Juste 30 minutes par jour…

Récemment, on nous a conseillé de passer du temps avec notre plus jeune fille, et juste avec elle. Juste une petite demi-heure, qu’ils ont dit. Tous les jours. On nous a même demandé, comme si c’était une simple addition, à quel moment nous allions faire ça.

Bon. Asteure qu’on est juste entre nous, on va s’dire les vraies affaires. On a trois enfants. Trois fabuleuses petites merveilles. Et notre emploi du temps, il est plus chargé que celui de Justin. Trudeau, ou Timberlake, c’est pas ça le point.

Le matin, on se réveille à 7 h. Ben oui, on fait partie de l’élite des parents qui peuvent dormir le matin même si le soleil est déjà levé, lui. J’ai toujours refusé de réveiller un enfant qui dort, c’est dans mes principes. J’y tiens. L’autobus, lui, il passe à 7 h 41. Faque j’ai 41 minutes, chaque matin, pour tout préparer. On s’habille : « Non, tu ne peux pas mettre tes shorts en janvier ». On se coiffe, ou plutôt, on se démêle les cheveux pendant dix minutes pour finalement faire un chignon super rapide. Ou une queue de cheval… Je prépare les déjeuners, j’installe les filles devant et espère que ça fera leur bonheur du premier coup… Si tout va bien jusque-là, je lance tout ce que je trouve dans les boîtes à lunch et sonne la cloche du départ. Il est 7 h 37. Faut mettre trois kits d’hiver en quatre minutes. Pis oui, j’y arrive. Chaque. Matin. Go à l’autobus pendant que l’auto se réchauffe et hop, la journée commence ! Après avoir passé huit heures au bureau, on repart la même routine, en sens inverse. Vous avez saisi le concept.

Mais on nous a demandé de passer trente minutes en période de jeu avec la plus jeune. Juste elle. Juste elle ? Je les trouve où, ces minutes-là ? Ça venait pas en prime, du temps, avec mon contrat de parent ? Ben non. Quand on arrive de l’école, on court entre les devoirs et la préparation du souper. Après le souper, on saute dans le bain et hop au dodo ! Je coupe où, là-dedans ? J’arrête de préparer le souper ? On ne se lave plus ? On arrête les devoirs ?

Mais on nous a demandé de passer trente minutes en période de jeu avec la plus jeune. Juste elle. J’ai juste pas eu le courage de leur dire que dans le fond, ça n’existe pas, ce temps-là. Parce qu’entre les suivis des spécialistes, les rendez-vous pour nous cinq et les rencontres de parents, y’en reste pu, du temps.

Ils ne le savent pas, les spécialistes, mais on est essoufflés. Parce que ça fait deux ans qu’on se démène à chanter des chansons, à regarder des histoires, à reformuler les mots et à discuter ensemble. Parce que pendant ces deux années‑là, y’en avait pas de services. Y’avait juste une liste d’attente interminable. J’ai l’impression que c’est à moi de prendre trente minutes par jour de plus, parce qu’il faut rattraper le temps où les spécialistes n’étaient pas disponibles pour nous.

Si seulement ils savaient qu’on doit déjà faire trente minutes par jour d’exercices en physiothérapie. Qu’on doit aussi accorder le même temps à nos autres enfants. Parce que oui, ma grande de quatre ans veut me parler de tout ce qu’elle a hâte d’apprendre à l’école, parce qu’elle aura cinq ans, pis à cinq ans, on va à l’école, pis on apprend des choses, pis on se fait des amis, hein maman !? Et ce même temps, on doit aussi l’accorder à la grande qui veut nous faire entendre ses progrès au piano, en nous jouant 43 fois la même toune.

On les adore. On va toujours être là pour elles. Mais ces trente minutes par jour, par enfant, elles n’existent pas. Si on se trouve miraculeusement un vingt minutes de lousse à la fin de la journée, on va le passer à se coller en famille, à se chatouiller, à lire des histoires et à s’aimer. Tous ensemble. Pas chacun de son côté. Parce que c’est ça, être une famille.

J’aimerais ça leur expliquer tout ça, aux spécialistes… mais j’ai pas le temps.

Joanie Fournier

 



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