À l’adulte que je ne suis pas — Texte : Shanie Laframboise

Tomber les pieds dans le monde adulte, c’est devoir avoir les deux pieds sur Terre sans savoir sur lequel danser. C’est aussi réaliser qu’il n’y aura pas de marche arrière après avoir heurté le pied du mur nous séparant de l’enfance.

Comme la plupart des adultes, vais-je également atterrir les pieds dans les plats d’une vie en noir et blanc ? À les voir suivre le cours de leur vie comme des fourmis, il me vient la peur de vivre, à mon tour, dans l’ombre de moi-même ou, pire encore, de vivre une vie heureuse sans l’être moi-même. Je me représente combien il y a, en somme, d’adultes dits « heureux ». Toutefois, ceux-ci ne se sentent apparemment ainsi que parce que les malheureux portent leur poids sans s’en plaindre. Et si, enivrée par l’idée de trop vouloir vivre, je me perdais à mon tour, en silence, à côté de ma vie, à accumuler ce qui ne peut être dit ? Et si je suivais le chemin des grandes personnes qui confondent l’amour et le désir, surtout le désir d’être aimé ?

L’arrivée dans ce monde fait naître de grandes questions enterrant toute la magie. Elle fait naître la nostalgie du passé, quand le présent n’est plus à sa hauteur. Ce n’est que lorsque l’impatience a tué l’enfance qu’on doit faire le deuil de cette magie qui animait notre vie. Ce moment est celui où l’on voit la peur des monstres sous nos lits être remplacée par la peur d’être soi-même, ce qui est pire que tout. C’est également celui où l’on se doit d’accepter les limites de la réalité et que le père Noël n’entre pas nécessairement par la cheminée. Qui aurait pensé qu’un jour viendrait cette nostalgie de l’enfance, alors que notre plus grand souhait était d’être adulte ?

Dix-huit ans, c’est se faire entraver les poignets par la réalité et se voir confronter par la pression de se rendre à l’évidence. C’est d’autant plus un grand saut venant avec l’insécurité d’inexorables vertiges suivant une vertigineuse tombée. Il est encore plus déstabilisant de voir nos relations changer, et ce, loin de ce qu’on aurait pu nous imaginer.

On a beau se faire croire que tout est beau en fermant les yeux sur cette solitude naissante, il reste qu’on n’a nul autre choix que d’accepter de nous détacher de ceux qui veulent nous voir voler en croyant nos ailes totalement déployées. Au fond, ces mêmes personnes peinent à regarder à l’arrière pour constater comment elles se sentaient avant de devenir ce qu’il « fallait ». Bien entendu, elles pensent nous avoir tracé les sentiers en réussissant leur vie dans le simple but de sentir qu’elles existaient. En fait, c’est plutôt à nous de tout désherber, les mains vides, afin d’éviter le piège dans lequel ces gens sont tombés : celui de s’oublier.

Regardez cette vie bien remplie de l’oisiveté des forts et de l’ignorance des faibles. Cette hypnose générale ainsi que l’insomnie d’un monde trop adulte me hantent, de cette peur de vivre à mon tour une vie bien pleine. Pleine de vide.

Shanie Laframboise

 



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