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Harcèlement

Beaucoup de gens ont vécu différentes formes de harcèlement dans

Beaucoup de gens ont vécu différentes formes de harcèlement dans leur vie. Croyez-le ou non, moi aussi j’en ai vécu beaucoup dans le milieu militaire.

Dans les années 90, j’ai passé plus de huit ans en Ontario sur différentes bases militaires. J’ai souvent eu des supérieurs qui n’aimaient pas les francophones. Sans compter le temps du référendum… C’était difficile pour moi, car j’entendais parfois de mauvais commentaires face à cela. Je faisais partie d’une minorité linguistique.

Mais attendez un peu avant de juger, car j’ai d’excellents amis anglophones. Des amis avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir dans le passé et encore aujourd’hui. Et chez nous, au Québec, ce n’est guère mieux. Je me rappelle lorsque je circulais dans le Vieux-Québec avec mon auto sur laquelle il y avait une plaque d’immatriculation de l’Ontario. Les gens me huaient et j’entendais les commentaires désagréables. Je me mettais à rire. On s’entend-tu que je viens de la Beauce et qu’un jarret noir, c’est pas mal québécois!

Tout ça seulement pour vous dire que lorsque vous êtes une minorité, peu importe le type de minorité, le harcèlement peut très bien prendre sa place et prendre différentes formes.

Je me rappelle très bien lorsque j’étais en Afghanistan en 2004. Je revenais de patrouille sur le camp. J’étais stressé. Les muscles crispés de mes jambes se relâchaient après une conduite en véhicule à travers la ville chaotique de Kabul. J’avais un mal intense à mes genoux. Au lieu de pouvoir décompresser de ce stress, je subissais du harcèlement de la part d’un supérieur. Et ce pendant toute la durée de la mission parce que j’étais une minorité : un commis dans une compagnie de plus de 120 hommes d’infanterie.

Tout le monde était content du service que je donnais et tous me respectaient, sauf un seul. Celui-là avait toujours des commentaires pour me rabaisser face à mon métier ou pour d’autres raisons. À un certain moment donné, je ne voulais plus sortir pour patrouiller, mais mes collègues avaient besoin de moi. Avec ceux qui partaient en congé, nous manquions de personnel sur le terrain. Une patrouille en véhicules nécessitait deux véhicules et au moins quatre hommes. Huit personnes étaient requises pour une patrouille à pied. Donc si je restais à mon bureau seulement pour y faire mon travail, mes collègues ne pouvaient pas sortir. J’ai donc pris mon mal en patience et je l’ai fait pour eux, car c’est ça, des frères d’armes : c’est fait pour s’entraider.

J’ai vécu beaucoup de difficulté face à cette mission, mais je ne suis pas prêt pour l’instant à vous en parler. Ce que je peux vous dire par contre, c’est que tout le harcèlement que j’ai subi ne m’a pas aidé. Au lieu de pouvoir décompresser une fois arrivé sur le camp, je devais subir du harcèlement de la part d’un supérieur.

Ce supérieur est venu me voir deux jours avant de prendre l’avion pour retourner au Canada. Et il m’a dit : « Écoute-moi bien, chef! J’ai deux mots à te dire. Moi dans cette armée-là, j’ai plein de chums. Si j’entends dire que tu parles de moi, je vais le savoir. M’as-tu bien compris? » Je lui ai répondu : « Oui, (grade) » (vous comprenez que je ne veux pas mentionner son grade…)

Je savais bien qu’il n’avait pas beaucoup de chums parce que personne ne l’aimait. Mais quelle satisfaction en moi quand il m’a dit cela. Il venait tout juste de reconnaître ses torts et ses fautes qu’il m’avait fait subir pendant les six mois précédents. Pour moi, c’était comme une joie, car il venait de m’avouer ses fautes en personne. Mais lui croyait m’intimider et me faire peur.

Je crois que ce qui n’a pas aidé pour mon TSPT, c’est d’avoir subi du harcèlement tout au long de ma mission. Il m’aurait été plus facile de décompresser une fois sur le camp si je n’avais pas été harcelé. Mais pour moi, ce n’était pas possible.

