Lettre à mon fils, ou gérer une crise d’adolescence à 7 ans

Mon garçon,

Ce soir, je n’aime plus la mère que je suis pour toi. Je n’aime plus ce qu’on t’offre comme climat familial. Je n’aime pas ces cris qui sortent de ma gorge chaque soir parce que je n’ai plus de ressources pour me rendre à toi, à ta compréhension. Je suis à bout de devoir me battre chaque soir contre tes attitudes, tes manques de respect, ton rouspètage, ton claquage de porte et ta démolition en cinquante-quatre points de notre maison qu’on essaie tant bien que mal de mettre à notre goût.

Je ne comprends pas d’où ça vient toute cette colère en toi, ce désir de toujours aller plus loin pour tester nos limites. Ça m’use, ça use ton père et ça donne un exemple génial à ta sœur qui s’empresse de faire et de réagir exactement comme toi du haut de ses trois pommes.

Tes plus grands succès récents comprennent, mais sans s’y restreindre :

–          « Wow! Bravo! C’est ça, faites pleurer votre garçon! »

–          « Vous avez juste à me changer de famille; de toute façon, je vous aime même pu. »

–          « Vous brisez mon cœur en mille morceaux, vous êtes vraiment méchants! »

–          « Je vais appeler le 9-1-1 pour qu’ils me fassent changer de maison. »

–          « C’est ça, vous voulez que j’aille au ciel? Je vais y aller d’abord! »

–          « Vous ne m’aimez pas! »

C’est presque drôle quand j’y pense : on dirait que je parle d’un ado de 15-16 ans, mais non, tu n’as encore que sept ans tout frais sonnés. Un ado de sept ans! J’ai soudain un plus grand respect pour mes parents qui ont géré ma mini crise d’adolescence. Quoique vite vite, elle semble moins pire que la tienne déjà parce que j’étais peureuse et que je n’aurais jamais passé outre la ligne du manque de respect. De ton côté, on dirait que ça te stimule. Plus on crie, plus tu ris, plus tu pousses et repousses les limites, tes petits yeux dans nos yeux, nous défiant de tout ton petit être. Mais tu nous défis de quoi au juste? J’aimerais bien le savoir, ça accélérerait la résolution de problèmes.

Et j’essaie de comprendre, et je me questionne… Pourtant, ton père et moi, on est des gens respectueux, on donnerait notre vie pour ta sœur et toi. On vous gâte, limite trop! On a une routine, on est constants (de notre mieux), on est calineux, on fait des farces, on passe beaucoup de temps avec vous, on fait des activités, on joue ensemble, vous n’êtes jamais privés de rien. On est strictes mais pas à l’excès. On est loin, très loin de la perfection, mais il me semble que tu es bien traité. Tu es aimé plus qu’à ton tour et pas juste de nous, de toute notre famille et de notre famille élargie pleine d’amis qui t’aiment comme si tu étais leur neveu.

Qu’est-ce qu’il te faut de plus? Comment on arrête ça, ce cercle vicieux de non-respect, de criage, de négociation, de conséquences? Comment on fait pour tenir le coup en tant que parents, en tant que couple, en tant qu’individus, en tant que famille?

Ce que j’aimerais que tu saches mon grand, c’est que parfois en tant que parents, on tente de tout notre être de garder notre calme, de rester droit, constants et respectueux, mais que ça arrive qu’on s’emporte. Quand c’est le cas, on s’en veut déjà de sortir de nos gonds. On a de la peine de devoir aller jusqu’à crier après notre propre enfant pour réussir à lui faire comprendre quelque chose; c’est notre dernier des derniers recours. J’aimerais que tu saches que maman pleure toutes les larmes de son corps quand tu pleures les tiennes dans ta chambre parce que tu trouves la vie si injuste et tes parents si méchants.

J’aimerais surtout que tu comprennes que, peu importe ce que tu fais, peu importe à quel point on s’emporte ou qu’on se déchire l’un l’autre, tu restes la priorité dans nos vies et on t’aime plus que tout. Tout ce qu’on veut, c’est que tu deviennes la meilleure version possible de toi et ça, ça nous prend beaucoup d’efforts, beaucoup de « non » et beaucoup d’énergie.

Présentement, je comprends tout ça raisonnablement dans ma tête, mais pour un minime instant, j’avoue que j’aimerais juste faire « avance rapide » jusqu’au moment où tu seras un adulte responsable, accompli et respectueux qui me dira enfin ces mots qu’un parent attend toute sa vie durant : « Maman, Papa, je comprends maintenant pourquoi vous avez agi comme ça; c’était pour mon bien et ça m’a rendu une meilleure personne ».

Mais ça, je sais que c’est dans plusieurs dizaines de chapitres et peut-être même dans une tout autre histoire puisque ce ne sont pas tous les enfants qui finissent par voir et comprendre ça. Rendue là, j’espère juste que tu seras heureux et que tu seras la meilleure version du garçon merveilleux que je sais que tu as le potentiel d’être.

En attendant, cheers aux parents qui, comme nous, se battent chaque soir pour faire de leur progéniture les leaders du monde de demain. On a du pain sur la planche, mais à regarder autour de moi, je dirais qu’on a plusieurs agents de changement pour l’avenir qui sont en train de faire leurs dents sur leurs parents qui eux, ont hâte à demain matin… pour aller se reposer au travail et qui espèrent qu’à leur retour, tout sera de retour à la normale.

Marie-Eve Piédalue

 



Commentaires