi, je savais qu’ils m’avaient salie avec leurs hormones dans le tapis. Sperme ou pas, c’était dégueulasse. Point.
Dans le temps, on ne dénonçait ni les abuseurs ni ceux qui camouflaient. On endurait. Peu ont su la vérité, mais j’ai bien dû la révéler à des hommes qui me trouvaient crispée.
J’aurais aimé que le pardon soit suivi d’une réelle réparation. Sous quelle forme, je ne sais pas. Je portais encore des robes roses à dentelle, c’est jeune pour prendre une si grande décision. Mais j’aurais voulu ne pas devoir me battre à l’âge adulte pour que les abuseurs admettent leurs gestes à la femme que j’étais devenue.
« T’es folle, t’inventes des histoires, t’es juste bonne pour l’asile! »
C’est ce qu’un des coupables m’avait répondu. Plus d’une fois. L’autre s’était excusé, sincèrement. Mais de grâce, qu’on enterre ce sujet pour de bon, qu’on l’incinère, qu’on le jette aux oubliettes! La force du tabou, même quand on ose dire.
J’ai fini par recevoir une demande de pardon, maladroite, insuffisante, mais quand même mieux que rien. Une excuse pour le geste, pas pour les séquelles, qu’il ne connaît pas, puisqu’il ne m’a pas écoutée. On n’écoute pas les folles, après tout.
En passant, au cas où l’étymologie vous intéresse, le mot « inceste » vient du latin et signifiait « sacrilège », profanation du sacré.
Le corps d’un enfant, fille ou garçon, est sacré. Sacrez-lui la paix. Respectez-le.
Marina Desrosiers