Et je me rappelle aussi qu’on nous demandait souvent de compléter des sondages. Puis avant de commencer, on nous disait que ce n’était pas le moment de se vider le cœur. Car nous devions répondre à des questions comme : Faites-vous confiance à votre chaine de commandement? Sinon pourquoi? En cas d’urgence, faites-vous confiance à vos supérieurs? Sinon, pourquoi? Mais tout le monde se vidait le cœur, car nous étions à bout de souffle dans cette mission. Pour moi et pour beaucoup d’autres sans aucun doute, cette mission a été un échec. Beaucoup d’entre nous ont eu des séquelles par la suite.

Je me rappelle avoir parlé à un frère d’armes qui, lui, était homme d’infanterie. Il avait beaucoup de missions à son actif, dont la Somalie, la Bosnie, le Timor, etc., et des missions très difficiles. Il m’a dit : « Carl, cette mission, c’est la pire mission de ma vie. » Pourquoi? Parce que nous n’avions pas de soutien. Tout le monde était stressé. Nous étions les premiers du Québec à aller en Afghanistan. Il y avait beaucoup de facteurs en jeu.

Finalement, je me suis rendu compte que beaucoup d’entre nous sont revenus de cette mission avec une blessure.

Carl Audet

Hommage à un frère d’armes

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Au mois d’août 2001, j’apprenais que j’étais encore déployé à la dernière minute en Bosnie-Herzégovine. Mon nouveau commandant m’a appelé personnellement pour s’informer de moi et s’assurer que je pouvais prendre mon congé d’été avant de partir. Le camp était à Velika Kladuša et j’y suis arrivé le 23 septembre 2001.

J’avais déjà remarqué l’énorme changement dans le pays depuis ma dernière visite, cinq ans auparavant. La reconstruction des maisons était bien établie. Les voitures circulaient sur les routes, ce que je n’avais pas eu l’occasion de voir lors de ma première visite. Par contre, les trous de balle sur les murs étaient toujours visibles et les cimetières étaient encore plus grands. Des tours avec des haut-parleurs étaient dressées et les prières pour Allah nous réveillaient le matin.

Au lieu de vivre dans des tentes, nous vivions dans des conteneurs maritimes meublés. Wow! Quelle gâterie de voir cela! Pour moi, c’était presque comme des vacances comparativement à ma première mission (façon de parler, bien entendu).

Ce que j’ai trouvé difficile cette fois a été de passer Noël loin des miens. J’ai téléphoné à ma mère la veille de Noël. Elle était chez ma grand-mère maternelle. Pendant notre conversation, j’entendais la musique en arrière-plan et tout le monde qui avait du plaisir. Je me sentais si loin et si seul en les entendant…

Après la conversation, je me suis dirigé vers la cafétéria où nous avions notre souper de Noël. Là, je me rappelle, j’étais debout devant ma chaise et j’observais la belle table et tous les efforts mis en place pour nous faire plaisir. Je me serrais les dents pour ne pas verser une larme. J’étais triste. Triste de ne pas pouvoir passer Noël avec ma famille. Triste de me sentir seul, même si j’avais de bons frères d’armes avec moi. C’était la première fois que je vivais un Noël à l’étranger.

La veille du jour de l’An, j’étais à l’extérieur sur le camp. À minuit, les coups feu se sont mis à retentir. Je me demandais vraiment ce qui se passait. La panique a monté. Puis, un collègue m’a rassuré en me disant que c’était la coutume des gens d’ici. Même coutume que pour les mariages.

Il y a une chose, ou plutôt une personne, qui a fait toute la différence sur ce camp. Il était caporal-chef. J’ai perdu beaucoup de frères d’armes, mais lui revient souvent dans mes pensées. Pourquoi? Parce qu’il était un bon vivant. Il aimait toujours rire et faire des blagues. C’était le genre de gars qu’on écoutait parler et soudainement, tout allait mieux. C’était un frère d’armes qui pouvait remonter le moral à tout le monde. Toujours joyeux, avec un beau sourire, il savait comment s’y prendre pour nous faire rire. Je le voyais presque tous les jours quand j’allais prendre mes pauses. Et quand il n’était pas là, c’était décevant!

