Lettre à ma fille dysphasique

Ma chère et belle enfant,

Aujourd’hui, j’ai dû prendre la décision la plus difficile de ma vie. Celle qui aurait une influence sur ton futur, celle qui ferait de toi une enfant plus heureuse, selon moi, et selon les professionnelles qui te côtoient chaque jour. J’ai eu le privilège de t’accompagner et de te côtoyer chaque jour depuis le premier jour de ta maternelle à l’école, à MON école. J’ai eu le privilège de t’enseigner et de te voir évoluer au sein d’une classe régulière. Les inquiétudes? J’en ai tout le temps.

Le doute? J’en ai constamment. Je voulais t’offrir une partie de ton enfance, la vraie vie. Côtoyer des personnes qui sont « normales » pour t’offrir un échantillon de la société dans laquelle tu vivras. Ton handicap n’est pas visible, et plusieurs personnes ne sont pas en mesure de comprendre. Elles ne peuvent comprendre parce que « ça paraît pas ». Tu aimes tellement discuter avec tout le monde, comment pourrait-on se douter que tu as un problème de langage? Pourtant, ce « problème » est au cœur de ton quotidien et il t’empêche très souvent d’entrer en relation avec des enfants de ton âge. J’ai longtemps espéré que t’avoir avec moi te protégerait d’une certaine façon de la cruauté des autres… Mais malheureusement, je dois accepter que je ne peux pas tout faire ni tout contrôler.

Tu travailles fort chaque jour, tu essaies tant bien que mal de comprendre ce que le professeur t’explique. Tu essaies de résoudre des problèmes mathématiques, de lire des textes en français, mais c’est difficile pour toi. C’est bien normal, TOUT passe par le langage. Quelqu’un est avec toi, un ange qui t’accompagne quelques heures par semaine, et ce, parce que l’école a su que c’était essentiel pour toi… Mais malgré tout ton travail, tu n’y arrives tout simplement pas, et nous voyons que tu décroches de plus en plus… Décrocher en troisième année, c’est un non-sens, et je me dois de faire quelque chose.

Une opportunité se présente à nous. L’occasion que tu puisses aller dans une classe spécialisée, qui, je l’espère, sera épargnée par toutes les coupures de services engendrées par cette période d’austérité. J’ai peur… Et si ce n’était pas la bonne décision? Et si tu étais malheureuse loin de ton milieu, loin de moi? Je crois que nous n’avons rien à perdre d’essayer puisque ton milieu ne te convient plus. Je dois « couper le cordon » et essayer de te laisser voler de tes propres ailes. Tu verras, je suis certaine que tu y seras heureuse. Il y aura des personnes, différentes comme toi, qui ont un problème de langage. Je souhaite de tout mon cœur que tu y connaisses enfin ce que c’est que l’amitié.

Ma chère et belle enfant, je t’écris ces quelques lignes puisque je ne peux pas te l’expliquer… Tu ne le comprendrais pas… parce que ton handicap, ce sont les mots… les mots des autres, et les tiens… Mon seul et unique but est de te rendre heureuse, et je suis prête à tout pour y parvenir.

Valérie Cléroux



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