La femme sur l’image

J’ai 37 ans, trois enfants. Ma grande a 6 ans, mon garçon 3 ans et mon bébé 6 mois. Plus jeune, je ne savais pas si je voulais des enfants. Puis j’ai porté ma fille, elle est née. Un tremblement de terre dans ma vie; un bonheur et un amour innommables, des changements, des responsabilités et des tâches interminables mais surtout, un instinct maternel que j’ignorais porter en moi. Cet instinct m’a tout de suite fasciné. J’avais tellement lu, écouté des conseils de toutes sortes, pour finalement constater que toutes ces réponses arriveraient en même temps que mon bébé. Puisque j’ai trois enfants, il m’est arrivé que des mamans en attente de l’arrivée de leur premier enfant me demandent des conseils. Je réponds alors : “ Lorsque ton bébé sera là, tu sauras.”

Mais l’instinct maternel, s’il me donne plusieurs réponses, est tout de même lourd à porter. Je ne crois pas qu’une mère <aime>  son enfant. J’aime mon chum, j’aime mes parents, j’aime mes sœurs. Mes enfants, je les porte. Mais ils sont parfois lourds, un troupeau de mammouths! J’en ai parfois mal aux reins.

Avant d’avoir des enfants, surtout lorsque l’on porte notre premier, on voit ces images de mères jouant avec leur progéniture, riant à pleine bouche, coiffure parfaite, bonheur parfait. Maintenant, je sais ce que cette mère porte en elle et ce qui la pousse à donner le meilleur d’elle-même, mais parfois le pire également.

Le matin, cette maman sur l’image avait surement, comme moi, ragé après son garçon de 3 ans qui faisait les pires niaiseries incongrues et inimaginables, repoussé sa grande fille qui, en même temps, insistait tel un vendeur d’assurances pour lui montrer, tout de suite et sans attendre, les mots qu’elle avait si bien réussi à écrire, et fait attendre trop longtemps son bébé qui en même temps, pleurait et s’impatientait. Le tout avait dû se terminer en matin raté, en enfants furieux, en maman hystérique et en bébé inconsolable. Puis, elle avait réussi à calmer bébé, à se ressaisir elle-même, à expliquer à sa grande qu’elle mourrait d’envie de lire ses mots mais qu’il lui fallait attendre un peu. Elle était ensuite allée voir son garçon en colère noire parce qu’il s’était fait chicané fort, était fatigué et se comprenait plus. Une fois son fils calmé, elle lui avait tendu la main en lui disant : “ Tu viens sur le pont avec moi? On traverse vers l’île de la bonne humeur. ” Il avait surement préféré passer par le tunnel. Puis le bonheur et la paix étaient revenus. Ce que l’image ne montre pas non plus, c’est que cette maman d’un poupon ne dort pas la nuit, ou si peu. Elle crève de fatigue. Ce calme qu’elle a réussi à retrouver, les bons mots qu’elle a su utiliser, lui ont demandé un effort surhumain. Elle les a trouvés en creusant dans son énergie de secours, dans son instinct maternel de survie. Mais où sont donc planqués les “décerneurs” du prix Nobel de la paix lorsqu’une maman réussit ce genre d’exploit?

C’est aussi ça, l’instinct maternel.

Cette même femme sur l’image avait surement, un certain après-midi, frôlé péter les plombs, lorsque déjà en retard pour un rendez-vous, sa grande criait sa rage de ne pas trouver ses leggings roses, son garçon pleurait parce qu’elle lui avait mis sa tuque avant de lui mettre ses bottes et son bébé hurlait à en perdre le souffle, frustré d’être attaché dans son siège d’auto. Puis, en leur disant au revoir chez grand-maman qui allait les garder, elle avait réussi à ravaler sa rage, même s’ils avaient crié et chialé dans l’auto tout le long du parcours car derrière sa colère, une pensée plus forte que tout avait émergé; et s’il m’arrivait quelque chose en route. Si c’était le dernier souvenir qu’ils avaient de moi. Alors elle les avait enlacés en leur disant qu’elle les aimait puis était repartie, en retard vers son rendez-vous, avec sa colère dans la gorge.

C’est aussi ça, l’instinct maternel.

Cette mère sur la photo, avant de rire et de jouer avec ses enfants, avait surement aussi dû traîner sa grande chez le dentiste pour, une fois de plus et de trop, se faire enlever une dent. Sa fille qui parfois après ce genre d’intervention avait si peur qu’elle en avait des tremblements et des maux de cœur, était surement en pleurs et refusait de sortir de l’auto. La maman se mit à dire des niaiseries pour tenter de la faire rire. Il pleuvait, elle se mit à chanter du Mario Pelchat : “Et si je pleure dans la pluie, tu n’y verras que du feu…” Évidemment, sa fille ne connaissait pas. Elle l’avait d’ailleurs chanté probablement davantage pour se détendre elle-même. Sa grande s’était mouchée, elle lui avait conseillé en souriant de garder son mouchoir avec elle puisqu’il contenait des crottes de nez chanceuses, ignorant qu’elle était capable d’autant de ridicule. Elles avaient ri ensemble. La femme lui avait parlé de tout et de rien en sortant de l’auto pour la détendre. Une fois sa fille avec la dentiste, la maman s’était enfermée dans la salle de bain pour pleurer un coup. Puis, elle s’était ressaisie, tel un premier ministre devant affronter une foule. Lorsque sa fille l’avait rejointe, ses yeux étaient secs et son regard plein de confiance à nouveau.

C’est aussi ça, l’instinct maternel.

Cette femme tout sourire sur l’image, a dû également reconduire son jeune fils vers la salle d’opération pour une chirurgie. Les jours précédents, elle avait sans aucun doute souffert d’insomnie à l’idée de croiser le regard rempli d’incompréhension et de peur de son enfant lorsqu’il allait partir avec un inconnu vers cette salle, sans elle. Elle s’était promise de se montrer forte. Au moment venu, lorsqu’elle avait déposé son fils dans les bras de l’infirmière, je sais qu’elle a souri comme jamais. Certainement un sourire exagéré et faux, mais elle a souri. Puis, son fils disparu derrière les portes, elle s’était effondrée dans les bras de son conjoint.

C’est aussi ça, l’instinct maternel.

Je ne suis pas une maman calme, je ne suis pas une maman patiente, je n’ai pas toujours la bonne réaction au bon moment, mes conséquences sont très souvent des punitions et je ne réussis pas à maintenir les méthodes conseillées dans les livres. Je suis la femme sur l’image; à la fois fatiguée mais heureuse, dépassée puis en contrôle, hystérique puis calme, qui rit aux larmes, qui pleure en boule, “cool” et “drabe”, qui hurle sa colère puis chante quand ça va mal, humaine, qui réussit des exploits qu’elle n’aurait jamais cru réussir, et surtout forte de son instinct maternel. Cette femme qui a porté ses enfants et les portera toujours.

 



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