Lorsque j’ai appris son décès en décembre 2013, je ne voulais pas y croire. Pourquoi lui?

Cet article, je le dédie à toi, mon cher ami. Tu resteras toujours dans mes pensées en tant que bon frère d’armes et Gaspésien joyeux. Repose en paix et jamais je ne t’oublierai. Je me souviendrai.

 

Carl Audet

 

 

 

Savoir apprécier les petites choses de la vie

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C’était à la fin de l’année 1995. Les Casques bleus commençaient à se retirer de la Bosnie-Herzégovine, car les troupes de l’Organisation des Nations Unies n’étaient pas capables d’établir un maintien de la paix. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a donc décidé d’envoyer des troupes. Les troupes de l’OTAN avaient beaucoup plus de marge de manœuvre que les troupes de l’ONU en ce qui concerne les règles d’engagement.

À ce moment, j’étais affecté avec un régiment blindé de la base de Petawawa. Nous étions à la mi-novembre et j’apprenais de mes supérieurs que je serais déployé. Quelle joie dans mon cœur! Moi qui avais 25 ans et qui rêvais de partir en mission à l’étranger pour servir mon pays. C’était un des plus beaux cadeaux qu’on pouvait me faire.

Mais c’était rapide, car nous avions seulement deux semaines d’entraînement et on devait prendre notre congé de Noël. Je ne vous l’ai pas encore mentionné, mais je ne savais pas où je m’en allais. Personne ne pouvait me donner l’information à propos de l’endroit du camp parce que celui‑ci n’avait pas encore été déterminé. On m’avait dit : « Prépare-toi à vivre dans un véhicule blindé pour quelque temps peut-être. »

Le 23 janvier 1996, j’atterrissais à Zagreb en Croatie. Par la suite, on a tous embarqué dans des autobus. Et je me rappelle quand nous sommes passés de la Croatie à la Bosnie, le paysage avait soudainement changé. Plus on avançait sur les routes et pire c’était. Il y avait des maisons entièrement détruites. La plupart avait des trous de balle dans les murs. Celles qui tenaient encore debout n’avaient aucune fenêtre et aucune porte. Les gens demeuraient quand même dans leur maison. Il y avait environ 15 cm de neige au sol. Et là, je me suis dit : Mais qu’est ce que je fais ici? C’était beaucoup plus effroyable que ce qu’on voyait à la télévision. J’étais dedans cette fois au lieu d’être dans mon salon. Mais j’étais toujours fier d’être là et de faire partie des Canadiens qui pourraient faire la différence.

Arrivés au camp à Velika Kladuša, nous avons dû rester là pendant deux semaines parce que notre camp n’était pas prêt. Ce fut la joie lorsque nous sommes arrivés au camp Maple Leaf à Zgon. On savait que ce serait notre maison pour les six prochains mois. Les journées de travail débutaient à 8 h et se terminaient souvent à 23 h ou même plus tard. Tout le monde était très occupé à finaliser le camp et à partir sur la route pour effectuer des patrouilles. Nous avions le strict minimum pour un peu plus de 400 hommes. Une seule télévision, une table de billard, quelques appareils de musculation et trois lignes téléphoniques que nous avons obtenues trois semaines après notre arrivée. À ce moment‑là, les gens n’avaient pas de cellulaire et ne pouvaient pas contacter leur famille au tout début.

L’eau était pompée de la rivière et décontaminée par la suite dans un bassin. Cette eau était utilisée pour les douches. Nous avions de l’eau chaude pendant deux heures pour laver dix hommes à la fois dans une tente. Il était quelquefois impossible de se laver, car l’eau était trop contaminée. N’oubliez pas, nous sommes dans un pays en guerre et dehors, des carcasses se trouvent sur le sol et dans les rivières.

De vraies toilettes pour six mois? Non, oubliez cela. Que des toilettes chimiques pour geler l’hiver et te faire envahir par les mouches l’été ou te faire piquer.

