L’enfant seul dans la rue

Je m’autoproclame aujourd’hui la femme la plus maman-poule de ma rue. Je suis témoin, chaque semaine, de situations qui me serrent le cœur comme une orange dans un étau. Et je reste toujours dans la même situation, un peu éloignée comme témoin, pas trop impliquée comme inconnue… juste une observatrice bienveillante.

La semaine dernière, je faisais mon épicerie. Seule. Avec mes trois enfants. Bon okay, pas si seule que ça finalement #plusjamaisseule. On tourne le coin d’une nouvelle rangée. Je vois une petite fille d’environ trois ans dans la rangée. Elle, elle était seule pour de vrai. J’observe. Pas de parents autour. Pas de parents autour? Moment de panique intérieur. Mais la petite, elle, ne semblait ni apeurée ni traumatisée. Alors j’ai continué d’observer, pour voir. Je me disais qu’au moins, si je la surveillais, il ne lui arriverait rien de mal jusqu’à ce que ses parents se rendent compte de sa disparition soudaine. Pis oui, j’ai eu peur d’avoir l’air de la pédophile cinglée si je la prenais par la main, juste pour l’amener au gérant de l’épicerie. Faque je suis restée immobile, à gérer mes trois enfants qui ne comprenaient pas pourquoi je restais là comme une dinde à lire l’étiquette du pot de mayonnaise. Ça a dû prendre trois minutes avant qu’un papa affolé retentisse dans notre rangée, avant d’empoigner la petite fille et de la sermonner sur l’importance de tenir-le-panier-tout-le-temps. T’sais, personne n’est mort. Personne n’a été kidnappé. La petite fille avait juste profité d’une seconde d’inattention pour partir à l’aventure, en quête de chocolat. Mais moi, dix minutes après, j’avais encore le cœur qui battait à cent milles à l’heure!

Il y a quelques semaines, je suis allée mettre de l’essence. Parce que la lumière du voyant d’essence était allumée depuis tellement longtemps qu’elle faisait maintenant partie de la famille. Bref, fallait que j’aille gazer. Faque je suis debout à côté de ma voiture, pompe à la main, et je remarque un bébé dans la voiture d’à côté. Un petit loup de quelques semaines à peine. Mon réservoir était bien plein. J’avais fini de payer. Mais je n’arrivais pas à partir. Je voyais de loin la mère qui jasait au commis dans le dépanneur. Loin de moi l’idée de la juger, c’était peut-être son seul moment pour parler avec quelqu’un de la journée, ou même de la semaine… Mais j’étais incapable de quitter. Mes pieds étaient fixés au sol et le vortex de la culpabilité parentale m’empêchait de bouger. Faque j’ai attendu là, plusieurs minutes, le temps que sa mère ne revienne à la voiture. À son retour, je l’ai vu déposer son sac en ouvrant la portière arrière et ça m’a confirmé que les portières n’étaient pas verrouillées. Je suis partie chez moi, le cœur de mère tout à l’envers. Je venais peut-être de sauver une vie, tu sais pas. Arrête de me juger. On l’sait pas ce qui aurait pu arriver à ce bébé!

Hier encore, la petite voisine est passée devant la maison. En marchant. Seule. Juste pour te mettre en contexte, on habite sur une rue où les voitures roulent à 60-70 km/h, sur laquelle il n’y a même pas de trottoir. Pis pour faire exprès de me faire flipper, la rue bifurque aux trois maisons, alors tu ne peux pas suivre le chemin des yeux. La petite voisine, elle a sept ans. Moi, je trouve ça jeune en maudit pour marcher seule dans la rue. Mais bon, je te l’ai dit, je suis la pire maman-poule d’la rue, ça d’lair. Faque j’ai angoissé, pis oui, je l’ai suivie du regard le plus longtemps que je pouvais, comme si ça pouvait l’empêcher de se faire frapper ou enlever par un monstre…

Faque c’est ça. Je me demande encore si je suis normale. Je ne laisse pas mon bébé seul dans l’auto. Ma grande n’a pas le droit de partir seule chez une amie à pied… en voiture non plus, parce qu’elle a six ans… Pis je ne lâche jamais, jamais, jamais, la main de mes enfants dans un magasin. Parce que ça ne prend que deux secondes… Deux secondes d’inattention pour qu’un pervers immonde #zérotolérance attrape un enfant et lui arrache la vie. Pis des pervers, y’en a partout…

Heureusement, y’aura toujours des mères-poules vraiment intenses comme moi pour surveiller tout le quartier. Faque la prochaine fois que tu laisses ton enfant seul, dis-toi que t’as une chance sur deux. Une chance qu’il tombe sur un pervers incorruptible ou une chance qu’il tombe sur une maman-poule. T’as vraiment envie de prendre le guess?

Peut-être que c’est juste moi qui ai besoin d’une longue séance chez un psy, aussi…

 Joanie Fournier



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