Harcèlement
Beaucoup de gens ont vécu différentes formes de harcèlement dans leur vie. Croyez-le ou non, moi aussi j’en ai vécu beaucoup dans le milieu militaire.
Dans les années 90, j’ai passé plus de huit ans en Ontario sur différentes bases militaires. J’ai souvent eu des supérieurs qui n’aimaient pas les francophones. Sans compter le temps du référendum… C’était difficile pour moi, car j’entendais parfois de mauvais commentaires face à cela. Je faisais partie d’une minorité linguistique.
Mais attendez un peu avant de juger, car j’ai d’excellents amis anglophones. Des amis avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir dans le passé et encore aujourd’hui. Et chez nous, au Québec, ce n’est guère mieux. Je me rappelle lorsque je circulais dans le Vieux-Québec avec mon auto sur laquelle il y avait une plaque d’immatriculation de l’Ontario. Les gens me huaient et j’entendais les commentaires désagréables. Je me mettais à rire. On s’entend-tu que je viens de la Beauce et qu’un jarret noir, c’est pas mal québécois!
Tout ça seulement pour vous dire que lorsque vous êtes une minorité, peu importe le type de minorité, le harcèlement peut très bien prendre sa place et prendre différentes formes.
Je me rappelle très bien lorsque j’étais en Afghanistan en 2004. Je revenais de patrouille sur le camp. J’étais stressé. Les muscles crispés de mes jambes se relâchaient après une conduite en véhicule à travers la ville chaotique de Kabul. J’avais un mal intense à mes genoux. Au lieu de pouvoir décompresser de ce stress, je subissais du harcèlement de la part d’un supérieur. Et ce pendant toute la durée de la mission parce que j’étais une minorité : un commis dans une compagnie de plus de 120 hommes d’infanterie.
Tout le monde était content du service que je donnais et tous me respectaient, sauf un seul. Celui-là avait toujours des commentaires pour me rabaisser face à mon métier ou pour d’autres raisons. À un certain moment donné, je ne voulais plus sortir pour patrouiller, mais mes collègues avaient besoin de moi. Avec ceux qui partaient en congé, nous manquions de personnel sur le terrain. Une patrouille en véhicules nécessitait deux véhicules et au moins quatre hommes. Huit personnes étaient requises pour une patrouille à pied. Donc si je restais à mon bureau seulement pour y faire mon travail, mes collègues ne pouvaient pas sortir. J’ai donc pris mon mal en patience et je l’ai fait pour eux, car c’est ça, des frères d’armes : c’est fait pour s’entraider.
J’ai vécu beaucoup de difficulté face à cette mission, mais je ne suis pas prêt pour l’instant à vous en parler. Ce que je peux vous dire par contre, c’est que tout le harcèlement que j’ai subi ne m’a pas aidé. Au lieu de pouvoir décompresser une fois arrivé sur le camp, je devais subir du harcèlement de la part d’un supérieur.
Ce supérieur est venu me voir deux jours avant de prendre l’avion pour retourner au Canada. Et il m’a dit : « Écoute-moi bien, chef! J’ai deux mots à te dire. Moi dans cette armée-là, j’ai plein de chums. Si j’entends dire que tu parles de moi, je vais le savoir. M’as-tu bien compris? » Je lui ai répondu : « Oui, (grade) » (vous comprenez que je ne veux pas mentionner son grade…)
Je savais bien qu’il n’avait pas beaucoup de chums parce que personne ne l’aimait. Mais quelle satisfaction en moi quand il m’a dit cela. Il venait tout juste de reconnaître ses torts et ses fautes qu’il m’avait fait subir pendant les six mois précédents. Pour moi, c’était comme une joie, car il venait de m’avouer ses fautes en personne. Mais lui croyait m’intimider et me faire peur.
Je crois que ce qui n’a pas aidé pour mon TSPT, c’est d’avoir subi du harcèlement tout au long de ma mission. Il m’aurait été plus facile de décompresser une fois sur le camp si je n’avais pas été harcelé. Mais pour moi, ce n’était pas possible.
Et je me rappelle aussi qu’on nous demandait souvent de compléter des sondages. Puis avant de commencer, on nous disait que ce n’était pas le moment de se vider le cœur. Car nous devions répondre à des questions comme : Faites-vous confiance à votre chaine de commandement? Sinon pourquoi? En cas d’urgence, faites-vous confiance à vos supérieurs? Sinon, pourquoi? Mais tout le monde se vidait le cœur, car nous étions à bout de souffle dans cette mission. Pour moi et pour beaucoup d’autres sans aucun doute, cette mission a été un échec. Beaucoup d’entre nous ont eu des séquelles par la suite.
Je me rappelle avoir parlé à un frère d’armes qui, lui, était homme d’infanterie. Il avait beaucoup de missions à son actif, dont la Somalie, la Bosnie, le Timor, etc., et des missions très difficiles. Il m’a dit : « Carl, cette mission, c’est la pire mission de ma vie. » Pourquoi? Parce que nous n’avions pas de soutien. Tout le monde était stressé. Nous étions les premiers du Québec à aller en Afghanistan. Il y avait beaucoup de facteurs en jeu.
Finalement, je me suis rendu compte que beaucoup d’entre nous sont revenus de cette mission avec une blessure.
Carl Audet