Mais malgré tout cela, nous étions heureux. L’esprit de camaraderie était tellement fort! Même si nous n’avions rien, ce n’était pas grave. On avait des frères d’armes sur qui on pouvait compter. Même si tous les soirs, je devais me coucher sur mon lit de camp avec mon oreiller improvisé (un t-shirt rempli de serviettes). Même si tous les matins, je devais inspecter mes bottes pour vérifier s’il y avait un petit lézard dedans. J’étais heureux de me lever le matin et d’enfiler ma chemise de combat avec le drapeau canadien.

4 juillet 1996, une semaine avant notre retour au pays, un des nôtres perdait la vie dans un accident routier. C’était la première fois que je vivais cela et c’était difficile à vivre. Lors de la cérémonie, le clairon s’est mis à jouer et je me serrais les dents pour ne pas pleurer. Bien voyons! Il n’était pas question que je verse une larme devant les autres…

De retour au pays peu de temps après… même si j’avais aimé l’expérience de ma première mission, j’étais content de rentrer chez moi.

Enfin, le premier soir dans mon lit, je retrouvais le côté douillet qui m’avait manqué les six derniers mois. Et quoi dire de mon oreiller! Jamais je n’aurais pensé qu’un oreiller pouvait être une chose que j’appréciais autant dans la vie. Souvent, on tient tout pour acquis, mais quand on vit dans la misère un peu, on devient capable d’apprécier les petites choses banales de tous les jours. Laissez-moi vous dire que nous sommes très chanceux d’avoir grandi dans notre beau pays.

Ma première mission fut la meilleure des trois missions que j’ai faites à l’étranger. Pourtant, nous n’avions rien côté logistique et la nourriture laissait parfois à désirer. C’était la première fois que des soldats canadiens étaient déployés sans aucune permission de prendre de l’alcool. L’esprit de corps était au maximum et nos supérieurs étaient fantastiques. C’est pour cela que je garde d’excellents souvenirs de cette mission même si le décor extérieur était horrible. Je garde les moments de joie passés avec mes frères d’armes. Je garde aussi une pensée pour les frères d’armes que j’ai perdus.

 

 Carl Audet

Les démons de la nuit

On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain mome

On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain moment donné pendant la mission, nous devions commencer à prendre de la Méfloquine, un médicament utilisé pour combattre la malaria. On nous avait avisés des effets secondaires, dont un était des rêves intenses.

À partir du moment où j’ai commencé à utiliser ce médicament, les rêves intenses sont arrivés, je dirais même plutôt des cauchemars. Tellement qu’un beau matin, j’avais des égratignures dans le visage et sur une main. Vraiment, c’était horrible !

Comme tout bon soldat, on apprend à vivre avec ce qui nous est donné à l’étranger, on ne pose pas de questions et on se concentre sur la mission. Une fois de retour au pays, ça fait partie de notre mode de vie. Mes cauchemars ont continué, mais j’étais habitué à ce mode de vie.

Trois ans plus tard, j’ai connu ma femme. Et il n’a pas fallu longtemps avant qu’elle s’aperçoive que quelque chose n’allait pas avec moi la nuit. Souvent, elle se réveillait parce que j’étais debout dans le lit et j’hallucinais. Une fois entre autres, j’étais debout en équilibre sur la petite planche du pied du lit, et elle avait peur que je tombe et que je me fasse mal.

Je me rappelle qu’un moment donné, je me suis carrément levé à côté du lit et j’essayais de me sauver parce que ses bras étaient faits comme des fils métalliques qui essayaient de m’attraper. Je me suis déjà vu exploser en Afghanistan en courant avec mon fils dans les bras. J’ai fait plein de cauchemars bizarres comme cela, mais aussi d’autres, directement reliés à l’armée.

Je me rappelle qu’à mon retour de mission, j’ai rêvé que je rentrais au bataillon un matin et que je tirais sur tout le monde. C’est par la suite que j’ai demandé un transfert d’unité pour avoir une pause, car j’en avais assez.

Peut-être que c’est difficile pour vous de me lire, mais c’est ce que j’ai vécu pendant quatorze ans. Encore étonnant que je sois sain d’esprit !

