Ta non-naissance – Texte : Nathalie Courcy

Aujourd’hui, je célèbre ta non-naissance, comme chaque année. Il y a onze ans, tu es sorti de mon ventre, mais tu n’es pas né(e). Je t’ai pris(e) dans ma main, mais je ne t’ai pas bercé(e). Tu es venu(e) dans ce monde pour en repartir aussi tôt. Je ne t’ai présenté(e) à personne, mais je n’ai pas non plus pu te garder pour moi. J’ai dû accepter de te laisser partir sans savoir sous quelle forme tu reviendrais vers nous ni quand. Ni si.

Il y a onze ans, mon bébé, tu as quitté le piège de mon ventre où tu étais mort depuis… quelques jours ? Quelques semaines ? Mon intuition de maman me disait depuis un mois que je ne te donnerais pas la vie. Mon ventre grossissait, bougeait, oui, déjà à trois mois de grossesse. Je sais maintenant que c’était ton frère qui s’exprimait. Peut-être cognait-il à la porte de ta part : « Hey, maman ! Quelqu’un veut sortir d’ici ! ». Savait-il, lui, si tu étais un garçon ou une fille ? Savait-il, lui, que tu étais déjà décédé intra-utéro ? Savait-il, lui, si ton cœur qui avait lâché, ou si ton cerveau fonctionnait mal, ou quel gène était défectueux ? Savait-il, lui, qu’il ne te suivrait pas malgré la porte que tu laisserais ouverte ?

Ton grand frère né après toi a maintenant dix ans et demi. Il est né en janvier, plusieurs mois après toi. Le médecin m’avait pourtant dit : « À partir de maintenant, madame, votre autre bébé a 50 % des chances de s’accrocher et 50 % des chances de partir. Il est en pleine forme, il mesure 10 centimètres, mais la porte est ouverte. Peu importe ce que vous ferez, c’est à lui de décider s’il reste ou non. » J’avais accepté que le meilleur se produirait, comme pour toi. Parfois, on ne comprend pas pourquoi, mais on l’accepte.

Il est resté.

Pendant des mois, je ne l’ai plus senti bouger. Toute la place que tu avais laissée… il barbotait dans le vide. Il devait te chercher. Même après sa naissance, il a continué. Il avait besoin de ta présence et ne comprenait pas que son partner des premiers temps n’y était plus. Encore maintenant, tu lui manques. Vous auriez fait une équipe du tonnerre !

Un intuitif m’a dit un jour que tu avais senti que je n’étais pas prête à avoir des jumeaux et que tu étais parti(e) pour me protéger. Peut-être. On ne le saura jamais. Ce que je sais, c’est que j’avais tout fait pour que tu sois bien, en santé, fort(e). Je n’ai aucun remords, aucun regret. J’aurais aimé te connaître plus longtemps, jouer avec toi, t’enseigner la vie, te voir grandir comme je vois grandir ton frère. Tu serais déjà presque aussi grand(e) que moi ! Tu aurais ta personnalité et non celle qu’on t’a imaginée. Tu aurais tes amis, tes petites habitudes, tes goûts, tes colères et tes joies. Tu aurais ta chambre, ou peut-être voudrais-tu partager celle de ton frère jumeau. Comme le fait votre petit frère, né deux ans plus tard…

Ce petit frère qui vient du même don de sperme que vous deux. Ce petit frère qui vient d’un autre monde tellement il est connecté à l’Univers. Ce petit frère fusionnel, si complice de son grand frère. Ce petit frère qui, chaque fois qu’il regarde vers le ciel noir, s’exclame : « Regarde, maman ! C’est bébé-étoile qui nous dit bonjour ! ». Ce petit frère qui est peut-être toi.

Nathalie Courcy



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