Donc est‑ce à cause de la Méfloquine ou de mon TSPT, je ne sais pas. C’est un gros débat présentement avec le gouvernement, car beaucoup d’autres pays ont arrêté de donner ce médicament à leurs soldats depuis plusieurs années.

Ce qui est important pour moi, c’est que maintenant, j’ai du support d’Anciens Combattants et enfin, je dors depuis l’été dernier. Quand j’ai commencé à prendre ma médication l’été passé, je dormais quatorze heures par jour. Puis à l’automne, je n’en pouvais plus. Je me sentais paresseux, donc j’ai arrêté seulement la pilule pour dormir pendant cinq jours, car j’ai une tonne de médicaments à prendre quotidiennement. Dès le premier soir, je regardais la télévision et c’est comme si en même temps, j’avais une deuxième télévision dans la tête sur laquelle défilaient des images de l’Afghanistan rapidement en même temps, et ce, jusqu’à trois heures du matin. Je ne pouvais plus dormir. Puis j’ai commencé à reprendre cette pilule, car je n’avais pas le choix si je voulais dormir. Maintenant, j’en suis à onze heures de sommeil et c’est long. J’ai tellement hâte de moins dormir, mais j’ai été tellement longtemps sans dormir ! Ma psychologue me dit que c’est normal.

Le matin, quand les enfants sont partis pour l’école, je vais toujours me recoucher un peu, mais pas n’importe où : dans le sous-sol ! Comme il fait noir, c’est comme un bunker et je me sens en sécurité. Puis avant de m’endormir ce matin, je me demandais de quel sujet j’allais bien vous parler. Puis là, mon rythme cardiaque a augmenté, ma respiration était plus courte, etc. Donc je me suis dit ce matin, OK, arrête de penser et dors ! Il y a plein de sujets dont je vais vous parler, mais un jour à la fois. Pour m’aider avec ma blessure, j’ai appris à reconnaître mes signes physiques et cela m’aide à faire des choix pour améliorer ma situation.

Maintenant, comment conjuguer vie familiale avec tout cela ? Pas toujours évident, mais une chance que je ne travaille plus, car je ne pourrais pas m’en sortir, c’est certain.

Quand mon ti-loup d’amour de cinq ans me dit parfois avant de dormir qu’il a peur, devrais-je lui dire que moi aussi, j’ai des démons qui me hantent la nuit et tout lui raconter ? C’est sûr que non. J’essaie de le rassurer. Mais savez-vous quoi ? Je le comprends même si je suis un adulte. Car je sais ce que sont les démons de la nuit. Bonne nuit ! Je vous aime !

Carl Audet

Le mauvais chum dans le salon

2004, j’étais presque à la fin de ma mission en Afghanistan, et

2004, j’étais presque à la fin de ma mission en Afghanistan, et j’avais le pressentiment que cette mission était la dernière de mes trois missions dont deux auparavant en Bosnie-Herzégovine. Car celle‑là, je la trouvais difficile et j’avais de la misère à me comprendre.

À mon retour, l’alcool s’est installé quotidiennement de façon rapide sans que je m’en aperçoive, car ça me faisait du bien. Ça me gelait sans que je m’en aperçoive à la fin de mes journées de travail.

2005, j’ai décidé de m’acheter une maison, car je ne pouvais plus rester dans les maisons militaires en rangées collées les unes sur les autres. Je ne sortais plus dehors. Je restais enfermé dans mon logement parce que j’étouffais avec le monde.

Ce fut l’achat d’une belle maison canadienne en pierre avec vue sur le fleuve St-Laurent, dans le bois et possédant un vaste terrain boisé. Par la suite, j’ai fait l’obtention d’un chien. J’étais heureux, enfin, je pensais que je l’étais. Ma consommation d’alcool avait nettement augmenté à une quantité phénoménale, que j’ai maintenue pendant quatorze ans. Je ne savais pas ce que j’avais. Toujours pendant ce temps, j’avais le pressentiment que quelque m’observait ou était présent avec moi. Mais je ne voulais pas vraiment y porter attention…

En 2007, j’ai connu ma femme, puis en 2008, nous emménagions ensemble. 2009 fut l’année marquante de l’arrivée d’une belle petite fille aux yeux bleus et 2013 fut l’année de l’arrivée d’un beau petit garçon aux yeux bleus lui aussi.

Puis à travers ces années, j’étais devenu un papa heureux et fier d’avoir de beaux enfants en santé. Mais cela impliquait aussi d’avoir une vie sociale que je n’avais pas avant car j’avais une vie isolée, ce que je n’avais pas remarqué.

2012, je n’en pouvais plus de souffrir avec mes douleurs physiques et chroniques. Je commençais finalement à utiliser le mauvais chum dans le salon qui était là tout le temps à m’attendre. Et il m’aidait pour faire des plans pour mettre fin à mes jours. Suite à cela, j’ai discuté avec l’infirmière en santé mentale de la base militaire et j’ai été référé à une psychologue en ville.

Mars 2013, libération médicale des Forces canadiennes pour mes blessures et mes douleurs aux genoux et au dos. Ce fut un soulagement, une pression de moins sur mes épaules. J’ai décidé d’arrêter tous mes médicaments avec l’accord de mon médecin parce que selon moi, l’armée était mon problème.

Automne 2017, quelle erreur de ma part ! J’avais encore pété les plombs un matin comme tant d’autres, jusqu’à faire un black-out. Je me sentais mal, j’avais mal au ventre, je n’avais plus le goût de vivre. J’avais fait du mal à mes enfants, ceux que j’aimais le plus au monde. Le mauvais chum du salon était encore là. J’ai appelé ma femme dans le stationnement du DIX30 à Brossard et je me suis mis à pleurer. Je craquais, je ne voulais plus vivre ainsi, j’avais besoin d’aide !

J’ai pris un rendez‑vous à ma clinique privée et en m’y rendant, je me voyais écrire des lettres d’adieux à mes enfants. Je me suis dit : bon, il est temps que j’arrive, car ce maudit chum de salon n’arrête pas ! Il m’aidait encore à faire des plans pour m’enlever la vie.

J’ai consulté des psychologues pour finalement découvrir que j’étais atteint du trouble de stress post-traumatique (TSPT), alors que j’avais toujours eu des doutes par rapport à cette blessure. Donc, j’ai dû avaler ma pilule et l’accepter ! Car oui ça pouvait exister, j’en étais atteint !

Avec ma thérapie maintenant, je me suis rendu compte que je m’étais développé une vie en accord avec ma blessure sans m’en rendre compte.

Depuis environ quatre mois, ce mauvais chum de salon, je l’ai mis dehors de ma maison avec les conseils de ma psychologue et depuis, ça va beaucoup mieux. Car tant et aussi longtemps que je garde ce mauvais chum près de moi, rien ne pourra m’aider.

Je lui ai dit : Va-t’en dehors, mauvais chum ! Je ne veux plus te revoir !

Carl Audet

Bye bye, mon militaire!

C’est le jour 183 de notre décompte familial. Ce matin, nous som

C’est le jour 183 de notre décompte familial. Ce matin, nous sommes allés reconduire mon mari et ses bagages vert armée à l’aéroport, direction Kosovo. « Tu dois être inquiète? Comment vas‑tu faire? » Non, pas particulièrement inquiète. Et je vais faire comme d’habitude, en m’organisant à l’avance et en prenant les choses une à la fois. Pour moi, c’est une mission de guérison et de pardon.

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Comme jeune couple, nous avons vécu la mission en Bosnie. J’étais étudiante, j’avais passé trois des six mois de déploiement au Burkina Faso. Mis à part les chutes de neige records qui avaient envahi l’entrée de la maison (mon mari se moque encore de ma technique de pelletage visant à seulement laisser l’espace pour une voiture et une personne), cette absence s’était bien passée.

Quant à la deuxième mission, c’est une tout autre histoire. C’était il y a neuf ans. J’avais accouché de ma deuxième fille l’année précédente. Un beau BABI (bébé à besoins trèèèèèèèèèès intenses) qui pleurait vingt-quatre heures par jour, ne tolérait aucun mouvement, aucun bruit (incluant le son de ma voix) et ne dormait qu’en peau à peau.

Cette mission s’ajoutait à dix-huit mois d’entraînement loin de chez nous, un déménagement du Québec vers l’Alberta, un nouvel emploi, et une fille aînée encore plus exigeante que mon BABI. Si on mélange tout ça avec une dépression diagnostiquée à la fin de la mission, mais qui traînait depuis deux ans, au stress de savoir mon mari dans un endroit dangereux et à l’éloignement de tous ceux qui voulaient m’aider, qu’est-ce qu’on obtient? Un désastre traumatisant. Une maman cernée jusqu’à la plante des pieds, débordante de pensées sombres et de culpabilité.

En Afghanistan, c’était le bordel depuis le 11 septembre 2001. On entendait sans arrêt parler des militaires canadiens qui se faisaient tuer (158 militaires et quatre civils, sans compter les morts à retardement associées au syndrome de stress post-traumatique. Paix à leur âme et à leur famille). Pour protéger nos enfants, il fallait éteindre la radio dans la voiture, fermer la télé à l’heure des nouvelles, et espérer que les petits amis de la garderie n’aient pas l’idée saugrenue de discuter diplomatie internationale. J’appartenais à un forum de discussions de conjointes de militaires. J’avais assisté à des soirées préparatoires au centre de ressources familiales de la base militaire. Je discutais au téléphone avec ma mère et ma belle-mère régulièrement. Pour le reste, mon mari avait droit à trente-cinq minutes d’appels téléphoniques par semaine, divisées entre les membres de sa famille et entrecoupées par des tirs de roquettes. Plein de raisons pour s’enfoncer et s’isoler malgré toutes les traces de bonne volonté.

Pendant des années, je suis restée convaincue jusque dans mes tripes que je ne survivrais pas à une autre séparation prolongée. Je n’en pouvais plus de l’éloignement, du manque de communication, des crises des enfants qui s’ennuyaient épouvantablement de leur papa-chéri-d’amour-tellement-plus-cool-que-leur-maman-cruelle-parce-qu’elle-les-oblige-à-manger-des-légumes-et-à-dormir-la-nuit. Je passais plus de temps à jouer à la maman psy/médecin/réparatrice de tout ce qui en profite pour briser, qu’à être moi. Je ne dormais plus. Je ne souriais plus. Je travaillais comme un robot. Je maternais comme un robot. Mais un robot au bout du rouleau. Je m’en suis sortie vivante de peine et de misère, avec une prescription d’antidépresseurs, l’anxiété dans le piton et un abonnement aux psychothérapies.

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Alors à l’annonce (surprise!) d’une autre mission, j’ai encaissé un gros « bang! » au cœur, une plongée dans les souvenirs. Puis je me suis ressaisie. Le Kosovo est plus stable que l’Afghanistan. Le nombre d’enfants dans la famille a doublé, mais ils sont plus vieux et ne sont pas accrocs aux crises. Je suis de retour au Québec, à quelques heures de route de ma maman et de mes beaux‑parents. Je suis entourée d’amis. Skype existe. Les médias ne diffusent pas systématiquement les départs des Canadiens en mission et leur retour en cercueil. Et moi, je suis guérie et je me suis pardonné. Mon moral est solide, mon anxiété est maîtrisée, je ne suis plus toujours à bout de souffle et d’espoir.

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Les six prochains mois ne seront pas de tout repos, mais j’ai décidé de prendre chaque jour pour ce qu’il est : une journée qui passe. Je croise mes doigts pour que la gastro nous oublie encore cette année. J’ai ma liste de contacts d’urgence « au cas où ». Je suis en train d’installer un espace ultra méga zen dans ma chambre. Mon mari, leur papa, nous manquera. Fêter Noël, la nouvelle année, la St-Valentin, Pâques et l’anniversaire des quatre enfants sans lui ne sera pas toujours jojo. Mais le pire, c’est l’Halloween. Parce que moi, je ne creuse pas des tranchées sur notre terrain pour créer un cimetière. Pour ça, ça prend un papa militaire hyper cool. Et le nôtre, il est rendu au Kosovo.

Bye bye, mon militaire! On se revoit bientôt… sur Skype!